Disposer de 4 jours de temps libre : un choix de société !

Jean-Christophe Giuliani

L’avenir du travail par Albert Jacquard

La réduction de la semaine de travail à 3 jours n’est pas un choix économique, mais un choix de société. En devenant le temps social dominant, le temps libre individuel provoquera un changement de valeurs, de modes de production et de catégories sociales dominantes. En disposant de 4 jours de temps libre, les membres des couches populaires et de la classe moyenne, ainsi que les cadres, les chefs d’entreprises, les entrepreneurs, les membres des professions libérales, les agriculteurs, les artisans et les commerçants auront les moyens de se socialiser, de nourrir l’estime de soi et de s’émanciper autrement que par l’activité professionnelle et la consommation. En provoquant l’effondrement du mode « avoir » au profit du mode « être », cette inversion du rapport au temps modifiera le rapport à soi et aux autres. La somme de ces transformations favorisera la mise en œuvre de l’économie au service du développement et de l’émancipation de chaque individu.

  • Favoriseront-ils un changement de mode de vie individuel ?

La réduction de la semaine de travail donnera à chaque individu le droit et le devoir de consacrer 3 jours par semaine ou 6 mois par an à une activité professionnelle destinée à assurer ses subsistances et celles de la collectivité. Puisqu’il n’y aura plus de chômage, il n’aura plus peur de perdre l’emploi qui lui permet d’assurer ses subsistances. Ayant remplis son devoir envers la collectivité, il disposera à sa guise de 4 jours de temps libre, soit de 41 heures ou de 8 plages horaires d’une demi-journée par semaine. S’il le souhaite, il aura les moyens de se socialiser, de nourrir l’estime de soi, de stimuler ses huit formes d’intelligence et de s’épanouir à son propre rythme en pratiquant les activités qui répondent à ses aspirations. En provoquant une transformation du rapport à soi et aux autres, cette inversion du rapport au temps provoquera un changement de mode de vie individuel.

L’exemple de Claire illustre ce processus vertueux. Claire est mariée et a deux enfants. Elle partage avec un autre cadre un poste d’audit en organisation dans la grande distribution. Sa mission est d’optimiser la productivité en aménageant le temps de travail sur la semaine, le trimestre ou l’année. Étant donné qu’ils travaillent sur des missions, ils ont décidé d’aménager leurs 141 jours de travail annuel sur 6 mois. Tandis que Claire travaille de janvier à juin, son collègue travaille de juillet à décembre. Son salaire étant annualisé, qu’elle soit en poste ou non, chaque mois elle perçoit 1 800 €. En travaillant, Claire paie des impôts et cotise aux caisses de sécurité sociale. Elle bénéficie donc de l’assurance maladie, des allocations familiales et de la retraite.

Grâce à la « loi du Maximum », le prix du logement ainsi que des biens et des services destinés à assurer les subsistances et un minimum de confort matériel sera régulé par la loi. Avec son mari, Claire a acheté à Lille une maison des années 30 de 120 m² de classe D. Le prix du m² d’une maison ancienne de classe D étant de 400 €, le prix d’achat était de 48 000 € et les frais de rénovation, pour qu’elle accède à la classe B, de 50 000 €. Pour financer ces 98 000 €, ils ont souscrit un emprunt sur 20 ans au taux de 1 %[1], dont les traites mensuelles sont de 450 €, soit 25 % de son revenu. Puisque son mari perçoit un revenu de 1 300 € par mois, comme ils disposent à eux deux de 3 100 €, ils consacreront 14,5 % de leur revenu à se loger. Comme la régulation des prix concernera également l’alimentation, ainsi que les factures d’eau, de gaz et d’électricité, en cumulant leurs revenus, ils auront très largement les moyens de rembourser les traites de la maison et d’assurer un minimum de confort matériel à leur famille.

