Suivre une journée de formation par semaine

La finalité de la semaine de 3 jours est de favoriser le développement et l’émancipation de chaque individu. Son but est de contribuer à l’émergence d’une société composée de citoyens réellement adultes, c’est à dire libre, autonome et responsable. En fonction de leur emploi du temps, les 53 millions de français de plus de 15 ans seront invités à suivre une journée de formation par semaine dans des centres d’éducation populaire. Durant cette journée, ils suivront une formation en sciences humaines et participeront à un atelier de développement personnel.

Si les amphithéâtres comprenaient au maximum 100 places et que les formateurs travaillaient 12 heures par semaine (2 journées de 6 heures), il faudrait créer au minimum 134 mille emplois de formateur. Si chaque atelier comprenait au maximum 12 personnes et que les animateurs travaillaient 12 heures par semaine, il faudrait créer au minimum 838 mille emplois de psychologue. En dehors des ateliers, ces psychologues auront également la responsabilité d’assurer un accompagnement individuel des membres de leurs groupes. Ces formations et ces ateliers permettront la création de plus de 972 mille emplois dans la branche d’activité liée à l’émancipation de l’Homme.

Étant proposé, le choix de suivre ou non ces formations relèvera de la liberté de chacun. La question qu’il est pertinent de se poser est celle-ci : pourquoi un individu aurait-il un intérêt à suivre une journée de formation par semaine ?

  • Quels seront les objectifs de la formation en sciences humaines ?

L’objectif de cette journée de formation en sciences humaines ne sera pas de former des experts, mais d’apporter à chacun les connaissances de base dont il aura besoin pour mieux appréhender le monde qui l’entoure, s’y positionner et y trouver sa place. En effet, l’individu évolue à l’intérieur d’un environnement économique, politique, social, culturel et écologique en perpétuelle évolution. Pour rester maître de son destin, choisir sa vie et jouer un rôle actif dans la société, il a besoin de comprendre le monde dans laquelle il évolue. Les facteurs qui peuvent le motiver à développer ses connaissances sont la prise de conscience de son ignorance et sa volonté d’en repousser les limites. L’ignorance, ainsi entendue, s’oppose à celle de celui qui n’en a pas conscience. Vivant à demi éveillé, la plupart des individus n’ont pas conscience qu’une grande partie des réalités qu’ils tiennent pour vrai ne sont que des illusions. Étant maintenus dans l’ignorance, ils n’ont pas conscience que ces illusions, qui reposent sur des symboles, des normes, des valeurs, des idées et des croyances idéologiques, conditionnent et influencent profondément leurs perceptions de la réalité et leurs comportements. La confusion qu’elles engendrent entretient un climat social anxiogène, ainsi qu’un sentiment de peur, d’angoisse et d’insécurité.

Tant que l’individu ne dispose pas des mots, des concepts théoriques et des connaissances pour formuler ses pensées, ses idées, ses besoins, ses aspirations, ses projets et ses objectifs, ils seront étouffés, refoulés et inhibés. Sa difficulté à les exprimer renforcera son sentiment d’impuissance et d’infériorité. En lui donnant les moyens de comprendre le fonctionnement de son monde intérieur, de la société et de la dynamique sociale, la formation en sciences humaines (biologie, psychologie, sociologie, anthropologie, histoire, géographie, écologie, philosophie, religion, idéologie et politique) lui permettra de se libérer des illusions, des paradoxes et des jugements de valeur qui guident sa conduite et orientent son existence. En s’appropriant les mots et les concepts, il apprendra à verbaliser et à exprimer ses propres idées, ses projets et ses aspirations. Par exemple, en affirmant qu’il faut limiter les besoins, l’individu les confond avec les moyens. En étant capable d’identifier ses besoins et de les distinguer des moyens, il sera plus apte à les satisfaire de manière appropriée et satisfaisante. En apprenant à formuler le sens qu’il souhaite donner à sa vie, il aura les moyens de s’affranchir des croyances et des systèmes de valeurs idéologiques. En se généralisant au plus grand nombre, ce processus favorisera un changement de société, voire de civilisation.

Pour que la formation contribue à l’émancipation de l’individu, il est nécessaire de favoriser l’acquisition des connaissances sur le mode « être » plutôt que sur le mode « avoir »[1]. Tandis que la connaissance sur le mode « être » consiste à connaître plus profondément, celle sur le mode « avoir » consiste à en accumuler et à en posséder toujours plus. Les établissements scolaires et les universités sont des usines à former des individus à avoir des connaissances. L’objectif de l’évaluation, qui a souvent lieu en fin de cycle, est de mesurer la quantité d’avoirs culturels que l’élève ou l’étudiant aura accumulée. Comprendre sur le mode « être » ne signifie pas être en possession de la vérité, mais prendre conscience de nos illusions et de notre manière erronée de percevoir la réalité. Connaître signifie donc, d’une part, approfondir ses connaissances pour parvenir à la racine des idées, et, d’autre part, accéder à la vérité et donc, à la réalité, afin de s’affranchir des illusions qui guident nos actions.

