Comment préserver son pouvoir d’achat en travaillant 3 jours ?

Pour que la semaine de 3 jours soit viable et désirable, le pouvoir d’achat des ménages doit sécuriser l’accès aux subsistances et à un minimum de confort matériel. Puisque le pouvoir d’achat est lié au taux horaire du travail, au temps de travail et à la part du Smic allouée aux subsistances, il existe de nombreux moyens de l’augmenter. En postulant qu’il faut réduire le temps de travail à salaire égal, les syndicats et les partis de gauche en empêchent la réduction. Tandis qu’un taux horaire du travail trop bas serait insuffisant, un trop élevé risquerait de provoquer une hausse des coûts de production unitaire et donc, des prix. Afin d’éviter une hausse des prix, qui provoquerait une diminution du pouvoir d’achat, il est donc nécessaire d’envisager sa hausse autrement.

Avant de proposer des solutions pour sécuriser l’accès aux subsistances, je commencerai par étudier l’évolution de la part du Smic allouée à l’alimentation et au logement. Afin de les sécuriser, je proposerai ensuite de remplacer le Smic par le « Revenu optimal ». Après avoir étudié séparément les causes de la hausse de ces dépenses, je proposerai des solutions pour les réduire. Pour montrer que le contrôle des prix ne relève pas d’une utopie, je terminerai ce travail en abordant l’histoire de la régulation et de la dérégulation des prix des subsistances.

L’évolution de la part du Smic allouée à l’alimentation et au logement.

Pour être viable et désirable, la semaine de 3 jours doit sécuriser l’accès aux dépenses consacrées à l’alimentation et au logement. Le graphique ci-dessous présente l’évolution des dépenses et de la part du Smic net mensuel allouée à l’alimentation et au logement de 1959 à 2013.

–  Source : Insee, 2.201 Consommations effectives par fonction à prix courants[1].
–  Source : Insee, 1.115 Produit intérieur brut et revenu national brut par habitant, Op.Cit.
–  Source : Insee, SM02 : salaire minimum de 1951 à 2005 (en euros courants)[2]
–  Source : Insee, SM01 : salaire minimum pour 35 heures hebdomadaires (en euros courants)[3]

La courbe des dépenses moyennes mensuelles par habitant allouées à l’alimentation et au logement a été obtenue en divisant les dépenses de consommation finale effective des ménages consacrée à ces dépenses par la population totale sur douze mois. Cette courbe correspond aux dépenses moyennes d’un individu indépendamment de son âge. J’ai pris en compte le Smic net mensuel d’un salarié à temps plein, car, d’une part, c’est le revenu qu’il perçoit réellement à la fin du mois, et, d’autre part, les évolutions de son taux horaire, du temps de travail et des prix ont un impact immédiat et visible sur la part allouée à ces dépenses et donc, sur son pouvoir d’achat.

De 1959 à 2013, les dépenses allouées à l’alimentation et au logement sont passées de 16 € à 578 €. Tandis que le montant du Smic net mensuel passait de 39 € à 1 121 €, la part du Smic allouée à ces dépenses passait de 41 % à 51,6 %, soit une hausse de 10,5 points. Le montant du Smic ayant été multiplié par 28,7, il n’a pas permis d’absorber la hausse de ces dépenses qui l’ont été par 36. Afin d’appréhender les causes de la perte de pouvoir d’achat des ménages, avec l’exemple d’Alain, qui est au Smic et caissier à temps plein, je propose d’étudier l’évolution des dépenses et de la part du Smic allouée à l’alimentation et au logement sur les périodes de 1959 à 1967, de 1967 à 1982, de 1982 à 2003 et de 2003 à 2013.

  • L’évolution de la part du Smic de 1959 à 2013.

En étudiant l’évolution de la part du Smic allouée aux subsistances, il est possible d’appréhender les causes de la hausse de ces dépenses. De 1959 à 1967, les dépenses d’Alain allouées à l’alimentation et au logement sont passées de 16 € à 30 €. Tandis que le montant du Smig net mensuel passait de 39 € à 52 €, la part qu’il allouait à ces dépenses passait de 41,1 % à 58 %. En passant de 49,7 % à 54 %[4], la hausse de 4,3 points de la part de la valeur ajoutée versée en faveur de la rémunération des salariés n’a pas empêché la perte du pouvoir d’achat d’Alain de 17,9 points. La revalorisation du Smig, qui avait été instauré par la loi du 11 février 1950[5], était indexée sur le taux d’inflation. L’indice des prix ayant augmenté de 31,4 %[6], la hausse du taux horaire a été de 36,5 %. Le montant du Smig ayant augmenté de 33,3 %, il n’a pas permis à Alain de compenser la hausse de ces dépenses qui étaient de 88,4 %.