Ayant effectué son devoir envers la collectivité, Claire a désormais le droit de disposer de 6 mois de temps libre pour pratiquer des activités qui répondent à ses aspirations. Disposant de 14 demi-journées de temps libre par semaine, Claire a les moyens de planifier de nombreuses activités de socialisation et d’expression. Elle commence par s’inscrire dans un centre d’éducation populaire pour suivre une formation qui a lieu le jeudi de 9 h à 17 h. Cette journée lui permet de développer ses connaissances en sciences humaines et de participer à un atelier de développement personnel. En allant voir une pièce, Claire décide de s’inscrire à un atelier théâtre. Pour adhérer à l’association qui encadre l’atelier, elle paie une cotisation de 150 € par an. Elle s’inscrit aux ateliers qui ont lieu du lundi au mardi et du vendredi au samedi de 9 h à 17 h. Les jours d’activités collectives, de 12 h à 14 h, elle déjeune avec les membres des ateliers théâtre et de la formation. Le mercredi, le dimanche et après 17 h 30, quand elle a effectué ses 34 heures de tâches quotidiennes et domestiques, Claire dispose de 30 heures de temps libre qu’elle peut consacrer à ses enfants, à sa famille, à ses amis ou à des activités personnelles (faire du sport, lire, participer à un atelier d’écriture, etc…) Ayant une fibre citoyenne, tous les mercredis, de 18 h 30 à 20 h30, elle participe à un conseil de quartier. Les rencontres quotidiennes et régulières avec les membres de sa famille et de ses différents groupes sociaux donnent à Claire les moyens de structurer le rythme de sa vie et de se socialiser. Se sentant acceptée, écoutée et appréciée par ses différents groupes, elle est davantage motivée à nourrir l’estime qu’elle a d’elle-même.

Les moyens à la disposition de Claire pour nourrir l’estime de soi sont relativement abondants. Sur le plan artistique, elle peut se distinguer, affirmer sa singularité et recevoir la reconnaissance de ses pairs, en obtenant le premier rôle d’une pièce. Pour l’obtenir, elle consacre du temps à apprendre son texte et à incarner le personnage qu’elle devra jouer sur scène. Ce travail lui permet de renforcer sa compétence et de gagner en confiance. La participation à des ateliers de développement personnel lui donne les moyens de mieux se connaître. En lui permettant de mieux se connaître et de se libérer de complexes, de manques et d’angoisses, la participation à un atelier de développement personnel donne à Claire les moyens de renforcer l’estime qu’elle a d’elle-même et de s’aimer pour ce qu’elle « est » réellement. Étant moins dépendante de l’approbation et de l’encouragement des autres, elle gagne en autonomie. La liberté intérieure que lui confère cette autonomie lui donne les moyens de faire des choix en liens avec ses aspirations personnelles.

Passionnée par le jeu d’acteur, Claire ressent une attirance pour la mise en scène. En analysant ses expériences et son histoire de vie, elle découvre que mettre en scène répond à ses aspirations. Sa vocation étant d’être metteur en scène, c’est à elle que revient la responsabilité de trouver la volonté, le courage et la détermination d’effectuer un long travail d’apprentissage pour acquérir les compétences techniques et humaines spécifiques à son art. En consacrant du temps à la recherche, à monter des pièces, à développer de nouvelles techniques, à apprendre à diriger des acteurs, à écrire une pièce, à la mettre en scène et à la présenter au public, Claire s’accomplit.

