Réguler les prix de l’alimentation

Pour que la semaine de 3 jours soit viable et désirable, le revenu optimal de 1 150 € par mois doit sécuriser l’accès aux subsistances et à un minimum de confort matériel. Puisque le pouvoir d’achat est lié à la part du Smic allouée aux subsistances, il existe de nombreux moyens de l’augmenter. Avant de proposer des solutions pour sécuriser l’accès aux subsistances, je commencerai par étudier l’évolution de la part du Smic allouée à l’alimentation et au logement. Après avoir étudié séparément les causes de la hausse de ces dépenses, je proposerai des solutions pour les réduire.

L’évolution de la part du Smic allouée à l’alimentation et au logement.

Pour être viable et désirable, la semaine de 3 jours doit sécuriser l’accès aux dépenses consacrées à l’alimentation et au logement. Le graphique ci-dessous présente l’évolution des dépenses et de la part du Smic net mensuel allouée à l’alimentation et au logement de 1959 à 2013.

–  Source : Insee, 2.201 Consommations effectives par fonction à prix courants[1].
–  Source : Insee, 1.115 Produit intérieur brut et revenu national brut par habitant, Op.Cit.
–  Source : Insee, SM02 : salaire minimum de 1951 à 2005 (en euros courants)[2]
–  Source : Insee, SM01 : salaire minimum pour 35 heures hebdomadaires (en euros courants)[3]

La courbe des dépenses moyennes mensuelles par habitant allouées à l’alimentation et au logement a été obtenue en divisant les dépenses de consommation finale effective des ménages consacrée à ces dépenses par la population totale sur douze mois. Cette courbe correspond aux dépenses moyennes d’un individu indépendamment de son âge. J’ai pris en compte le Smic net mensuel d’un salarié à temps plein, car, d’une part, c’est le revenu qu’il perçoit réellement à la fin du mois, et, d’autre part, les évolutions de son taux horaire, du temps de travail et des prix ont un impact immédiat et visible sur la part allouée à ces dépenses et donc, sur son pouvoir d’achat.

De 1959 à 2013, les dépenses allouées à l’alimentation et au logement sont passées de 16 € à 578 €. Tandis que le montant du Smic net mensuel passait de 39 € à 1 121 €, la part du Smic allouée à ces dépenses passait de 41 % à 51,6 %, soit une hausse de 10,5 points. Le montant du Smic ayant été multiplié par 28,7, il n’a pas permis d’absorber la hausse de ces dépenses qui l’ont été par 36. Afin d’appréhender les causes de la perte de pouvoir d’achat des ménages, avec l’exemple d’Alain, qui est au Smic et caissier à temps plein, je propose d’étudier l’évolution des dépenses et de la part du Smic allouée à l’alimentation et au logement sur les périodes de 1959 à 1967, de 1967 à 1982, de 1982 à 2003 et de 2003 à 2013.

  • L’évolution de la part du Smic de 1959 à 2013.

En étudiant l’évolution de la part du Smic allouée aux subsistances, il est possible d’appréhender les causes de la hausse de ces dépenses. De 1959 à 1967, les dépenses d’Alain allouées à l’alimentation et au logement sont passées de 16 € à 30 €. Tandis que le montant du Smig net mensuel passait de 39 € à 52 €, la part qu’il allouait à ces dépenses passait de 41,1 % à 58 %. En passant de 49,7 % à 54 %[4], la hausse de 4,3 points de la part de la valeur ajoutée versée en faveur de la rémunération des salariés n’a pas empêché la perte du pouvoir d’achat d’Alain de 17,9 points. La revalorisation du Smig, qui avait été instauré par la loi du 11 février 1950[5], était indexée sur le taux d’inflation. L’indice des prix ayant augmenté de 31,4 %[6], la hausse du taux horaire a été de 36,5 %. Le montant du Smig ayant augmenté de 33,3 %, il n’a pas permis à Alain de compenser la hausse de ces dépenses qui étaient de 88,4 %.

