Favoriser la pratique d’activités émancipatrices

Avec la réduction de la durée légale de la semaine de travail à 3 jours, le temps libre sera le temps social dominant. Les activités associatives pratiquées durant le temps libre auront donc la responsabilité, d’une part, de structurer le rythme de vie de l’individu et de la société, et, d’autre part, de contribuer à l’intégration sociale et à la construction de l’identité de l’individu. Qu’elles soient artistiques, intellectuelles, manuelles, sportives ou scientifiques, ces activités sont déjà pratiquées par des professionnelles et des amateurs.

L’amateur est celui qui agit par amour de son art[1]. Il ne pratique pas pour gagner sa vie, mais pour développer ses facultés, s’exprimer et s’accomplir. Que ce soit dans le domaine artistique, intellectuel ou sportif, la pratique amateur est majoritaire en France. Autrefois réservée à une petite élite aristocratique et bourgeoise, la pratique de ces activités s’est étendue à toutes les classes sociales au rythme de la conquête du temps libre. Le jour de repos et la journée de 8 heures conquis en 1906 et en 1919, ainsi que les 2 jours de repos et les 2 semaines de congé payé conquis en 1936 ont permis aux salariés d’y accéder. Étant donné que les amateurs s’entraînent ou suivent un atelier après leurs journées de travail, le week-end ou durant les vacances, leurs pratiques sont considérées comme des loisirs ou des passe-temps. Le peu de temps qu’il consacre à sa pratique ne permet pas à l’amateur d’atteindre le niveau de maîtrise et d’expertise du professionnel. En consacrant seulement 2 h à la pratique de son art ou en s’entraînant 2 ou 3 fois par semaine après sa journée de travail, l’amateur n’a donc pas les moyens de rivaliser avec le professionnel.

Le professionnel est celui qui gagne sa vie en vendant ses prestations, ses performances ou ses œuvres sur un marché : par exemple le marché de l’art. En devenant professionnel, l’artiste, l’intellectuel, l’artisan ou le sportif salarié se transforme en marchandise, dont le prix fluctue en fonction de « l’offre et de la demande ». Son salaire et son prix sont justifiés par sa notoriété, ainsi que par la qualité de ses œuvres, de ses prestations ou de ses performances. Afin d’accéder à la maîtrise de son art et donc, à la perfection, il doit travailler dur pour développer sa technique, sa force physique, sa puissance, ses connaissances, etc. Malgré son courage, sa détermination et sa tempérance, la médaille, la reconnaissance ou la réussite sont très rarement au rendez-vous. Le niveau de compétition est tellement élevé que pour un artiste ou un sportif qui émerge et gagne correctement sa vie, il y en a des milliers qui restent dans l’ombre. Ceux qui ne parviennent pas à la lumière se contentent de survivre dans l’attente d’un recrutement, d’un contrat, d’une vente ou d’un succès hypothétique. La rétribution financière étant un facteur déterminant, la professionnalisation a renforcé le pouvoir de l’argent et donc, la légitimité de l’autorité de l’élite économique. En se transformant en marchandise et en source de profit, ces activités ont perdu leur vocation originelle, c’est à dire, être des activités de création, d’expression, de développement et d’émancipation.

La finalité de la semaine de 3 jours est de favoriser le développement et l’émancipation de chaque individu. Qu’elle soit artistique, manuelle ou sportive, pour qu’une activité soit réellement émancipatrice, elle doit échapper à la sphère marchande et à la domination de l’argent. Ce n’est donc pas la nécessité de gagner sa vie, mais la volonté de se socialiser, de se procurer du plaisir, de nourrir l’estime de soi, de se dépasser, d’aller au bout de ses potentialités, de s’accomplir et de stimuler ses huit formes d’intelligences qui doivent motiver la pratique d’une activité.