En multipliant ses activités (écrire, jouer et mettre en scène des pièces, participer à un atelier d’écriture et de développement personnel, contribuer à un conseil de quartier, développer ses connaissances en sciences humaines, consacrer du temps à sa famille, faire du sport, restructurer l’activité d’un magasin, etc…), Claire stimule ses huit formes d’intelligence, s’accomplit et enrichit sa personnalité. Plus elle enrichit sa personnalité, plus elle s’estime pour ce qu’elle « est », plus elle attire l’attention, la sympathie, l’admiration et le respect d’autrui pour ce qu’elle « est » réellement. Étant davantage reconnue pour ce qu’elle « est » que pour ce qu’elle « a », elle a les moyens de s’affranchir et de s’émanciper de son identité professionnelle. Ayant les moyens de se distinguer et de s’affirmer sur le mode « être », Claire a tendance à considérer la volonté de réussir sa vie sur le plan financier, professionnel et matériel ou le mode « avoir » comme irresponsable et pathologique.

En pratiquant au quotidien une activité artistique, Claire change les habitus qui structurent son comportement, ainsi que la perception qu’elle a d’elle-même, des autres et du monde. Puisqu’elle se consacre au théâtre plus de 24 heures par semaine, c’est désormais cette pratique qui détermine son identité. Au lieu de se présenter ainsi « Je m’appelle Claire et je suis audit en organisation », elle se présente désormais comme cela « je m’appelle Claire, je suis metteur en scène et l’emploi qui me permet d’assurer ma subsistance est celui d’audit en organisation ». De manière consciente ou inconsciente, en se présentant ainsi, Claire modifie la perception qu’elle a d’elle-même, de ceux qui l’entourent et de la société. Son activité professionnelle étant un simple moyen de gagner sa vie, ce n’est plus son emploi, mais l’activité qui lui permet de s’accomplir qui est désormais l’élément constitutif et déterminant de son identité.

En adoptant un mode de vie plus sobre et en s’accomplissant sur le mode « être », non seulement Claire améliore sa qualité de vie, son bien-être et sa santé, mais en plus, elle favorise le processus démocratique et préserve l’avenir des générations présentes et à venir. En effet, ce mode de vie plus sobre favorise l’inversion des processus qui provoquent le réchauffement du climat, l’épuisement des matières premières, la pollution de l’eau, de l’air et des sols et la disparition de la biodiversité. Comme le mode de vie de Claire est également partagé par Thomas, Vincent, Marie, Julien et l’ensemble de la population, le mode « avoir » ne sera plus un moyen valorisant de montrer son appartenance sociale, de se distinguer des autres et d’affirmer sa réussite. N’étant plus des critères de réussite, l’argent, l’activité professionnelle et la consommation redeviendront ce qu’ils auraient toujours dû être : de simples moyens destinés à produire et à assurer les subsistances. Ce retournement des valeurs provoquera des transformations économiques et sociales profondes.

  • Favoriseront-ils une transformation sociale ?

Après avoir décrit les enjeux du temps libre sur le plan individuel, il est nécessaire de les aborder sur le plan collectif. En permettant à la société de se réconcilier avec son temps, non seulement les 4 jours de temps libre permettront d’en finir avec le chômage et la crise systémique, mais, en plus, ils donneront un nouvel élan à la société qui provoquera une mutation sociale. En m’appuyant sur les caractéristiques de la cinquième phase de la dynamique des temps sociaux, je vais tenter d’expliquer pourquoi les 4 jours de temps libre provoqueront une transformation sociale.

La réduction de la durée légale de la semaine de travail à 3 jours provoquera l’effondrement du temps social du travail. En travaillant 24 heures par semaine, en perdant 3 heures dans les transports et en prenant 6 heures de pause à midi, un individu consacrera 33 heures, soit 30,6 % de sa semaine éveillée à travailler. Ses 34 heures de tâches domestiques effectuées, il disposera de 41 heures de temps libres, soit 38 % de ses 108 heures hebdomadaire éveillées. En inversant le rapport au temps, le passage de 2 à 4 jours de temps libre provoquera l’effondrement du temps social du travail au profit des temps sociaux de l’éducation, de la famille, de la formation, de la politique, de la recherche, ainsi que de la pratique d’activités associatives artistiques, manuelles et sportives amateurs. Ces nouveaux temps sociaux provoqueront un changement des modes de production, des valeurs et des catégories sociales dominantes.