De 1967 à 1982, les dépenses d’Alain allouées à l’alimentation et au logement sont passées de 30 € à 171 €. Tandis que le montant du Smic d’Alain passait de 52 € à 441 €, la part qu’il allouait à ces dépenses passait de 58,1 % à 38,7 %. En passant de 54 % à 62 %[7], la hausse de 8 points de la valeur ajoutée versée aux salariés a provoqué une hausse du pouvoir d’achat d’Alain de 19,4 points. Une partie de cette hausse est due à la revalorisation du Smig de 35 % obtenu lors des accords de Grenelle de mai 1968[8]. Le 2 janvier 1970, le Smig a été remplacé par le Smic. Le taux horaire du Smic étant indexée sur l’indice des prix à la consommation (article L141-3 du Code du travail[9]) et le salaire moyen (article L141-7), il augmentait plus vite que celui du Smig. Le taux d’inflation ayant été multipliés par 3,8 et le salaire moyen par 5,6, le taux horaire du Smic a été multiplié par 9. Le montant du Smic ayant été multiplié par 8,5, il a permis à Alain d’absorber la hausse des dépenses qu’il consacrait à l’alimentation et au logement qui a été multiplié par 5,7. En diminuant la part des dépenses, la hausse du Smic a provoqué une hausse du pouvoir d’achat d’Alain.

De 1982 à 2003, les dépenses d’Alain allouées aux subsistances sont passées de 171 € à 439 €. Tandis que le Smic passait de 441 € à 851 €, la part des dépenses d’Alain passait de 38,7 % à 51,6 %. En passant de 62 % à 57 %[10], la baisse de 5 points de la valeur ajoutée versée aux salariés a provoqué une perte de pouvoir d’achat d’Alain de 12,9 points. Cette perte est également due, dans une moindre mesure, à la loi Aubry sur les 35 heures. De 2000 à 2003, à cause des 35 heures, comme le montant du Smic a diminué de 0,6 %, il n’a pas permis de compenser la hausse des dépenses d’Alain qui ont augmenté 11,4 %. Le taux horaire du Smic ayant été revalorisé de 146 %, il n’a pas suivi la hausse de taux de l’indice des prix qui a augmenté de 81,9 % et celle de 106 % du salaire moyen. À cause de ce décrochage de 41,9 points, la revalorisation du montant du Smic de 94,9 % n’a pas permis à Alain de compenser la hausse de 157 % du budget alloué à ces dépenses. La mise en œuvre de la doctrine idéologique ultralibérale a donc provoqué une diminution du pouvoir d’achat d’Alain de 62,1 points.

De 2003 à 2013, les dépenses d’Alain sont passées de 439 € à 578 €. Tandis que le montant du Smic passait de 851 € à 1 121 €, la part qu’il allouait à ces dépenses se stabilisait à 51,6 %. En passant de 57 % à 58,4 %[11], la hausse de 1,4 point de la valeur ajoutée versée aux salariés a provoqué la stagnation du pouvoir d’achat d’Alain. Même si le taux d’inflation a augmenté de 17,7 % et le salaire moyen de 24,4 %, le taux horaire du Smic a seulement été revalorisé de 31,2 %. À cause de cet écart de 10,9 points, la hausse du Smic de 31,7 % a juste permis d’absorber la hausse des dépenses allouées à l’alimentation et au logement sans augmenter le pouvoir d’achat d’Alain. La hausse du Smic a donc juste compensé la perte occasionnée par les 35 heures.

Cette étude montre que le pouvoir d’achat des ménages est étroitement lié au taux horaire du Smic, au temps de travail, à la valeur ajoutée versée aux salariés, ainsi qu’aux dépenses allouées à l’alimentation et au logement. Pour l’augmenter, il suffit donc d’agir sur l’un de ces facteurs.

  • Le pouvoir d’achat des salariés qui travailleront 3 jours par semaine.

La doctrine idéologique ultralibérale, dont les principes de base sont le libre marché, la dérégulation des prix et la privatisation des services publics, a été mise en œuvre à partir de 1983. De 1982 à 2013, la part de la valeur ajoutée redistribuée aux salariés sous la forme d’une rémunération est passé 62 % à 58,4 %. À cause de cette baisse de 4,4 points, la part du Smic allouée à l’alimentation et au logement d’Alain est passée de 38,7 % à 51,6 %. Il a donc subi une perte de pouvoir d’achat de 12,9 points.

En 2013, si la durée légale de la semaine de travail d’Alain était passée à 24 heures, à taux horaire constant, son salaire net mensuel aurait été de 768 € en travaillant 3 jours. Le montant des dépenses allouées à l’alimentation et au logement étant de 578 €, la part du Smic, qu’Alain aurait alloué à ces dépenses, serait passée de 51,6 % à 75,3 %. À cause de cette hausse de 23,7 points, le pouvoir d’achat d’Alain n’aurait pas été viable et désirable.