En travaillant 3 jours par semaine, l’individu assurera ses subsistances et ceux de la collectivité. Ayant remplis son devoir envers la société, il aura le droit de disposer de 4 jours de temps libre, dont il pourra faire usage librement. Durant ce temps libres, les 53 millions de Français de plus de 15 ans auront les moyens de pratiquer 2 jours par semaine une activité librement choisie. Début septembre, ceux qui le souhaiteront auront la possibilité de s’inscrire à un atelier artistique, manuel ou sportif ou d’intégrer un laboratoire de recherche scientifique. Pour s’inscrire à un atelier, ils devront adhérer à l’association qui l’encadre, à hauteur 150 € par an. Pour intégrer un laboratoire de recherche, ils devront commencer par se former en suivant un cursus universitaire. Fin juin, ceux qui le souhaiteront auront le droit de poursuivre l’activité qu’ils pratiquent ou de s’inscrire à une autre. L’État et les communes auront la responsabilité, d’une part, d’accompagner la création d’associations, et, d’autre part, de mettre à la disposition du public des centres d’animations artistiques, manuels et sportifs, des laboratoires de recherche, ainsi que des moyens techniques, matériels et humains. Si chaque atelier comprenait 12 personnes et que chaque animateur travaillait 12 heures (2 journées de 6 heurs), il faudrait former et créer plus de 3,3 millions d’emplois (professeurs, animateurs, formateurs, entraîneurs, maîtres artisan, etc.). Ces emplois viendront grossir les effectifs de la nouvelle branche d’activité liée à l’émancipation de l’Homme.

  • Que favorisera la pratique d’une activité artistique amateur ?

Il existe de nombreuses formes d’expressions artistiques (théâtre, peinture, musique, danse, chant, etc.) et intellectuelles (écrivain, compositeur, metteur en scène, philosophe, etc.). En 2009, 146 700 professionnels étaient artistes (musicien, chanteur, acteur, artiste de cirque, danseur, etc.), auteurs littéraires (scénariste, dialoguiste, etc.) ou liés aux métiers de l’art visuel (photographe, graphiste, peintre, plasticien, etc.)[2]. Malgré le nombre limité de professionnelles, la pratique amateur ne cesse de croître. En 2008, 12 millions de Français de plus de 15 ans, soit 24 % de la population[3], déclaraient pratiquer une activité artistique amateur dans une association. En pratiquant une activité artistique, l’individu se donnera les moyens de se socialiser, de nourrir l’estime de soi, de s’accomplir et de stimuler différentes formes d’intelligence.

Thomas est chef d’entreprise dans le secteur informatique. Avec un autre chef d’entreprise de son secteur, ils ont décidé d’aménager leur temps de travail sur l’année. Tandis que Thomas prendra en charge l’entreprise de janvier à juin, l’autre s’en chargera de juillet à décembre. Étant donné que Thomas est passionné par le théâtre, il aura la possibilité d’adhérer à une association qui propose des ateliers. En se rendant à l’atelier théâtre du vendredi au samedi de 9 h à 17 h, Thomas structure le rythme de sa vie. En retrouvant au quotidien les autres membres de l’atelier, il se socialise et renforce son sentiment d’appartenance. En montant sur scène et en obtenant le premier rôle d’une pièce, Thomas nourrit l’estime qu’il a de lui. En jouant le premier rôle, il obtient la reconnaissance du public et de ses pairs, se distingue des autres et affirme sa singularité. Afin de l’obtenir, il a dû consacrer du temps à apprendre son texte et à travailler sa technique pour exprimer au mieux les émotions de son personnage. En étant mis en scène, Thomas découvre que sa vocation est d’être metteur en scène. Ce sera donc à lui que reviendra la responsabilité de trouver la volonté, le courage et la détermination de développer ses connaissances et d’effectuer un long travail d’apprentissage pour acquérir les compétences techniques et humaines spécifiques à son art. En consacrant du temps à animer un atelier, à développer de nouvelles techniques, à écrire une pièce, à la mettre en scène et à la présenter au public, Thomas nourrit l’estime qu’il a de lui et s’accomplit.