L’effondrement du temps social du travail aurait provoqué le déclin des modes de production liés au travail : la production de l’industrie, des marchands et de la finance, au profit de modes de production liés au temps libre individuel. Le mode de production du travail n’étant plus dominant, l’entreprise aurait retrouvé sa fonction initiale : être un simple moyen de production de biens et de services destinés à satisfaire des besoins essentiels. Le temps libre individuel étant le temps social dominant, le rythme de la société se serait réorganisé autour de la production de la famille, de l’éducation, de la formation, de la politique, de la recherche, du bénévolat et des activités associatives amateurs.

N’étant plus le mode de production dominant de la société, la production industrielle, financière et, donc, économique s’effondrera au profit de la production non marchande. Le travail ayant été relégué à son aspect instrumental, l’entreprise retrouvera sa fonction initiale : produire des biens et des services destinés aux subsistances et à un minimum de confort matériel. Le temps libre individuel étant le temps social dominant, le rythme de la société s’organisera désormais autour de la production des associations artistiques, manuelles et sportives amateur, ainsi que de la production de la famille, de la formation, de l’éducation, de la politique, de la recherche, etc…

L’effondrement du temps social et des modes de production liés au travail provoquera également celui de sa valeur. Les moyens utilisés par les salariés, les cadres, les chefs d’entreprises, les entrepreneurs, les professions libérales, les agriculteurs, les artisans et les commerçants pour se socialiser, nourrir l’estime de soi et s’épanouir sont déterminés par le temps libre dont ils disposent. Étant donné qu’ils disposeront de 4 jours de temps libre, de 8 demi-journées ou de 41 heures, le temps libre cessera d’être un temps de repos, de détente et de récupération. Au lieu de le gaspiller à regarder la télévision ou à pratiquer des activités de divertissement et de loisirs marchands, le chef d’entreprise ressentira le besoin de planifier de nouvelles activités de socialisation et d’expression. En pratiquant une activité artistique, intellectuelle, manuelle ou sportive amateur, et en consacrant du temps à sa famille, à ses amis, à se former, à la politique et à diverses activités associatives, il aura les moyens de stimuler ses huit formes d’intelligence, de s’épanouir et d’enrichir sa personnalité. Plus il enrichira sa personnalité, plus il attirera l’attention, l’admiration, le respect et l’estime d’autrui pour ce qu’il « est » réellement. Étant davantage reconnu pour ce qu’il « est » que pour ce qu’il « a », il aura la possibilité de se présenter à partir de l’activité qui répond à sa vocation : « je m’appelle Thomas, je suis metteur en scène et l’activité professionnelle qui me permet d’assurer ma subsistance est celle de chef d’entreprise ». Comme il aura les moyens de s’affranchir de son activité professionnelle pour se définir et nourrir l’estime qu’il a de lui, la valeur du travail s’effondrera. N’étant plus une valeur dominante, le travail redeviendra un simple moyen de production destiné à assurer les subsistances. En s’effondrant, la valeur du travail laissera la place à de nouvelles valeurs liées au mode « être » : une spiritualité laïque, le développement personnel, l’individuation, la réalisation de soi, la solidarité, l’écologie, l’authenticité, l’égalité hommes/femmes, etc…