De 1967 à 1982, les dépenses d’Alain allouées à l’alimentation et au logement sont passées de 30 € à 171 €. Tandis que le montant du Smic d’Alain passait de 52 € à 441 €, la part qu’il allouait à ces dépenses passait de 58,1 % à 38,7 %. En passant de 54 % à 62 %[7], la hausse de 8 points de la valeur ajoutée versée aux salariés a provoqué une hausse du pouvoir d’achat d’Alain de 19,4 points. Une partie de cette hausse est due à la revalorisation du Smig de 35 % obtenu lors des accords de Grenelle de mai 1968[8]. Le 2 janvier 1970, le Smig a été remplacé par le Smic. Le taux horaire du Smic étant indexée sur l’indice des prix à la consommation (article L141-3 du Code du travail[9]) et le salaire moyen (article L141-7), il augmentait plus vite que celui du Smig. Le taux d’inflation ayant été multipliés par 3,8 et le salaire moyen par 5,6, le taux horaire du Smic a été multiplié par 9. Le montant du Smic ayant été multiplié par 8,5, il a permis à Alain d’absorber la hausse des dépenses qu’il consacrait à l’alimentation et au logement qui a été multiplié par 5,7. En diminuant la part des dépenses, la hausse du Smic a provoqué une hausse du pouvoir d’achat d’Alain.

De 1982 à 2003, les dépenses d’Alain allouées aux subsistances sont passées de 171 € à 439 €. Tandis que le Smic passait de 441 € à 851 €, la part des dépenses d’Alain passait de 38,7 % à 51,6 %. En passant de 62 % à 57 %[10], la baisse de 5 points de la valeur ajoutée versée aux salariés a provoqué une perte de pouvoir d’achat d’Alain de 12,9 points. Cette perte est également due, dans une moindre mesure, à la loi Aubry sur les 35 heures. De 2000 à 2003, à cause des 35 heures, comme le montant du Smic a diminué de 0,6 %, il n’a pas permis de compenser la hausse des dépenses d’Alain qui ont augmenté 11,4 %. Le taux horaire du Smic ayant été revalorisé de 146 %, il n’a pas suivi la hausse de taux de l’indice des prix qui a augmenté de 81,9 % et celle de 106 % du salaire moyen. À cause de ce décrochage de 41,9 points, la revalorisation du montant du Smic de 94,9 % n’a pas permis à Alain de compenser la hausse de 157 % du budget alloué à ces dépenses. La mise en œuvre de la doctrine idéologique ultralibérale a donc provoqué une diminution du pouvoir d’achat d’Alain de 62,1 points.

De 2003 à 2013, les dépenses d’Alain sont passées de 439 € à 578 €. Tandis que le montant du Smic passait de 851 € à 1 121 €, la part qu’il allouait à ces dépenses se stabilisait à 51,6 %. En passant de 57 % à 58,4 %[11], la hausse de 1,4 point de la valeur ajoutée versée aux salariés a provoqué la stagnation du pouvoir d’achat d’Alain. Même si le taux d’inflation a augmenté de 17,7 % et le salaire moyen de 24,4 %, le taux horaire du Smic a seulement été revalorisé de 31,2 %. À cause de cet écart de 10,9 points, la hausse du Smic de 31,7 % a juste permis d’absorber la hausse des dépenses allouées à l’alimentation et au logement sans augmenter le pouvoir d’achat d’Alain. La hausse du Smic a donc juste compensé la perte occasionnée par les 35 heures.

Cette étude montre que le pouvoir d’achat des ménages est étroitement lié au taux horaire du Smic, au temps de travail, à la valeur ajoutée versée aux salariés, ainsi qu’aux dépenses allouées à l’alimentation et au logement. Pour l’augmenter, il suffit donc d’agir sur l’un de ces facteurs.

  • Le pouvoir d’achat des salariés qui travailleront 3 jours par semaine.