En 1982, avant la mise en place de cette doctrine idéologique, la part de ces dépenses était de 38,7 %. Pour que le revenu d’un salarié qui travaillera 3 jours soit viable et désirable, cette part doit donc passer de 75,3 % à 38,7 %. Pour qu’elle diminue de 36,6 points, je propose d’intervenir sur les dépenses allouées à l’alimentation et au logement.

Comment intervenir sur les dépenses allouées à l’alimentation ?

Pour être viable et désirable, le revenu de 1 150 € doit sécuriser les moyens de se nourrir. Le graphique ci-dessous présente l’évolution des dépenses et de la part du Smic net mensuel allouée à l’alimentation de 1959 à 2013.

–  Source : identiques au graphique « Dépenses et part du Smic allouées à l’alimentation et au logement ».

De 1959 à 2013, les dépenses allouées à l’alimentation sont passées de 11,2 € à 193 €. Tandis que le montant du Smic net mensuel passait de 39 € à 1 121 €, la part du Smic allouée à ces dépenses passait de 28,7 % à 17,3 %. Les dépenses ayant été multipliées par 17,3, la baisse de la part du Smic de 11,4 points n’est donc pas due à leur diminution, mais à la hausse du Smic, qui a été multiplié par 28,7. Pour que le revenu de 1 150 € soit viable, ces dépenses doivent donc diminuer. Avant de proposer des solutions, je propose d’identifier les causes de la hausse des dépenses allouées à l’alimentation et des prix des produits alimentaires.

  • Quelles sont les causes de la hausse des dépenses allouées à l’alimentation ?

De 1959 à 2013, l’industrie agroalimentaire et les cabinets de conseils en marketing ont multiplié par 17,3 les dépenses allouées à l’alimentation en intervenant sur l’offre et les prix. Pour augmenter les dépenses, ils ont augmenté la largeur de l’offre des produits alimentaires transformés. Une alimentation saine et équilibrée apporte les substances nutritives nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme. Elle nécessite de boire 1,5 litre d’eau par jour et de manger au quotidien 5 portions de 120 g de fruits et de légumes, 3 portions de 75 g de riz complet, de quinoas, de maïs, de patates douces ou de légumineux (lentilles, haricots, pois chiches, etc…), 30 g d’oléagineux (noix, amandes, noix de cajou, etc…), 2 à 3 œufs, 30 g de fromage, de 2 à 3 cuillères de 30 g d’huile d’olive, ainsi que 1 à 2 parts de poisson par semaine (sardine, maquereau, saumon, etc…).

Pour vivre plus longtemps et en bonne santé, il est non seulement conseillé d’éviter de manger trop de viande, de charcuterie et d’aliments glucidiques à index glycémique élevé (pâtes blanches, pain et riz blanc, etc…), mais surtout, de limiter considérablement, voire de supprimer les alcools forts et les boissons sucrées (sodas, jus de fruits, etc…), les produits sucrés (bonbons, pâtisseries, glaces, confitures, etc…) et les aliments transformés (snacks, produits frits, plats préparés, viandes transformées, etc…) qui contiennent trop de sel, de sucres, de matières grasses et d’additifs alimentaires (colorant, conservateur, antioxydant, édulcorants, glutamate, etc…).

Bien que les aliments frais et naturels favorables à une alimentation saine et équilibrée soient relativement limités, l’offre des produits alimentaires transformés ne cesse d’augmenter. En effet, le consommateur qui se rend dans les rayons alimentaires d’un hypermarché est confronté à une augmentation constante de la largeur et de la profondeur de l’offre. Par exemple, de 1999 à 2009, le nombre de références de plats préparés frais est passé de 91 à 174, soit une hausse de 91 %[12], celui des yaourts est passé de 209 à 281, soit une hausse de 35 %[13], etc… L’industrie agroalimentaire n’élargit pas l’offre pour nourrir la population, mais pour augmenter ses profits. En élargissant l’offre, elle tente de conquérir des niches de consommateurs toujours plus étroites disposées à acheter des produits qui se distinguent par leurs marques, leurs prix, leurs qualités, ainsi que pour leurs « fonctions nutritives » et leurs « bienfaits pour la santé » plus ou moins avérée.