L’effondrement du temps social et de la valeur du travail provoquera également celui du pouvoir temporel de l’argent. Pour que l’argent soit l’étalon de la valeur d’un individu, la richesse financière et matérielle doit susciter l’estime d’autrui. En travaillant 2 jours par semaine, le cadre gagnera moins et, donc, consommera moins. En travaillant moins, il aura les moyens de multiplier ses activités de socialisation et d’expression. En pratiquant une activité d’écrivain, de musicien, d’acteur, de chercheur, de couturier, d’ébéniste ou de joueur de tennis, il aura les moyens de développer ses huit formes d’intelligence, de s’épanouir et d’enrichir sa personnalité. En enrichissant sa personnalité, il attirera davantage l’estime d’autrui pour ce qu’il « est » que pour ce qu’il « a ». Étant davantage reconnu pour ce qu’il « est », il aura les moyens de se passer de l’argent pour s’aimer et nourrir l’estime qu’il a de lui. En découvrant qu’en gagnant moins, il a largement les moyens de se socialiser, de nourrir l’estime de soi et de s’accomplir, il comprendra que l’argent ne peut pas tout acheter et que ce qu’il ne peut pas acheter est l’essentiel. Ainsi, il prendra conscience que les revendications portant la réduction du temps de travail sont bien plus porteuses de sens, d’émancipation et de progrès social que celles portant sur l’augmentation du pouvoir d’achat. Puisque la volonté exclusive de réussir sa vie sur le plan financier et matériel sera perçue comme le symptôme de pathologies psychiques et d’un manque de maturité, la préoccupation exclusive pour la propriété, l’accumulation d’argent et de biens matériels ne suscitera plus l’admiration et l’envie, mais la suspicion et la méfiance. En n’étant plus l’étalon de la valeur de l’individu, l’argent perdra son pouvoir d’attraction et de corruption. En retrouvant sa fonction initiale : être un moyen de faciliter les échanges, le pouvoir de l’argent et donc, du mode « avoir » s’effondrera au profit du mode « être ».

L’effondrement du temps social, du mode de production et de la valeur du travail, ainsi que du pouvoir temporel de l’argent provoquera également le déclin de la légitimité de l’autorité des industriels, des banquiers et des milieux d’affaires. Pour le dire autrement, l’effondrement du mode « avoir » provoquera celui de l’ordre économique. À l’inverse du mode « avoir », le mode « être » est un processus immatériel qui ne peut pas s’accumuler et faire l’objet d’appropriation. En effet, il n’est pas possible d’accumuler ou de s’approprier une compétence et un savoir-faire. Même s’il est possible de quantifier le nombre de films tournés, de buts marqués et de romans écrits et vendus, le talent ne peut pas faire l’objet d’une appropriation ou d’un échange marchand. Par exemple, un club de football peut acheter un joueur de talent, mais il ne peut pas acheter le talent pour le donner à un autre joueur. Contrairement au rentier qui s’enrichit en dormant, le talent ne se développe pas et régresse s’il n’est pas entretenu par un travail régulier. La rivalité ostentatoire du mode « avoir » ayant été remplacée par la rivalité sur le mode « être », l’accumulation financière et matérielle ne sera plus un critère de distinction et de réussite sociale. À l’inverse du mode « avoir », le mode « être » favorisera l’égalité des conditions. En effet, chaque individu aura le droit de se former et de pratiquer l’activité de son choix. Étant donné que les talents et la volonté de les développer ne dépendront plus de la naissance et de l’origine sociale, ce seront les plus motivés qui réussiront. Ne reposant plus sur la capacité à « avoir » toujours plus (titre, fonction prestigieuse, statut professionnel, argent, bien matériel, etc…), la légitimité de l’autorité reposera désormais sur la volonté, le courage et la détermination de travailler dur pour développer ses connaissances, ses aptitudes et ses huit formes d’intelligence et s’accomplir. Les compétitions sportives, la publication d’articles, d’essais et de romans, les expositions, les pièces de théâtre, les courts métrages, les spectacles vivants, les concerts, ainsi que la participation à la vie politique et associative permettront à chacun de légitimer son autorité, de faire valoir ses talents et d’exprimer la maîtrise de son art. Cette conception de la vie ne relève pas d’une utopie, car elle est déjà en œuvre. En effet, les stars du rock, du cinéma, du sport, de la musique, etc…, ainsi que les hommes et les femmes qui se consacrent à la recherche scientifique et œuvrent au service de la société sont déjà les héros des temps modernes. Dans le film Rollerball[2], les cadres dirigeants envient la notoriété de Jonathan E (vedette de l’équipe de rollerball de Huston), qui menace la légitimité de leur autorité et donc, l’ordre social. Les chercheurs (Einstein, Pasteur, etc…,), les hommes politiques éminents (Gandy, Martin Lutter King, Nelson Mandela, etc…) et les hommes de conviction (l’Abbé Pierre, Mère Theresa, etc…) incarnent un modèle et un idéal à atteindre qui éclipsent déjà la notoriété des dirigeants des entreprises du CAC 40. Ces hommes et ces femmes sont davantage reconnus, respectés et adulés pour leurs talents, leurs courages, leurs volontés, et donc, pour ce qu’ils « sont », que pour ce qu’ils « ont ».