En jouant et en écrivant une pièce de théâtre, Thomas développe également six formes d’intelligences. En écrivant un scénario, en étant sensible à l’expression orale, au rythme et au sens des phrases et en faisant appel à sa mémoire, Thomas développe son élocution, son art oratoire et son intelligence linguistique. En structurant le rythme et la tonalité de sa voix en fonction du texte, il développe son intelligence musicale[4]. En s’exprimant avec son corps, sa gestuelle et son visage, Thomas développe son intelligence kinesthésique[5]. En percevant les relations entre les acteurs et en visualisant les mouvements d’une scène, il développe son intelligence spatiale[6]. En prenant conscience de ses ressentis, Thomas apprend à exprimer les émotions et les intentions de son personnage. Ce processus lui permet de mieux se connaître, d’acquérir une plus grande maîtrise de soi et de développer son intelligence intra-personnelle. En travaillant avec d’autres acteurs, non seulement Thomas apprend à mieux communiquer et à se positionner au sein d’un groupe, mais en plus il développe son intelligence interpersonnelle. Toutes les aptitudes et formes d’intelligences, qu’il aura développées avec le théâtre, Thomas pourra les transférer à son activité professionnelle.

Favoriser la pratique d’une activité artistique au quotidien aura également des effets directs et indirects sur le climat et le budget alloué à la santé. En pratiquant son art, l’artiste se socialise, nourrit l’estime de soi et s’accomplit sans polluer, gaspiller des ressources limitées et rejeter du CO2. La généralisation de la pratique artistique amateur contribuera donc à inverser les processus écologiques et climatiques en cours et à réduire les dépenses de santé. Ce qui vaut pour l’artiste vaut également pour l’artisan, le travailleur manuel et le sportif.

  • Que favorisera la pratique d’une activité artisanale amateur ?

L’Homme aime imaginer et fabriquer des objets de ses propres mains. Il existe de nombreux métiers de l’artisanat (ébéniste, potier, pâtissier, cuisinier, couturier, etc.) et manuels (maçon, charpentier, maraîcher, éleveur, mécanicien, etc.) dont la maîtrise exige une formation et de la pratique. Dans le cadre de la semaine de 3 jours, tandis que l’artisan professionnel gagnera sa vie en vendant ses prestations, ses savoirs et ses savoir-faire, l’amateur pratiquera ces activités pour développer ses facultés et exprimer sa créativité. En pratiquant une activité artisanale ou manuelle dans une association, l’amateur se donnera les moyens de se socialiser, de nourrir l’estime de soi, de s’accomplir et de stimuler différentes formes d’intelligence.

Vincent a un emploi de responsable de rayon textile dans la grande distribution. Sa fonction d’encadrement n’étant pas compatible avec les 3 jours de travail par semaine, en accord avec l’autre responsable de rayon qui partage son poste, ils ont décidé d’aménager leurs emplois du temps sur 2 périodes de 6 mois. En travaillant de début janvier à fin juin, Vincent aura la possibilité de pratiquer les activités de son choix de début juillet à fin décembre. Étant passionné par la mode vestimentaire, Vincent décide d’adhérer à une association qui propose un atelier de couture. En se rendant à l’atelier de couture du lundi au mercredi de 9 h à 17 h, Vincent structure le rythme de sa vie. En retrouvant au quotidien les membres de cet atelier, il se socialise et renforce son sentiment d’appartenance. En portant les vêtements qu’il a créés ou en créant des costumes pour une troupe de théâtre, Vincent exprime son savoir-faire, se distingue des autres et affirme sa singularité. Pour créer ses vêtements, il a dû apprendre à coudre, à développer sa technique et à dessiner des modèles. En créant et en dessinant des vêtements, Vincent découvre que sa vocation est d’être styliste de mode. Ce sera donc à lui que reviendra la responsabilité de développer ses connaissances et ses compétences techniques pour maîtriser toutes les étapes de la création d’une collection. En développant sa technique, en dessinant des vêtements, en les cousant et en montrant sa collection lors de défilés, non seulement Vincent obtient la reconnaissance de ses pairs, mais en plus il nourrit l’estime qu’il a de lui et s’accomplit.