Afin d’appréhender ce processus, je vais prendre l’exemple du besoin de s’hydrater. Pour s’hydrater, un individu a besoin de boire en moyenne 1,5 litre d’eau par jour. Afin de le détourner de l’eau du robinet, de multiples marques d’eau en bouteille sont apparues sur le marché (évian, Vittel, etc…). En communicant sur la qualité, la pureté et les bienfaits de l’eau en bouteille, ces marques motivent le consommateur à payer 1 € le litre d’eau au lieu de 0,003 €. En achetant une bouteille d’eau minérale de marque, le consommateur satisfait son besoin physiologique et de sécurité. En effet, en acceptant de payer 1 € la bouteille, il étanche sa soif en ayant le sentiment de boire une eau de qualité. La consommation d’eau en bouteille a un impact direct sur la hausse des dépenses allouées à l’alimentation. En 2013, comme ces dépenses s’élevaient à 193 €, si une bouteille de 1,5 litre coûtait 1 €, un individu qui en aurait bu une par jour aurait consacré chaque mois 30 €, soit 15,5 % de ses dépenses alimentaires. En consommant uniquement l’eau du robinet, il aurait seulement dépensé 0,09 €, soit 0,05 % de ses dépenses.

Malgré le fait que l’eau soit la boisson la mieux adaptée pour étancher la soif, les linéaires des hypermarchés offrent une largeur et une profondeur disproportionnée de boissons sans alcool (boissons aux fruits, soda, thé glacé, Pulco, etc…). De 1999 à 2009, en passant de 167 à 242 références, l’offre a progressé de 45 %[14]. La vocation de ces boissons aux goûts agréables n’est pas d’étancher la soif, mais de procurer un plaisir primaire. Étant donné que cette forme de plaisir s’épuise rapidement, pour s’en procurer à nouveau, le consommateur est motivé à renouveler fréquemment son acte d’achat et à accepter de payer ces boissons entre 0,80 et 5,50 € le litre. Au même titre que l’eau en bouteille, la consommation de ces boissons a un impact sur les dépenses allouées à l’alimentation. Une bouteille de Coca Cola de 1,5 litre coûte 1,55 € en Hypermarché. À raison d’une bouteille par jour, ce coût représente 46,5 €, soit 24 % des dépenses alimentaires. Il est possible de généraliser l’exemple du besoin de s’hydrater à l’ensemble des besoins de nutrition.

Afin d’augmenter les dépenses allouées à l’alimentation, ils ont élargi la profondeur de l’offre des produits alimentaires transformés. Face à la prolifération des organismes génétiquement modifiés (OGM) et à la multiplication des scandales sanitaires : le bœuf aux hormones, le lait maternel et les huiles frelatées, la crise de la vache folle, le scandale de la dioxine, les poulets à la dioxine, etc…, les consommateurs sont de plus en plus soucieux de la qualité sanitaire des produits alimentaires. Afin de répondre à leurs inquiétudes, les industriels de l’agroalimentaire et les enseignes de la grande distribution proposent des marques et des labels qui sont censés garantir la qualité et la sécurité sanitaire d’un produit. Au lieu de proposer une offre de qualité à un prix raisonnable, ils proposent une offre toujours plus profonde. La profondeur de l’offre permet de créer une échelle de prix entre des produits de bonnes ou de mauvaise qualité qui se distinguent par leurs prix : le 1er prix à la qualité douteuse, le produit de marque distributeurs (carrefour, Auchan, etc…) à la qualité moyenne et au prix moyen, le produit de marque (Danone, Nestlé, etc…) à prix élevés, ainsi que le produit labellisé (label rouge, critères qualité certifiés, etc…) et bio (Agriculture biologique, etc…) à la qualité et aux prix très élevés. En fonction de l’importance qu’il accorde à la qualité des produits et à sa santé, le consommateur aura, le choix entre une fourchette de prix qui varient du simple au triple (4 tranches de jambon cuit : 1er prix 1,38 € et Bio Fleury Michon 4,76 €, soit un écart de 245 %). Ce processus contribue à créer un modèle de consommation à deux vitesses : les consommateurs aisés qui consomment des produits dont la qualité est certifiée par un prix élevé et ceux qui consomment des produits « Low cost » de qualité douteuse à prix bas. Ce qui est vrai pour les produits alimentaires l’est également pour de nombreux biens et services marchands (vêtements, meubles, électroménagers, voitures, smartphones, etc…). En permettant une hausse des prix, l’augmentation de la largeur et de la profondeur de l’offre des produits alimentaires transformés a provoqué la hausse des dépenses et de la part du Smic allouées à l’alimentation.

  • Les causes de la hausse des prix des produits alimentaires.