Étant donné que le statut professionnel, l’accumulation matérielle et la capacité à faire fructifier son argent ne seront plus des critères de réussite, de manière consciente ou inconsciente, les salariés, les cadres, les chefs d’entreprises, les entrepreneurs, les professions libérales, les agriculteurs, les artisans et les commerçants remettront en question la légitimité de l’autorité de l’élite économique. La légitimité de l’autorité d’un individu n’étant plus déterminée par ce qu’il « a », mais par ce qu’il « est », le pouvoir des industriels, des banquiers et des milieux d’affaires s’effondrera au profit des créatifs culturels. Issus du mode « être », ils incarneront donc la nouvelle catégorie sociale dominante. En réorganisant la société autour de nouveaux temps sociaux, de nouvelles valeurs, de nouveaux modes de production, les créatifs culturels provoqueront l’effondrement de l’ordre économique. Tandis que l’argent du bourgeois a remplacé la naissance du noble, le mode « être » des créatifs culturels remplacera le mode « avoir » de l’élite économique.

Le passage du mode « avoir » au mode « être » provoquera également un changement du système hiérarchique. Tandis que celui du mode « avoir » est vertical, celui du mode « être » sera horizontal. Étant donné que les fonctions prestigieuses, les titres de noblesse, l’argent, les biens ostentatoires, etc… sont limités, leur appropriation fait l’objet d’une compétition qui favorise la construction d’une hiérarchie sociale verticale. Avec les 4 jours de temps libre, les activités de socialisation et d’expression seront abondantes. Puisque l’abondance ne provoque pas de compétition, la structure hiérarchique verticale s’effondrera au profit d’un système d’organisation social horizontal. Au sein des associations, le pouvoir de gérer et d’administrer sera délégué aux membres du bureau qui auront été élus par les adhérents lors de l’Assemblée générale. Au niveau local, les maires et les élus de quartiers auront la mission de faciliter la mise en œuvre des conseils de quartiers et des comités de citoyens.

En accélérant tous ces processus, la réduction de la durée légale de la semaine de travail à 3 jours favorisera l’accès à la cinquième phase de la dynamique des temps sociaux. Le pouvoir temporel, spirituel, économique et politique étant détenu par les créatifs culturels, ils auront désormais la responsabilité de mettre en œuvre un nouveau modèle économique, de voter les lois, d’organiser le rythme de la société et de maintenir l’ordre social. En donnant à la population les moyens de se réconcilier avec son temps, les 4 jours de temps libre permettront à la France et aux pays industrialisés de sortir de la crise systémique qu’ils subissent depuis le milieu des années 70.

  • Mettront-ils l’économie au service de l’émancipation de l’homme ?

N’apparaissant plus comme une atteinte à la propriété et un enjeu de pouvoir, le partage équitable des gains de productivité et de la valeur ajoutée ne fera plus l’objet de rapport de force. Au lieu de s’opposer aux projets des créatifs culturels, les industriels, les banquiers et les milieux d’affaires favoriseront la mise en œuvre d’un nouveau modèle économique, dont la finalité sera, d’une part, d’en finir avec le chômage et la peur du chômage, et, d’autre part, de mettre l’économie au service du développement et de l’émancipation de chaque individu. En accompagnant sa mise en œuvre, ils recevront la reconnaissance et l’admiration qu’ils suscitaient en s’enrichissant. Étant donné qu’il s’inspire de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, ce modèle économique et social ne relève pas d’une utopie.