En pratiquant la couture et en devenant styliste, Vincent développe également quatre formes d’intelligences. En apprenant à organiser son travail, à prendre des mesures, à créer des patrons et à les décliner en fonction de la taille et de la morphologie du client, il développe son intelligence logico-mathématique. En dessinant des croquis et en associant les tissus, les formes et les couleurs avec harmonie, il développe son sens de l’esthétique, sa créativité et son intelligence spatiale. En étant précis, habile et rigoureux dans ses gestes, en développant son sens du toucher et en manipulant la matière, il développe son intelligence kinesthésique. En écoutant ses clients et en les conseillant pour répondre à leurs attentes, Vincent développe son intelligence interpersonnelle. Ce qui vaut pour le couturier vaut également, pour l’ébéniste, le potier, le pâtissier, le charpentier, etc.

Dans le secteur de l’habillement, la marque et donc, le prix permettent au consommateur de montrer son statut social, de se différencier et d’affirmer sa réussite. En apprenant le métier de couturier, l’individu aura la possibilité de se distinguer des autres et d’exprimer son savoir-faire, sa créativité et sa singularité en portant les vêtements qu’il aura lui-même créés. Ce processus sera le même pour tous les métiers artisanaux et manuels : fabriquer ses meubles, construire sa maison, produire ses légumes, etc. Celui qui souhaitera fabriquer ses propres meubles devra apprendre l’ébénisterie et la menuiserie. Celui qui souhaitera construire sa propre maison, devra apprendre l’architecture, la maçonnerie, la charpenterie, la plomberie, l’électricité, etc. Les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs et les producteurs maraîchers auront la responsabilité de produire et de pêcher les denrées alimentaires de manière productive, écologique et responsable pour assurer les subsistances à l’ensemble de la population. Celui qui souhaitera accéder à l’autonomie alimentaire aura également la possibilité de suivre un atelier pour apprendre à cultiver son potager et à élever ses animaux de basse-cour. En créant ses vêtements, en produisant ses meubles, en construisant sa maison, etc., l’individu se confronte au réel et révèle aux autres sa personnalité.

  • Que favorisera la pratique d’une activité sportive amateur ?

De nombreuses études mettent en évidence que la pratique d’une activité sportive régulière, modérée et diversifiée contribue au bien-être et à l’amélioration de la santé physique et psychique de l’individu. Il existe de multiples activités sportives individuelles (jogging, ski, tennis, natation, de 15 ans, soit 47 % de la population, déclaraient pratiquer une activité physique et sportive[7] dans, etc.) et collectives (football, handball, volley-ball, etc.). En 2007, 23,5 millions de Français de plus une association. En pratiquant une activité sportive amateur, l’individu se donne les moyens de se socialiser, de nourrir l’estime de soi et de stimuler différentes formes d’intelligence.

Marie a un emploi de vendeuse au rayon littérature de la FNAC. Faisant partie de l’équipe n°2, elle travaille du jeudi au samedi de 8 h à 18 h. Comme Marie est passionnée par le handball, elle pourra adhérer à une association sportive qui encadre un club de handball. En s’entraînant du lundi au mardi de 9 h à 17 h, Marie structure le rythme de sa vie. Les séances d’entraînement lui permettent de se socialiser et de renforcer son sentiment d’appartenance. En marquant des buts, Marie impose son leadership, exprime ses talents et se distingue des autres. Pour accéder au meilleur de son art, elle a dû s’entraîner pour développer sa technique, sa puissance et sa résistance physique. En contribuant à la victoire de son équipe, non seulement Marie obtient la reconnaissance du public et de ses pairs, mais en plus elle se procure du plaisir. Marie ne consacre pas tout son temps au sport. Comme elle écrit un roman, elle assiste à un atelier d’écriture qui a lieu tous les lundis de 19 h à 21 h. Étant également attiré par le théâtre, lorsqu’elle aura donné le meilleur d’elle-même sur le terrain, Marie s’inscrira à un atelier théâtre pour pratiquer cette activité 2 jours par semaine.

