Anatomie des processus révolutionnaires

Crane Brinton à réaliser une anatomie de la révolution, à partir de l’analyse de la révolution anglaise, française, américaine et soviétique, qui met en évidence « quelques généralisations provisoires » des processus révolutionnaires[1].

  • 1. Les quatre révolutions se sont produites dans des sociétés qui connaissaient un certain degré de prospérité et même de développement économique. Ceux qui les firent n’étaient pas les plus pauvres et les plus déshérités des hommes ; leur révolution ne fut pas un geste de désespoir. Elle résultait plutôt d’un sentiment d’insatisfaction, d’impatience et aussi d’espoir, par suite d’aspirations frustrées, de désirs inassouvis, de limites ou de contraintes jugées inacceptables et intolérables
  • 2. La société pré-révolutionnaire est agitée de violents antagonismes de classes. Mais ce ne sont pas les classes les plus défavorisées qui luttent contre la classe possédante ; les intouchables font rarement la révolution contre l’aristocratie. C’est entre des classes qui sont près les unes des autres que se poursuit la lutte et qu’elle est la plus dure ; c’est la bourgeoisie qui s’en prend à l’aristocratie pour la renverse.
  • 3. On observe dans toutes les sociétés pré-révolutionnaires un changement d’allégeance de la part des intellectuels, qui deviennent les plus dangereux opposants de l’autorité dirigeante et de la classe dominante ou possédante. Ils remplissent une double fonction dans la période pré-révolutionnaire : fonction de critique du régime en place ; fonction de définisseurs et de propagateurs de l’idéologie révolutionnaire. Ce fait, que Brinton appelle «la désertion des élites», est, selon lui, un des indices les plus généraux et les plus certains d’un état pré-révolutionnaire.
  • 4. Le gouvernement est frappé de paralysie et souffre d’inefficacité, soit par négligence ou incompétence, soit parce qu’elle est dépassée par les nouvelles situations et aux problèmes auxquels elle doit faire face.
  • 5. La vieille classe dirigeante, ou du moins une partie de la classe dirigeante commencent à perdre confiance en elle-même, dans les vertus et qualités qui sont faites traditionnellement sa force et sa puissance. Elle perd confiance en son autorité ; surtout elle ne reconnaît plus les fondements de son ancienne autorité. Une partie de la classe dirigeante passe du côté du mouvement révolutionnaire.
  • 6. Le gouvernement se voit aux prises avec des difficultés financières graves, qu’il paraît définitivement incapable de résoudre. L’État manque de fonds ; son crédit est mauvais. Les expédients auxquels il recourt s’avèrent inefficaces les uns après les autres.
  • 7. Devant les premiers mouvements populaires de mécontentement et d’agitation, le gouvernement recourt à la force (police, armée, milices) pour les mater. Mais le gouvernement s’avère maladroit dans l’emploi de la force : il ne tient plus ses troupes en main. L’intervention des forces de l’ordre amplifie les troubles. Par ailleurs, policiers et militaires désertent leurs troupes et passent du côté des révoltés ; ceux qui restent manifestent peu d’entrain à protéger et défendre le régime.

Cette anatomie met en évidence que les révolutions ne sont pas le fait des classes populaires, mais des classes moyennes et intermédiaires qui aspirent à plus de reconnaissance et de réalisation.

[1] Rocher Guy, 3. Le changement social : Introduction à la sociologie générale, Montréal, HMH, 1968, page 264

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