Extrait de la déclaration universelle des droits de l’homme

Article 21 : 1. Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis. 2. Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. 3. La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote.

Article 22 : Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays.

Article 23 : 1. Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. 2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal. 3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale. […]

Article 24 : Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques.

Article 25 : 1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. 2. La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciale. […]

 Article 26 : 1. Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. L’enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. 2. L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. 3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants.

Article 27 : 1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. 2. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur.

Au nom des droits de l’homme, chaque individu doit avoir les moyens d’assurer sa subsistance et celle de sa famille. Pour gagner dignement sa vie, un individu doit avoir le droit et le devoir d’accéder à un emploi sécurisé et stable. Cet emploi doit lui procurer les moyens de se nourrir, de se vêtir, de se loger, de payer ses factures d’eau, de gaz et d’électricité et de s’assurer un minimum de confort matériel. Ce modèle économique doit également lui donner les moyens d’accéder à un système de sécurité sociale qui garantira sa subsistance en cas de maladies, de maternité, d’accident, d’invalidité, de veuvage ou de vieillesse.

Au niveau national, les représentants du peuple élu auront la responsabilité de voter les lois qui permettront de mettre en œuvre ce modèle économique : réduire la durée légale de la semaine de travail à 3 jours, fixer le montant du revenu optimal et maximum, voter la « loi du Maximum », etc… La stabilité de ce modèle économique nécessitera également de réformer la fiscalité et de réglementer le système financier et monétaire. Pour que ces lois orientent les choix économiques et politiques de la nation, elles devront être inscrites dans la Constitution nationale.

Au niveau local, les maires et les élus de quartiers auront la responsabilité de coordonner et de faciliter la mise en œuvre de la démocratie participative. Les conseils de quartiers contribueront à la réflexion, à la délibération et aux prises de décision qui concernent la vie du village, de la ville ou du quartier : les transports en commun, l’aménagement du territoire, le logement, les crèches, la gestion de l’eau, la culture, la vie associative, etc… En établissant des zones de production agricole et maraîchère autour des communes, ils favoriseront la création d’AMAP, les circuits courts et l’autonomie alimentaire.

La Déclaration universelle des droits de l’homme considère également que le bien-être ne se limite pas au revenu et au confort matériel. En effet, chaque individu a le droit aux repos, à la limitation de la durée du travail et aux congés payés. Tous ont le droit d’accéder à un système éducatif qui favorise le libre arbitre, le respect du droit, la tolérance, ainsi que le développement et l’émancipation de sa personnalité. Tous ont également le droit de prendre part à la vie culturelle, de pratiquer une activité artistique, de participer au progrès de la science et de contribuer à la vie démocratique.

Au niveau national, le gouvernement devra également créer un ministère du temps libre qui aura la mission d’organiser, de financer et de cordonner toutes les activités liées au temps libre. Ce ministère aura la responsabilité de fournir aux communes les moyens de financer la construction d’infrastructures collectives (centres d’éducations populaires, centres d’activités artistiques et sportives et laboratoires de recherche). Il aura également la charge de recruter, de former et de rémunérer cinq millions de formateurs, d’animateurs, de psychologues, de professeurs et d’entraîneurs. Ces nouveaux emplois permettront, d’une part, d’absorber les destructions d’emplois provoqués par les gains de productivité, et, d’autre part, de créer une nouvelle branche d’activités, dont la finalité sera l’émancipation de l’Homme. Au niveau local, en fonction des attentes de la population et en partenariat avec les associations, les conseils de quartiers auront la responsabilité d’organiser le rythme de la société autour de la formation et des activités artistiques, manuelles et sportives amateurs.