Non seulement ces journées de formations permettront à l’individu de se socialiser et de donner un sens personnel à sa vie, mais en plus, elles lui permettront de stimuler son intelligence linguistique et logico-mathématique[2] et donc, ses facultés intellectuelles. Même si elle y contribue, la connaissance ne suffit pas, à elle seule, à nourrir la confiance en soi, l’estime de soi et à s’accomplir.

  • Quels seront les objectifs des ateliers de développement personnel ?

Même si elle est nécessaire, la connaissance en sciences humaines n’est pas suffisante à elle seule pour construire un adulte libre, autonome et responsable. Comme le fait remarquer Sigmund Freud, « Être tout à fait honnête avec soi-même est le plus bel effort qu’un homme puisse faire. » Et « La grande cause des difficultés psychiques est la peur de se connaître soi-même, de connaître ses émotions, ses pulsions, ses souvenirs, ses capacités, ses possibilités, sa voie. » L’individu gaspille beaucoup d’énergie et de volonté à refouler les vérités qu’il ne veut pas voir et entendre. En refoulant ses blessures et ses matériaux psychiques, il amplifie son anxiété, sa peur et ses angoisses. Au lieu de s’en libérer, il renforce leur emprise, qui s’exprime sous la forme de pulsions, de rêves, de transferts, de projections, de douleurs psychosomatiques, d’états pathologiques et de réactions disproportionnées et répétitives.

Sigmund Freud et Erich Fromm ont fait remarquer que la volonté exclusive de réussir sa vie sur le « mode avoir » est souvent le symptôme d’un manque de maturité. « L’une des découvertes les plus significatives de Freud permet une approche plus aisée de la compréhension du mode avoir : c’est qu’après avoir traversé, pendant la première enfance, une phase de réceptivité purement passive, suivi d’une phase de réceptivité agressive/exploitative, tous les enfants, avant d’atteindre la maturité, passent par une phase que Freud qualifiait d’ « anale-érotique ». Il découvrit que cette phase continue souvent d’être dominante au cours du développement d’un individu et que, dans ce cas, se manifeste le caractère anal, c’est-à-dire, le caractère d’une personne dont presque toute l’énergie vitale est orientée vers l’avoir, l’épargne et l’accumulation de l’argent et des biens matériels, comme sont également orientés ses sentiments, ses gestes, ses paroles, son activité. C’est le caractère des avares et il est d’ordinaire associé à d’autres traits de caractère, comme la manie de l’ordre, l’exactitude, l’entêtement, tous poussés à un degré qui dépasse la moyenne. Un aspect important du concept de Freud est le rapport symbolique qui existe entre l’argent et les fèces – l’or et les immondices – dont il cite un grand nombre d’exemples. Son concept du caractère anal, en tant que caractère qui n’a pas encore atteint sa maturité, est en fait une critique aiguë de la société bourgeoise du XIXe siècle, où les qualités du caractère anal constituaient la norme du comportement morale et étaient considérées comme l’expression de la « nature humaine ». L’équation de Freud : argent = fèces, est une critique implicite, quoiqu’involontaire, du fonctionnement de la société bourgeoise et de sa possessivité, et peut être comparée avec l’étude marxiste de l’argent dans les Manuscrits économiques et philosophiques. […] Ce qui importe, c’est l’idée freudienne que l’orientation prédominante vers la possession intervient au cours de la période qui précède l’accomplissement de la totale maturité, est qu’elle devient pathologique si elle reste permanente. Pour Freud, autrement dit, la personne exclusivement concernée par l’avoir et la possession est un névrosé et un malade mental ; il s’ensuit qu’une société dont la majorité des membres a un caractère anal est une société malade »[3].