Pour que les prix augmentent, ils doivent être fixés librement. Afin d’autoriser les acteurs économiques à les fixer librement, les politiques ont créé un cadre juridique favorable à la liberté des prix. Avant 1986, les prix étaient régulés par l’Ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix[15]. À cause de cette ordonnance, les prix des biens et des services (alimentation, logement, eau, gaz, électricité, etc…) n’étaient pas fixés librement, mais par des arrêtés ministériels. Pour que l’État ait les moyens de remplir sa mission, les entreprises devaient communiquer les informations relatives à leur activité : la justification des prix pratiqués, les éléments qui composent le prix et le coût analytiques des biens et services, etc… En abrogeant l’ordonnance de 1945, l’Ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence[16] a permis de fixer les prix librement en fonction de la loi du marché. Les prix étant libres, le prix d’un même produit peut varier d’un magasin à l’autre, d’une enseigne à l’autre, voire d’un magasin d’une même enseigne à l’autre en fonction de sa taille (Carrefour, Market, City, Express, etc…) et de sa localisation géographique (région, ville, quartier, centre-ville ou périphérie, etc…). À Lille, le prix de quatre tranches de jambon cuit, dont la marque et la référence sont identiques, peut fluctuer entre 2,99 € et 2,24 €, soit un écart de 33,5 % d’un magasin d’une même enseigne à l’autre.

Même si les prix étaient libres depuis 1986, les commerçants ne pouvaient pas se permettre de les augmenter trop brutalement sans que cela soit visible. Avant d’augmenter les prix, il était nécessaire de brouiller les repères dans l’esprit du consommateur. En brouillant les repères, le passage à l’euro, qui a eu lieu en France le 1er janvier 2002, a masqué la dérégulation des prix. Tandis qu’en 2000, le prix d’un sandwich était de 10 francs (1,52 €), en 2013 il était à 4,5 € (30 francs), soit une hausse de 195 %. Avant le passage à l’euro, aucune personne sensée n’aurait accepté de payer un sandwich 30 francs. À cause du brouillage des repères, un sandwich à 4,5 € semble aujourd’hui normal. Ce qui est vrai pour le sandwich l’est pour de nombreux biens et services de consommation : une bouteille d’eau (en 2018, 75 cl d’évian coûtait 3,5 € dans une boutique de la gare de Marseille), un café pris en terrasse (Lille 5 francs en 2000 et 1,5 € en 2013), les croissants, les pâtisseries, les vêtements, les vélos, etc… Même si l’euro apparaît comme le principal responsable de la hausse des prix, il a juste masqué le véritable coupable. En effet, sans la liberté des prix autorisée par l’ordonnance de 1986, malgré le passage à l’euro, les commerçants n’auraient pas eu le droit de fixer les prix librement et donc, de les augmenter.

  • Les causes de la stagnation du taux d’inflation et du Smic.

Depuis le passage à l’euro et la dérégulation des prix, de nombreux consommateurs affirment, à tort ou à raison, que les prix de certains produits alimentaires auraient fortement augmenté. Les prix ayant augmenté, le Smic aurait dû augmenter. En effet, le taux horaire du Smic étant indexé sur l’inflation, la loi L141-3 du Code du travail stipule que lorsque le taux d’inflation augmente d’au moins 2 %, le Smic augmente dans la même proportion. De 2002 à 2013, le taux d’inflation a augmenté de 20,1 %[17], soit une moyenne inférieure à 2 % par an. L’enquête sur les prix, publiée par Nice-Matin en 2012, invite à questionner ce taux. Le tableau ci-dessous compare l’évolution des prix de produits de consommation courants entre 2000 et 2010.

–  Source : Nice-Matin, « Franc-Euro : notre enquête »[18].

En comparant les écarts de prix entre le Franc et son équivalent en euro, ce tableau montre qu’entre 2000 et 2010, le prix d’un litre de lait a augmenté de 59,7 %, de six œufs de 60,3 %, d’une baguette de 75 %, de 2,5 kg de pommes de terre de 96,3 % et d’une laitue de 206 %. Malgré ce constat, les experts de l’Insee affirment que le passage à l’euro n’a pas provoqué une flambée des prix[19]. Puisqu’entre 2002 et 2013, le taux d’inflation a seulement augmenté de 20,1 %, affirmer que le passage à l’euro aurait provoqué une hausse de prix compris entre 50 % et 200 % sur certains produits apparaît donc comme une erreur de perception de la réalité.