Non seulement, la réduction de la durée légale de la semaine de travail à 3 jours permettra d’en finir avec le chômage, mais en plus, elle apparaît comme la condition d’un changement de mode de vie et d’une transformation sociale. Puisque les 4 jours de temps libre, l’aménagement du temps de travail et la régulation des prix de l’alimentation et du logement permettront aux couches populaires et aux classes moyennes, ainsi qu’aux cadres, aux chefs d’entreprise, aux entrepreneurs, aux professions libérales, aux agriculteurs, aux artisans et aux commerçants d’accéder à un mode de vie plus sobre en améliorant leur qualité de vie, ces choix seront viables, atteignables et désirables. Étant désirable, au même titre que la société de consommation, ce mode de vie se mettra en œuvre en moins de 10 ans. En permettant de réduire considérablement les rejets de CO2, le gaspillage des matières premières, la pollution de l’eau, de l’air et des sols et la disparition de la biodiversité, ce mode de vie et ce modèle économique plus sobre favoriseront l’inversion des processus écologiques et climatiques en cours qui menacent la qualité de vie, le processus démocratique et la survie des générations présentes et à venir. En favorisant, d’une part, le développement et l’émancipation de chaque individu, et, d’autre part, le passage du mode « avoir » au mode « être », ce nouveau modèle économique et social provoquera également un changement de société, voire de civilisation, dont dépendent la survie et l’avenir de l’humanité.

Après avoir démontré que la réduction du temps de travail est désormais la seule solution envisageable pour en finir avec le chômage, il apparaît nécessaire de s’intéresser aux motivations qui poussent les individus à agir. Avec l’essai, « Satisfaire nos besoins : un choix de société ! », je propose d’aborder les conditions d’un changement de mode de vie individuel et de la transformation sociale à partir du rapport au temps et des besoins.

Jean-Christophe Giuliani

 

Cet article est extrait de l’ouvrage « En finir avec le chômage : un choix de société ! ».  Ce livre permet d’appréhender les enjeux du choix entre la relance de la croissance du PIB ou de la réduction du temps de travail. Vous pouvez le commander sur le site des Éditions du Net sous un format ePub ou Papier.


Pour accéder aux pages suivantes :

– La réduction du temps de travail : un choix de société !

– Disposer de 4 jours de temps libre : le choix du mode être !

 

[1] Meilleurtaux.com, Calcul des mensualités de votre prêt immobilier, [En ligne] (consulté le 2 janvier 2019), https://www.meilleurtaux.com/credit-immobilier/simulation-de-pret-immobilier/calcul-des-mensualites.html

[2] Jewison Norman, Rollerball, United Artists, 1975, 120 min.

4 réflexions sur « Disposer de 4 jours de temps libre : un choix de société ! »

  1. Très bon texte, mais comment pouvons nous faire davantage pression sur nos politiques pour se diriger vers ce changements de paradigme.

  2. Je pense qu’il faut commencer par faire émerger le débat sur la réduction du temps de travail et ses enjeux politiques et sociaux sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.).

    Si vous souhaitez que le projet qui est porté par ce texte s’incarne dans la réalité, partagez le autour de vous et faite le circuler sur le réseau.

  3. « Qui a vécu par le glaive périra par le glaive ». On ne pourra imposer notre volonté aux politiques qu’en passant par le système politique, c’est à dire en portant un projet à la présidentielle. Quelle meilleure tribune aurions nous pu avoir que le débat des primaires ?

  4. Pour imposer notre volonté aux politiques, il faut être porteurs de nouvelles idées et d’un projet de société réellement innovant, qui répondent aux aspirations d’une part croissante des citoyens. Les primaires auraient pu, en effet, être une tribune pour faire émerger de nouvelles idées.

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