La stagnation au mode « avoir », qui consiste à vouloir réussir sa vie sur le plan financier et matériel et à se définir exclusivement à partir de ce que l’on « a » (argent, épargne, biens matériels, statut professionnel, titre de noblesse, diplôme, grade, médaille, âge, sexe, etc.), apparaît comme le symptôme d’un déficit de développement. Selon Freud, l’orientation prédominante de l’énergie vitale vers « l’avoir » intervient au cours de la période anale qui précède la maturité. L’orientation exclusive vers la possession et donc, le mode « avoir » apparaît donc comme le symptôme d’une pathologie psychique, d’un arrêt du développement psychologique et d’un manque de maturité. Autrement dit, l’individu exclusivement concerné par le mode « avoir » est un névrosé immature sur le plan émotionnel, psychologique et affectif. Il s’ensuit qu’une société qui mobilise l’énergie vitale et le temps de sa population pour favoriser la croissance du PIB et l’accumulation sur le mode « avoir » est également une société malade et immature. La dénonciation du mode de vie et du modèle social construit sur la réussite financière et matérielle ne suffira pas à aider les individus et la société à se libérer du mode « avoir ». En effet, l’accès à la liberté individuelle et collective nécessite, d’une part, de comprendre les mécanismes qui ont provoqué l’arrêt du développement psychologique, et, d’autre part, d’expérimenter de nouvelles pratiques qui permettent de poursuivre son évolution et de s’accomplir sur le mode « être ».

Pour dépasser ses résistances, accéder à la vérité et s’affranchir du mode « avoir », l’individu a besoin de compléter ses connaissances en sciences humaines par la connaissance de soi. Durant sa journée de formation, chaque individu aura la possibilité de participer à des ateliers de développement personnel et d’effectuer un travail d’analyse de son monde intérieur. L’approche scientifique et pédagogique de ce travail reposera sur les travaux de Carl Gustav Jung et ceux des tenants de la psychologie humaniste (Carl Rogers, Abraham Maslow, Erich Fromm, etc.). La méthodologie et les outils utilisés reposeront sur ceux de l’analyse transactionnelle du docteur Éric Berne et de la Gestalt de Serge Ginger.

L’individu se libère de ses angoisses, de ses complexes et de ses manques en identifiant ses blessures, en comprenant le mode relationnel qu’il tisse avec lui-même, les autres, l’argent et les biens matériels et en intégrant ses matériaux psychiques. En les intégrant, non seulement il libère son énergie et ses aptitudes, mais en plus, il renforce son équilibre interne et l’estime qu’il a de lui. En apprenant à s’estimer et à s’aimer pour ce qu’il « est » réellement, il apprendra à estimer et à aimer les autres pour ce qu’ils « sont ». En abandonnant le mode « avoir » au profit du mode « être », il changera son rapport à soi, aux autres et à la société. Le travail d’analyse de son monde intérieur et l’attention portée aux autres lui permettront également de stimuler son intelligence intra-personnelle et interpersonnelle[4]. En stimulant son intelligence intra-personnelle, l’individu sera moins dépendant de l’approbation et de l’opinion d’autrui. Étant plus autonome, il aura moins de difficultés à donner un sens personnel à sa vie et à se fixer des objectifs qui répondent à ses aspirations. En stimulant son intelligence interpersonnelle, il aura plus de facilité à s’ouvrir aux autres et donc, à travailler en équipe.

Le but de ces ateliers n’est pas uniquement de libérer l’individu de ses blessures psychologiques, mais de l’accompagner sur le chemin de son processus d’individuation[5] et de réalisation de soi. L’individuation est un processus de différenciation qui permet de s’affranchir de l’inconscient collectif. En se libérant de ses complexes, de sa persona, de ses transmissions familiales et des conditionnements idéologiques, qui guident sa conduite et structurent son comportement, l’individu accède à un comportement plus libre, autonome et responsable. En retrouvant sa liberté intérieure, il aura les moyens d’accéder à sa structure intérieure et donc, au processus de réalisation de soi. Ce ne sera donc plus une religion, un système idéologique ou la volonté de s’enrichir sur le plan matériel et financier, mais sa vocation qui dictera sa conduite et le sens qu’il donnera à sa vie.

En développant ses connaissances en sciences humaines et en participant à des ateliers de développement personnel, non seulement l’individu réduira ses facteurs d’angoisses, d’insécurité et de peur, mais en plus, il stimulera son intelligence et renforcera l’estime qu’il a de lui. Ces formations lui permettront également de gagner en maturité et d’accéder à un niveau du jugement moral « post-conventionnel »[6]. Même si la connaissance en sciences humaines et la connaissance de soi sont favorables à son émancipation, le développement de ses huit formes d’intelligence nécessite également qu’il pratique des activités de socialisation et d’expression qui répondent à ses aspirations, qu’il ait une vie affective et qu’il contribue à l’organisation du « vivre ensemble ». Pour le dire autrement, afin de s’affranchir du mode « avoir », l’individu doit également pratiquer des activités favorables au mode « être ».

Jean-Christophe Giuliani

 

Cet article est extrait de l’ouvrage « En finir avec le chômage : un choix de société ! ».  Ce livre permet d’appréhender les enjeux du choix entre la relance de la croissance du PIB ou de la réduction du temps de travail. Vous pouvez le commander sur le site des Éditions du Net sous un format ePub ou Papier.