Afin d’infirmer ou de confirmer cette affirmation, je propose d’étudier le mode de calcul de l’indice des prix à la consommation (IPC). L’IPC, qui permet d’estimer entre deux périodes données la variation moyenne des prix des produits consommés par les ménages, est l’instrument de mesure de l’inflation. Publié chaque mois au Journal Officiel, l’IPC hors tabac sert à indexer le Smic, de nombreux contrats privés, les pensions alimentaires et les rentes viagères.

Le calcul de l’IPC repose sur l’observation d’un panier fixe de 1 000 familles de produits regroupés au sein de 161 groupes, actualisé chaque année. Ces groupes comprennent des biens et des services destinés aux subsistances (alimentation, loyer, énergie, eau, santé, etc…) et d’autres, qui sont plus ostentatoires (habillement, transport, informatique, communication, voyage, etc…), destinés à s’identifier à un groupe, à se distinguer et à affirmer sa réussite. Le tableau ci-dessous présente les variations moyennes annuelles de l’indice des prix de 2014 à 2015.

–  Sources : Insee – indices des prix à la consommation, a) Ensemble des ménages – France[20]

L’indice global pondère chaque produit proportionnellement à son poids dans le panier moyen d’un ménage. Le poids de la pondération de chaque groupe de produits est censé correspondre à la part des dépenses de consommation d’un consommateur moyen. En 2014, les produits manufacturés étaient pondérés à 25,8 %, l’énergie à 8,2 %, les services à 47,4 %, etc… Tandis que certaines de ces pondérations correspondent à la part de la consommation finale effective des ménages, d’autres n’y correspondent pas. Par exemple, comme la part de la consommation destinée à l’habillement et aux chaussures est de 4 %[21], elle correspond à la pondération de ces dépenses qui est de 4,4 %. La part de la consommation alimentaire étant de 13,4 %, même si elle est supérieure de 3,2 points, sa pondération, qui est de 16,6 %, correspond à ces dépenses. La part allouée au logement, à l’eau, au gaz, à électricité et aux autres combustibles étant de 26,5 %, la pondération de 7,7 % ne correspond pas aux dépenses allouées aux loyers, à l’eau et à l’enlèvement des déchets. Cet écart de 18,8 points peut donc expliquer la perception des ménages qui ont le sentiment que les prix des loyers ont augmenté bien plus vite que l’inflation, qui était seulement de 20,1 % entre 2002 et 2013.

Étant donné qu’il existe 161 groupes de produit, la hausse des prix d’un groupe peut être compensée par la baisse d’un autre sans provoquer l’augmentation de l’indice des prix. Tandis que les prix de l’habillement et des chaussures diminuaient de 0,9 %, ceux des produits frais, dont la pondération est de 2,1 %, augmentaient de 5,3 %. La baisse des prix de l’habillement, qui ne relève pas de besoins vitaux et d’une consommation quotidienne, a donc permis de compenser la hausse des prix de produits frais destinés aux subsistances sans provoquer la hausse de l’indice des prix.

Cette forme de compensation apparaît également entre les produits frais et les produits alimentaires transformés. Tandis que le prix des produits frais, qui sont pondérés à 2,1 %, augmentait de 5,3 %, celui des produits alimentaires transformés, qui sont pondérés à 14,5 %, diminuait de 0,2 %[22]. Si le prix des produits transformés n’avait pas diminué, la hausse des prix des produits frais aurait provoqué une augmentation de l’indice des prix. Entre 2014 et 2015, malgré un taux d’inflation de 0,5 %, le prix des légumes a augmenté de 6,8 % et celui des fruits de 4,8 %[23]. Étant donné qu’une hausse de prix peut être compensée, il est donc possible d’affirmer que, malgré un taux d’inflation de 20,1 %, les prix de certains produits frais et de consommation courants aient pu augmenter entre 50 % et 200 % entre 2002 et 2013.

Même si le taux d’inflation était de 20,1 %, à cause, d’une part, de la règle de compensation et d’une pondération inadéquate, et, d’autre part, des écarts de prix dus à la largeur et à la profondeur de l’offre et à la diversité des prix d’un même produit en fonction des points de vente, le prix des aliments sains pour la santé a pu augmenter bien plus vite que l’inflation. Le taux horaire du Smic étant indexé sur le taux d’inflation, les ménages au Smic, dont la part des dépenses allouées à l’alimentation est la plus élevée, subissent à la fois une hausse des prix des subsistances et une stagnation de leur revenu, qui se traduit par une perte de pouvoir d’achat. Malgré l’abondance de l’offre, les salariés sont contraints de travailler toujours plus pour assurer leur subsistance.