En jouant au handball, Marie stimule quatre formes d’intelligences. En apprenant et en appliquant sur le terrain des combinaisons et des tactiques de jeu, elle développe son intelligence logico-mathématique. En ajustant sa position sur celle de ses coéquipières, en évaluant la trajectoire d’une balle et en anticipent les intentions de ses adversaires, Marie développe son intelligence spatiale. En étant précise dans ses passes, en manipulant une balle et en coordonnant ses mouvements, elle développe son intelligence kinesthésique. En étant attentive et en jouant en fonction à ses coéquipières et à ses adversaires, elle développe son intelligence interpersonnelle. Ce qui vaut pour le sportif amateur vaut également pour l’artiste, l’intellectuel et le travailleur manuel.

  • Que favorisera l’accès à la recherche scientifique ?

L’objectif de la recherche scientifique est de produire des connaissances à partir d’outils et de méthodes d’investigation rigoureuses, vérifiables et reproductibles. Son but consiste à comprendre et à expliquer le monde et ses phénomènes pour en tirer des prévisions justes et des applications fonctionnelles. Ces connaissances ont permis de nombreuses applications techniques qui ont contribué au développement économique et à l’évolution de la société. En physique, la mécanique quantique a permis de créer le laser, le transistor et l’énergie nucléaire. En psychologie, la neuropsychologie permet de nommer, d’expliquer et de prévoir le comportement d’un individu pour l’aider à s’émanciper ou le manipuler. Contrairement aux dogmes, aux croyances et aux idéologies, qui prétendent également dire le vrai, les connaissances, les méthodes et les résultats de la science sont ouverts à la critique et à la révision, et sans cesse confrontés à la réalité. La science se compose d’un ensemble de disciplines qui portent sur un domaine particulier du savoir : les mathématiques, la chimie, la physique, la biologie, la mécanique, l’optique, la pharmacie, l’astronomie, l’archéologie, l’économie, la sociologie, la psychologie, l’histoire, etc. Comme ces différentes disciplines peuvent être découpées en sous-disciplines, voire en sous-sous-disciplines, les domaines de la recherche sont quasiment illimités. Malgré le fait qu’ils soient illimités, les laboratoires de recherche et les emplois dans la recherche sont, eux, limités.

Chaque année, les universités forment des chercheurs capables de contribuer à la recherche scientifique. Étant donné que les offres de postes de chercheurs et d’enseignants chercheurs sont limitées, de nombreux étudiants diplômés d’un Master de recherche ou d’un doctorat ne trouvent pas d’emploi à l’université ou dans un laboratoire de recherche. Ne trouvant pas d’emploi dans la recherche, des docteurs en mathématique ou en physique se reconvertissent dans la finance ou se vendent à des entreprises d’ingénierie financière. En créant des algorithmes, ils permettent à des ordinateurs de spéculer en bourse à la vitesse de la nanoseconde. Ils gâchent ainsi leurs talents dans ce secteur parce qu’il est bien rémunéré, mais surtout, parce qu’ils auraient plus de difficultés à trouver une poste dans un laboratoire de recherche.

La recherche scientifique n’est plus au service de la connaissance, mais de l’économie. Si l’État ne finançait plus la recherche fondamentale, elle serait délaissée au profit de la recherche et développement (R&D). En effet, les laboratoires de recherche des universités sont de plus en plus financés par l’industrie et des investisseurs privés, dont la principale préoccupation est le retour sur investissement à court et à moyen terme. La finalité de la recherche appliquée est de générer des innovations et des brevets dont le but est de créer de nouveaux produits. Les disciplines qui n’ont pas de retombées économiques, telles que l’histoire et la philosophie, ont beaucoup de difficulté à trouver des financements privés. La survie de l’humanité est menacée par des problèmes économiques, politiques, sociaux, énergétiques, écologiques, climatiques, environnementaux et sanitaires. Afin de trouver des solutions à ces problèmes, il est nécessaire d’encourager la recherche fondamentale. En combinant la semaine de 3 jours avec l’aménagement du temps de travail, il sera possible de la favoriser.