Pour accéder aux pages suivantes :

– Les enjeux de l’intégration sociale et du sens de la vie.

– Les enjeux du temps libre et de son aménagement

– Favoriser la pratique d’activités émancipatrices

Comment favoriser la démocratie participative ?

– Favoriser la vie affective fondée sur le « mode être »

– Pourquoi les 4 jours de temps libre sont-ils un choix de société ?


[1] Fromm Erich, Avoir ou être : Un choix dont dépend l’avenir de l’homme, Paris, Robert Laffont, 1978, page 59.

[2] L’intelligence linguistique permet de maîtriser le langage sous la forme de l’expression écrite ou orale. Cette forme d’intelligence s’exprime de la façon suivante : lire pour développer ses connaissances, participer à des débats, comprendre et mémoriser facilement des informations orales ou écrites, être sensible à la syntaxe, au bon usage des mots, au rythme et au sens des phrases, disposer d’un vocabulaire étendu, avoir le sens de l’humour, aimer faire des jeux de mots, etc. Les activités qui font appel à cette forme d’intelligence sont les suivantes : Écrivain, comédien, politique, journaliste, avocat, publicitaire, etc. L’intelligence logico-mathématique résout des problèmes de manière logique et ordonnée, sous une forme écrite ou mathématique. Cette forme d’intelligence s’exprime de la façon suivante : saisir rapidement les relations de cause à effet, résoudre des problèmes grâce à la logique mathématique et la méthode scientifique, exprimer ses idées de manière logique, distinguer les relations logiques entre les objets, les idées, les groupes et les ensembles, rédiger des procédures, des modèles ou des méthodes standard pour résoudre un problème, être à l’aise avec la pensée scientifique et le langage mathématique et accepter difficilement l’idée du hasard. Les activités qui font appel à cette forme d’intelligence sont les suivantes : mathématicien, scientifique, économiste, informaticien, juriste, ingénieur, comptable, etc.

[3] Fromm Erich, Avoir ou être : Un choix dont dépend l’avenir de l’homme, Paris, Robert Laffont, 1978, page 104.

[4] L’intelligence interpersonnelle est tournée vers autrui. En écoutant et en étant attentif aux discours, aux comportements, aux mimiques et à la gestuelle d’un individu, il est possible de découvrir sa personnalité, ses motivations, ses humeurs, ses intentions et ses désirs. En comprenant les attentes d’autrui, il est possible de s’adapter et de s’associer à lui pour le motiver à s’impliquer dans un projet. Cette forme d’intelligence s’exprime de la façon suivante : entrer facilement en relation avec des inconnus, préférer les activités en groupe plutôt que seules, être entouré de beaucoup d’amis, aimer échanger sur un mode verbal et non verbal, partager ses idées, ses sentiments et ses problèmes, être ouvert à l’opinion d’autrui, créer une synergie entre les individus et comprendre les motivations des autres avant d’agir avec eux. Les activités qui font appel à cette forme d’intelligence sont les suivantes : politique, enseignant, éducateur, metteur en scène, sociologue, chef d’entreprise, psychologue, médiateur, etc. L’intelligence intra-personnelle permet de prendre conscience de ses forces et faiblesses, de ses aptitudes, de ses sentiments et de ses émotions. La réflexion, la méditation et la contemplation favorisent la quête spirituelle et la connaissance de soi indispensable au processus d’individuation. Cette forme d’intelligence s’exprime de la façon suivante : aimer lire et écrire, avoir une nature introvertie et indépendante, apprécier la solitude, avoir sa propre pensée pour éviter de se laisser influencer par l’opinion des autres, des médias et des idéologies, être motivé à atteindre des objectifs personnels, être autonome et responsable de ses actes, être autocritique, savoir se décentrer pour questionner et analyser ses expériences afin de se les approprier, de mieux se connaître et avoir une représentation fidèle de soi. Les activités qui font appel à cette forme d’intelligence sont les suivantes : écrivain, acteur, philosophe, théologien, sage, mystique, planificateur, entrepreneur, psychologue, etc.

[5] Jung Carl Gustav, Dialectique du Moi et de l’inconscient, Paris, Gallimard, 1964, page 77. L’individuation est un processus de différenciation qui a pour but de développer la personnalité individuelle.

[6] Claudine Leuleu, « Apport et critique de la théorie de Kohlberg », Entre-vues, n°23 1994, page 8 à 11. Les décisions morales sont le fruit de droits, de valeurs, de principes qui font (ou pourraient faire) l’unanimité de tous les individus qui composent ou créent une société destinée à des pratiques avantageuses et loyales.

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