  • Comment réduire les dépenses allouées à l’alimentation ?

Pour réduire les dépenses allouées à l’alimentation, je propose d’intervenir sur les prix et la pondération de l’indice des prix. Avant 1986, les prix étaient régulés par l’Ordonnance n°45-1483 relative aux prix. Grâce à cette ordonnance, les prix des industriels, des commerçants et des supermarchés n’étaient pas fixés librement, mais par des arrêtés ministériels. En abrogeant l’ordonnance de 1945, l’Ordonnance n°86-1243 relative à la liberté des prix et de la concurrence a permis de fixer les prix en fonction de la loi du marché. Afin de réduire ces dépenses, l’État devra abroger l’ordonnance de 1986 pour la remplacer par une nouvelle « loi du Maximum » qui s’inspira de l’ordonnance de 1945. En limitant le taux de marge commerciale à 5 % du coût de production unitaire, en fixant les prix par arrêtés ministériels et en contrôlant la qualité des produits, la « loi du Maximum » permettra de baisser les prix et d’augmenter la qualité des produits.

En fixant et en contrôlant les prix, l’État aura à nouveau une emprise sur l’économie. Pour que ces services aient les moyens de remplir leurs missions, les entreprises devront communiquer les documents relatifs à leur activité : la justification des prix pratiqués, les éléments qui composent le prix et le coût analytiques des biens et services, etc… Les infractions à la législation sur les prix et la qualité seront sanctionnées par des amendes. La « loi du Maximum » s’appliquera à tous les biens et services destinés aux subsistances et à un minimum de confort matériel (alimentation, logement, loyer, factures d’eau, de gaz et d’électricité, transport, santé, etc…). Il est important de préciser que cette loi ne s’appliquera pas aux biens et aux services ostentatoires (iPhone, 4×4, montre, jet privé, yacht, voyages, etc…). Au nom de la « liberté » et de la lutte contre le réchauffement climatique, ces prix seront soumis à la loi du marché et à une « TVA ostentatoire ».

Le revenu optimal étant indexé sur le taux d’inflation, il augmentera au rythme de l’indice des prix à la consommation. Pour que les ménages au revenu optimal ne soient plus pénalisés par un taux d’inflation trop bas, le revenu de référence du calcul de l’IPC sera de 1 150 €. En ce qui concerne la pondération de l’indice des prix, elle devra correspondre à la part de la consommation des ménages. Si la part allouée au logement est de 21,3 %, sa pondération devra être de 21,3 %. Il apparaît également nécessaire de modifier la pondération d’un bien et d’un service en fonction de sa nature : subsistantes (logement, alimentation, eau, gaz, électricité, santé, etc…) ou ostentatoires. Les dépenses allouées aux subsistances étant vitales, la pondération de ces biens et services devra être plus élevée que celle allouée aux dépenses ostentatoires.

En fixant la « loi du Maximum », en limitant la marge commerciale à 5 %, en indexant le revenu optimal sur le taux d’inflation, en calculant l’indice des prix à partir du revenu optimal et en le pondérant en fonction de la part des dépenses de consommation et de la nature des biens et des services, il sera possible d’augmenter le pouvoir d’achat de ceux qui percevront un revenu de 1 150 € par mois. Et cela, sans pénaliser la compétitivité des entreprises.

Après avoir présenté des solutions pour réduire les dépenses allouées à l’alimentation, je propose d’intervenir sur celles allouées au logement.

Jean-Christophe Giuliani

 

Cet article est extrait de l’ouvrage « En finir avec le chômage : un choix de société ! ».  Ce livre permet d’appréhender les enjeux du choix entre la relance de la croissance du PIB ou de la réduction du temps de travail. Vous pouvez le commander sur le site des Éditions du Net sous un format ePub ou Papier.


Pour accéder aux pages suivantes :

– Pourquoi les prix du logement ont-ils augmenté ?