Julien est exploitant agricole. En accord avec un autre exploitant, ils ont décidé d’aménager leurs emplois du temps sur l’année. En remplissant son devoir envers la collectivité de début janvier à fin juin, Julien aura le droit de se consacrer à l’activité qui répond à ses aspirations, c’est-à-dire la recherche. Avant d’intégrer un laboratoire de recherche, Julien devra préparer un doctorat pour développer ses connaissances et apprendre la méthode scientifique. En obtenant un Master de recherche, il aura le droit préparer son doctorat en intégrant un laboratoire de recherche universitaire. Lorsqu’il aura obtenu son doctorat, Julien aura la possibilité d’accéder à un laboratoire public ou universitaire du lundi au samedi de 9 h à 17 h, voire plus s’il le souhaite. En retrouvant au quotidien les membres du laboratoire, Julien structure le rythme de sa vie, se socialise et renforce son sentiment d’appartenance.

En gérant son exploitation agricole et en suivant des études scientifiques, Julien découvre que sa vocation est la recherche dans le domaine agricole. Son but est de trouver des solutions naturelles pour régénérer les terres qui ont été épuisées par l’agriculture intensive et l’usage de pesticides. Afin de trouver des solutions innovantes au problème de la régénération des sols, Julien devra avoir la volonté, le courage et la détermination d’approfondir ses connaissances et ses compétences techniques. En effectuant des testes et des expériences, en expérimentant de nouvelles techniques et de nouveaux procédés sur le terrain, en publiant des articles et en donnant des conférences, Julien exprime son savoir, se distingue des autres et affirme sa singularité, obtient la reconnaissance de ses pairs, se procure du plaisir, donne un sens à sa vie et s’accomplit.

En pratiquant la recherche scientifique, Julien développe également trois formes d’intelligences. En développant ses connaissances en science, en lisant des essais et des articles, en rédigeant des articles et en donnant des conférences, il développe son intelligence linguistique. En apprenant des méthodes de recherche, le formalisme et la rigueur scientifique, il développe son intelligence logico-mathématique. En développant ses connaissances de la nature, de la biologie, de la vie, en expérimentant de nouvelles techniques agricoles et en travaillant en relation avec la nature, Julien développe son intelligence naturaliste[8].

En facilitant l’accès à la recherche scientifique à tous ceux qui en ont la vocation, il sera possible d’accélérer la découverte des lois qui gouvernent la vie et de faire un saut qualitatif dans les domaines de la science, de la santé, des transports, de l’énergie, etc. La recherche dans le domaine de la physique permettra de découvrir des moyens de produire et de stocker de l’énergie propre et peu coûteuse. La recherche en biologie moléculaire et en neurosciences contribuera à guérir des maladies graves (cancer, diabète, Alzheimer, etc.), à réparer de graves blessures et à améliorer la santé physique et psychique des individus. Pour éviter que la recherche soit instrumentalisée au profit d’intérêts économiques, des comités de citoyen composés de chercheurs, de philosophes, de théologiens, d’experts, de politiques et de citoyens auront la responsabilité de veiller à sa finalité. N’étant plus au service de l’économie, des profits et du pouvoir, la recherche sera enfin mise au service de l’intérêt général. Ce foisonnement contribuera à inverser les processus écologiques et climatiques en cours, à préserver l’avenir de l’humanité et à favoriser l’évolution de la civilisation.