La doctrine idéologique ultralibérale, dont les principes de base sont le libre marché, la dérégulation des prix et la privatisation des services publics, a été mise en œuvre à partir de 1983. De 1982 à 2013, la part de la valeur ajoutée redistribuée aux salariés sous la forme d’une rémunération est passé 62 % à 58,4 %. À cause de cette baisse de 4,4 points, la part du Smic allouée à l’alimentation et au logement d’Alain est passée de 38,7 % à 51,6 %. Il a donc subi une perte de pouvoir d’achat de 12,9 points.

En 2013, si la durée légale de la semaine de travail d’Alain était passée à 24 heures, à taux horaire constant, son salaire net mensuel aurait été de 768 € en travaillant 3 jours. Le montant des dépenses allouées à l’alimentation et au logement étant de 578 €, la part du Smic, qu’Alain aurait alloué à ces dépenses, serait passée de 51,6 % à 75,3 %. À cause de cette hausse de 23,7 points, le pouvoir d’achat d’Alain n’aurait pas été viable et désirable.

En 1982, avant la mise en place de cette doctrine idéologique, la part de ces dépenses était de 38,7 %. Pour que le revenu d’un salarié qui travaillera 3 jours soit viable et désirable, cette part doit donc passer de 75,3 % à 38,7 %. Pour qu’elle diminue de 36,6 points, je propose d’intervenir sur le taux horaire du travail et les dépenses allouées à l’alimentation et au logement.

Jean-Christophe Giuliani

 

Cet article est extrait de l’ouvrage « En finir avec le chômage : un choix de société ! ».  Ce livre permet d’appréhender les enjeux du choix entre la relance de la croissance du PIB ou de la réduction du temps de travail. Vous pouvez le commander sur le site des Éditions du Net sous un format ePub ou Papier.


Pour accéder aux pages suivantes :

– Quel sera le revenu des salariés qui travailleront 3 jours par semaine ?

– Comment subvenir aux besoins essentiels en gagnant 1 150 € par mois ?

[1] Insee, 2.201 Consommations effectives par fonction à prix courants, [En ligne] (consulté le 28 décembre 2016), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2383640?sommaire=2383694

[2] Insee, SM02 : salaire minimum de 1951 à 2005, [En ligne] (consulté le 14 février 2017), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2122816?sommaire=2122819

[3] Insee, SM01 : salaire minimum pour 35 heures hebdomadaires (en euros courants), [En ligne] (consulté le 14 février 2017), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2122816?sommaire=2122819

[4] Insee, 1.107 Partage de la valeur ajoutée brute à prix courants [En ligne] (consulté le 25 février 2017), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2383629?sommaire=2383694

[5] Wikipédia, Salaire minimum interprofessionnel garanti, [En ligne] (consulté le 12 janvier 2019), https://fr.wikipedia.org/wiki/Salaire_minimum_interprofessionnel_garanti. Le Smig fixait un planché minimum au taux horaire de la rémunération de tous les salariés, dont la revalorisation était indexé sur la hausse du taux de l’indice des prix à la consommation.

[6] France-inflation.com, Tableau de l’inflation en France avec inflateur cumulé depuis 1961, [En ligne] (consulté le 6 octobre 2018), http://france-inflation.com/inflation-depuis-1901.php

[7] Insee, 1.107 Partage de la valeur ajoutée brute à prix courants, Op-Cit.

[8] Wikipédia, Accord de Grenelle, [En ligne] (consulté le 6 octobre 2018), https://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_de_Grenelle

[9] Légifrance, Salaire minimum de croissance , [En ligne] (consulté le 6 octobre 2018), https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idSectionTA=LEGISCTA000006154055&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=19821113 Article L141-3 : lorsque l’indice national des prix à la consommation atteint un niveau correspondant à une hausse d’au moins 2 % par rapport à l’indice constaté lors de l’établissement du salaire minimum de croissance immédiatement antérieur, le salaire minimum de croissance est relevé dans la même proportion à compter du premier jour du mois qui suit la publication de l’indice entraînant ce relèvement. Article L141-7 : En aucun cas, l’accroissement annuel du pouvoir d’achat du Smic ne peut être inférieur à la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat des salaires horaires moyens enregistrés par l’enquête trimestrielle du ministère du travail.

[10] Insee, 1.107 Partage de la valeur ajoutée brute à prix courants, Op-Cit.

[11] Insee, 1.107 Partage de la valeur ajoutée brute à prix courants, Op-Cit.

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