– L’historique de la régulation et de la dérégulation des prix des subsistances

[1] Insee, 2.201 Consommations effectives par fonction à prix courants, [En ligne] (consulté le 28 décembre 2016), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2383640?sommaire=2383694

[2] Insee, SM02 : salaire minimum de 1951 à 2005, [En ligne] (consulté le 14 février 2017), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2122816?sommaire=2122819

[3] Insee, SM01 : salaire minimum pour 35 heures hebdomadaires (en euros courants), [En ligne] (consulté le 14 février 2017), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2122816?sommaire=2122819

[4] Insee, 1.107 Partage de la valeur ajoutée brute à prix courants [En ligne] (consulté le 25 février 2017), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2383629?sommaire=2383694

[5] Wikipédia, Salaire minimum interprofessionnel garanti, [En ligne] (consulté le 12 janvier 2019), https://fr.wikipedia.org/wiki/Salaire_minimum_interprofessionnel_garanti. Le Smig fixait un planché minimum au taux horaire de la rémunération de tous les salariés, dont la revalorisation était indexé sur la hausse du taux de l’indice des prix à la consommation.

[6] France-inflation.com, Tableau de l’inflation en France avec inflateur cumulé depuis 1961, [En ligne] (consulté le 6 octobre 2018), http://france-inflation.com/inflation-depuis-1901.php

[7] Insee, 1.107 Partage de la valeur ajoutée brute à prix courants, Op-Cit.

[8] Wikipédia, Accord de Grenelle, [En ligne] (consulté le 6 octobre 2018), https://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_de_Grenelle

[9] Légifrance, Salaire minimum de croissance , [En ligne] (consulté le 6 octobre 2018), https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idSectionTA=LEGISCTA000006154055&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=19821113 Article L141-3 : lorsque l’indice national des prix à la consommation atteint un niveau correspondant à une hausse d’au moins 2 % par rapport à l’indice constaté lors de l’établissement du salaire minimum de croissance immédiatement antérieur, le salaire minimum de croissance est relevé dans la même proportion à compter du premier jour du mois qui suit la publication de l’indice entraînant ce relèvement. Article L141-7 : En aucun cas, l’accroissement annuel du pouvoir d’achat du Smic ne peut être inférieur à la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat des salaires horaires moyens enregistrés par l’enquête trimestrielle du ministère du travail.

[10] Insee, 1.107 Partage de la valeur ajoutée brute à prix courants, Op-Cit.

[11] Insee, 1.107 Partage de la valeur ajoutée brute à prix courants, Op-Cit.

[12] Le journal du net, 4e les plats préparés frais : +83 références en dix ans, [En ligne] (consulté le 10 octobre 2011), http://www.journaldunet.com/economie/distribution/les-references-en-hypermarche/plats-cuisines-frais.shtml

[13] Le journal du net, 8e les yaourts : +72 références en dix ans, [En ligne] (consulté le 10 octobre 2011), http://www.journaldunet.com/economie/distribution/les-references-en-hypermarche/yaourts.shtml

[14] Le journal du net, 6e, les boissons sans alcool : +75 références en dix ans, [En ligne] (consulté le 10 octobre 2011), http://www.journaldunet.com/economie/distribution/les-references-en-hypermarche/boissons-sans-alcool.shtml

[15] Légifrance, Ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix, [En ligne] (consulté le 15 mars 2017), https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000516237&categorieLien=cid

[16] Légifrance, Ordonnance n° 86-1243 du 1 décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, [En ligne] (consulté le 15 mars 2017), https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=8CC5770909CFA9FB2AA0603052347210.tpdjo09v_3?cidTexte=JORFTEXT000000333548&dateTexte=19960702

[17] France-Inflation.com, Tableau de l’inflation en France avec inflateur cumulé depuis 1901, Op-Cit.

[18] Chevalier Jean-Michel, Eric Galliano, Alain Maestracci, Jean-Charles Pierson et Jean-François Roubaud, « Franc-Euro : notre enquête », Nice-Matin, lundi 27 décembre 2010, page 2 à 5.

[19] Simon marie (2017), L’euro n’a pas fait flamber les prix, selon l’Insee, Le Figaro.fr, [En ligne] (consulté le 4 janvier 2019), http://www.lefigaro.fr/conso/2017/05/24/20010-20170524ARTFIG00145-l-euro-n-a-pas-fait-flamber-les-prix-selon-l-insee.php

[20] Insee, Stabilité des prix à la consommation en moyenne en 2015, Prix à la consommation – moyennes annuelles (IPC) – 2015, [En ligne] (consulté le 4 octobre 2018), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011356

[21] Insee, 2.201 Consommations effectives par fonction à prix courants, Op-Cit.

[22] Ibid.

[23] Insee, Stabilité des prix à la consommation en moyenne en 2015, Prix à la consommation – moyennes annuelles (IPC) – 2015, Op-Cit.