Qu’il soit professionnel ou amateur, pour jouer ou monter une pièce, coudre un vêtement, marquer un but ou faire de la recherche scientifique, l’individu doit fournir un travail. Pris au sens de la psychodynamique clinique[9], le travail apparaît comme une confrontation au réel, sous la forme de gestes et de savoir-faire, ainsi que d’un engagement du corps et de la personnalité. En effet, travailler nécessite de mobiliser l’intelligence, la volonté et la capacité à sentir, à penser, à réfléchir et à interpréter pour réagir, agir, s’adapter ou inventer. Sans le travail, qui contient à la fois une part de plaisir, de contrainte, de routine, de résistance, d’efforts et de persévérance, il n’y aurait pas de production, de transformation et d’évolution. Comme le fait remarquer Karl Marx, pris sous cette forme, le travail apparaît comme « L’essence de l’Homme. » « Supposons que nous produisons comme des êtres humains : chacun de nous s’affirmerait doublement dans sa production, soi-même et l’autre. 1. Dans ma production, je réaliserais mon individualité, ma particularité ; j’éprouverais, en travaillant, la jouissance d’une manifestation individuelle de ma vie, et dans la contemplation de l’objet, j’aurais la joie individuelle de reconnaître ma personnalité comme une puissance réelle, concrètement saisissable et échappant à tout doute. 2. Dans ta jouissance ou ton emploi de mon produit, j’aurais la joie spirituelle de satisfaire par mon travail un besoin humain, de réaliser ma nature humaine et de fournir au besoin d’un autre l’objet de sa nécessité. 3. j’aurais conscience de servir de médiateur entre toi et le genre humain, d’être accepté dans ton esprit comme dans ton amour. 4. J’aurais, dans mes manifestations individuelles, la joie de créer la manifestation de ta vie, c’est-à-dire de réaliser et d’affirmer dans mon activité individuelle ma vraie nature, ma sociabilité humaine. Nos productions seraient autant de miroirs ou nos êtres rayonneraient l’un vers l’autre. »[10] À travers cette vision du travail, Karl Marx nous révèle son rêve : une société pacifiée composée d’individus qui s’expriment à travers leurs productions. En pratiquant, 3 jours par semaine, l’activité qui répond à sa vocation, l’individu se confronte à sa propre réalité, enrichit sa personnalité et s’accomplit. En jouant un rôle, en écrivant des essais, en produisant des meubles, en gagnant un 100 mètres, en publiant des articles, etc., l’acteur, le philosophe, l’ébéniste, le sportif ou le chercheur exprime ses compétences, son savoir-faire, sa richesse intérieure et sa singularité. L’œuvre ou la performance apparaît donc comme un moyen de se révéler à soi-même et aux autres. Non seulement l’œuvre permet à l’individu d’être accepté et reconnu par ses pairs, mais en plus, elle lui offre les moyens d’attirer l’attention, l’admiration et le respect d’autrui pour ce qu’il « est » réellement. Étant davantage reconnu pour ce qu’il « est » que pour ce qu’il « a », il aura les moyens de s’affranchir de son identité professionnelle. L’activité qui permet à Thomas d’assurer ses subsistances est celle de chef d’entreprise. Au lieu de se présenter ainsi, « Je m’appelle Thomas et je suis chef d’entreprise », il pourra désormais se présenter comme cela « je m’appelle Thomas, je suis metteur en scène et l’activité qui me permet d’assurer ma subsistance est celle de chef d’entreprise ». En se présentant ainsi, Thomas transforme son activité professionnelle en un simple moyen de gagner sa vie. Ce processus, qui sera le même pour Vincent, Marie, Julien et l’ensemble de la population, provoquera l’effondrement du modèle de société construit sur le mode « avoir » au profit d’un modèle fondé sur le mode « être ».

Jean-Christophe Giuliani

 

Cet article est extrait de l’ouvrage « En finir avec le chômage : un choix de société ! ».  Ce livre permet d’appréhender les enjeux du choix entre la relance de la croissance du PIB ou de la réduction du temps de travail. Vous pouvez le commander sur le site des Éditions du Net sous un format ePub ou Papier.


Pour accéder aux pages suivantes :

– Les enjeux de l’intégration sociale et du sens de la vie.

– Les enjeux du temps libre et de son aménagement

– Suivre une journée de formation par semaine

Comment favoriser la démocratie participative ?

– Favoriser la vie affective fondée sur le « mode être »

– Pourquoi les 4 jours de temps libre sont-ils un choix de société ?


[1] Amateur du latin amator, celui qui aime.

[2] Insee, Effectifs dans les métiers artistiques en 2009, Deps, recensement de la population de 2009.

[3] Laurent Babé, (consulté le mercredi 13 janvier 2016), Les pratiques en amateur, [En ligne]. Adresse URL : http://www.culturecommunication.gouv.fr/…/6-12_Repères%20Amateurs.pdf

[4] L’intelligence musicale structure le rythme d’une phrase et d’une œuvre musicale. Ces caractéristiques sont les suivantes : imaginer, fredonner et jouer un air de musique dans sa tête, battre des pieds, chanter et se mettre à danser au moindre rythme de musique, être sensible au pouvoir émotionnel de la musique, ainsi qu’aux sons, aux timbres, aux rythmes et à la tonalité d’une voix, comprendre la structure d’une partition musicale, entendre les fausses notes, reproduire, reconnaître et créer des mélodies ou des rythmes musicaux. Les activités qui font appel à cette forme d’intelligence sont les suivantes : danseur, musicien, compositeur, chef d’orchestre, ingénieur du son, etc.

[5] L’intelligence kinesthésique contrôle et maîtrise les mouvements du corps. Elle permet de manipuler les objets et de se mouvoir avec habileté. Cette forme d’intelligence s’exprime de la façon suivante : coordonner ses mouvements (jongleur, acrobate, danseur, gymnaste, etc.), manipuler, toucher, déplacer et explorer les textures de la matière, la forme d’un objet et la souplesse d’un corps, aimer les sensations corporelles et les expériences sensuelles, être habile de ses mains, pratiquer des activités manuelles et des sports extrêmes, remuer et bouger quand on est contraint à rester assis trop longtemps, s’impliquer physiquement dans la résolution d’un problème, utiliser les expressions corporelles et la gestuelle pour communiquer, jouer la comédie pour créer un lien entre le corps et l’esprit. Les activités qui font appel à cette forme d’intelligence sont les suivantes : danseur, acteur, athlète, jongleur, chirurgien, artisan, masseur, mécanicien, etc.

[6] L’intelligence spatiale construit des images mentales et perçoit le monde en trois dimensions. Cette forme d’intelligence s’exprime de la façon suivante : lire facilement une carte routière, un diagramme et un graphique, manipuler des images, avoir un bon sens de l’orientation, rechercher l’harmonie entre des couleurs et des formes, percevoir la relation entre des objets positionnés dans l’espace, percevoir des images mentales en l’absence d’objets, s’intéresser aux scènes et aux actions des films, prévoir les conséquences du mouvement d’une pièce durant une partie d’échec. Les activités qui font appel à cette forme d’intelligence sont les suivantes : stratège, metteur en scène, artiste, sculpteur, architecte, pilote d’avion, urbaniste, cartographe, graphiste, etc.

[7] Audencia Nantes, Ineum Consulting et TNS Sport, (consulté le mercredi 13 janvier 2016), Temps libre des français dédié au sport, [En ligne]. Adresse URL : http://www.acteursdusport.fr/uploads/Documents/WEB_CHEMIN_4958_1257664783.pdf

[8] L’intelligence naturaliste, qui a été rendu inutile par la vie urbaine, a permis à l’Homme de s’adapter et de survivre dans un environnement naturel hostile. Elle s’exprime de la façon suivante : être sensible au comportement des animaux et des plantes dans leur environnement naturel, distinguer les différentes formes de vie, comprendre la nature pour en tirer parti, être sensible aux modifications écologiques et climatiques, participer à des excursions, à la protection de l’environnement et à des fouilles archéologiques, préférer travailler à l’extérieur que dans un bureau, prendre soin d’un jardin, pêcher et chasser. Les activités qui font appel à cette forme d’intelligence sont les suivantes : jardinier, paysagiste, vétérinaire, astronome, naturaliste, météorologue, biologiste, sociologue, etc.

[9] Dejours Christophe, travail vivant 2 : travail et émancipation, Paris, Payot & Rivages, 2009, page 19

[10] Méda Dominique, Le travail une valeur en voie de disparition, Paris, Aubier, 1995, page 103.

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