La confusion entretenue par la Religion du travail

La religion du travail est récente dans l’histoire de l’humanité. En effet, avant le 19e siècle, le travail n’était pas considéré comme un critère de réussite, mais comme un moyen pénible et dégradant de subvenir à ses besoins. L’objectif de cette déconstruction n’est pas de critiquer ou de rejeter le travail, mais de mettre à jour les confusions qui l’entourent. Pour cela, nous aborderons son rôle dans le processus de contrôle social. Ensuite, nous tâcherons d’éclairer les confusions qui ont contribué à le transformer en l’essence de l’homme. Pour finir, nous tâcherons d’appréhender la raison pour laquelle le travail est devenu un fait social permanent.

  • La confusion entretenue par le travail comme « essence de l’Homme ».

Afin de se maintenir au pouvoir, l’ordre hiérarchique dominant doit entretenir un état de conscience fausse et de confusion autour du concept de travail. De multiples confusions entourent le concept de travail. Au milieu du 19e siècle, sous la plume de Karl Marx le travail apparaît à la fois comme l’essence de l’homme et la source de son aliénation. En effet pour Marx, « le travail est le moyen d’expression créatif de l’homme, à travers lequel la nature humaine se réalise. »

« Supposons, comme le propose Marx, que nous produisons comme des êtres humains : chacun de nous s’affirmerait doublement dans sa production, soi-même et l’autre. 1. Dans ma production, je réaliserais mon individualité, ma particularité ; j’éprouverais, en travaillant, la jouissance d’une manifestation individuelle de ma vie, et dans la contemplation de l’objet, j’aurais la joie individuelle de reconnaître ma personnalité comme une puissance réelle, concrètement saisissable et échappant à tout doute. 2. Dans ta jouissance ou ton emploi de mon produit, j’aurais la joie spirituelle de satisfaire par mon travail un besoin humain, de réaliser ma nature humaine et de fournir au besoin d’un autre l’objet de sa nécessité. 3. j’aurais conscience de servir de médiateur entre toi et le genre humain, d’être accepté dans ton esprit comme dans ton amour. 4. J’aurais, dans mes manifestations individuelles, la joie de créer la manifestation de ta vie, c’est-à-dire de réaliser et d’affirmer dans mon activité individuelle ma vraie nature, ma sociabilité humaine. Nos productions seraient autant de miroirs ou nos êtres rayonneraient l’un vers l’autre. » Karl Marx[1]

Grâce au travail, l’homme maîtrise et s’approprie la nature pour la mettre à son service. Il invente et fabrique de nouveaux outils lui permettant d’exprimer son individualité, de repousser les limites que la nature lui impose et de transformer le monde à son image. En pratiquant au quotidien l’activité qui répond à sa vocation, il acquiert la maîtrise de son art et émancipe ses facultés. Dans ce cas, la mission du travail est triple : le révéler à lui-même, révéler sa sociabilité et transformer le monde. En effet, l’artisan, l’ouvrier, l’entrepreneur, le chercheur, l’artiste ou le philosophe exprime sa personnalité et la partage avec les autres à travers ses créations, ses œuvres et ses actes. À travers cette vision humaniste du travail, Marx révèle son rêve : une société pacifiée composée d’individus libres et autonomes qui s’expriment à travers leurs créations.

Étant en totale contradiction avec la réalité du vécu quotidien des ouvriers dans les manufactures, cette approche idéaliste et profondément positive du travail entretient la confusion dans l’esprit des salariés. En effet, pour la majorité des ouvriers, le travail étant épuisant, routinier et répétitif, il est plutôt une source d’aliénation que d’émancipation. Son objectif est, d’une part, de procurer à l’ouvrier un revenu pour lui permettre de subvenir à ses besoins essentiels, et, d’autre part, de produire des biens et services standards destinés à être vendu sur un marché. En instrumentant, cette confusion, les capitalistes et les communistes ont entretenu un état de conscience fausse pour motiver les ouvriers à consacrer leurs temps et leurs énergies au service des intérêts de l’élite économique ou de l’élite bureaucratique.

Pourtant, Marx n’a jamais affirmé que le travail salarié qui répond exclusivement à la nécessité était l’essence de l’homme. Au contraire, cette forme de travail, au lieu d’émanciper l’ouvrier, a plutôt tendance à l’aliéner et à réduire ses facultés à la tâche répétitive qu’il réalise au quotidien. Par conséquent, « Les prolétaires doivent eux, pour faire valoir leur personnalité, abolir la condition d’existence qui fut jusqu’ici la leur, et qui est en même temps celle de toute l’ancienne société : ils doivent abolir le travail. »[2] Comme le travail de l’Homme se distingue de celui de l’animal tant qu’il n’est pas aliéné ou imposé par la nécessité, pour faire valoir son humanité, retrouver sa liberté et se réapproprier son existence, le prolétaire devait abolir le travail aliénant pour la nécessité.

En distinguant « l’animal laborant » de « l’homo faber » et de « l’homme agissant », Hannah Arendt[3] éclaire les confusions et dénoue les contradictions qui entourent le concept de travail. Le travail de « l’animal laborant » correspond au travail pour la nécessité. Il permet de produire des biens éphémères destinés à la consommation. Dans la mesure où elle se limite à subvenir aux besoins vitaux, cette forme de travail n’est pas fondamentalement humaine. Mais comme elle est la condition des autres formes d’activités, il n’est pas question de l’abolir. En revanche, comme il réduit l’ouvrier à un simple maillon interchangeable et anonyme, il produit l’isolement et la désolation. Tant qu’il demeurera la sphère principale de l’activité humaine, aucune individualité singulière et autre conception de la vie ne pourra voir le jour. L’aliénation à la nécessité empêche l’individu de penser, de réfléchir, de s’instruire et d’exprimer sa véritable nature qui est profondément politique. Étant antipolitique, le travail de « l’animal laborant » est très souvent instrumentalisé par les régimes autoritaires et totalitaires. En Allemagne Nazi, en URSS et dans l’ensemble des pays de l’Est, le travail était obligatoire.

Le drame de la modernité est d’avoir changé l’œuvre en travail. Si le travail renvoie au temps comme passage, l’œuvre renvoie au temps comme durée. « L’homo faber » est l’Homme de la maîtrise. Il est en lien avec ses semblables en produisant des objets durables destinés à lui survivre. Ne répondant pas à une exigence quantitative, mais qualitative, la production d’une œuvre ou d’un objet durable ne se réduit pas à être consommée. Malgré l’isolement que nécessite la maîtrise de son art et que son activité ne soit pas politique, l’artisan participe au monde public. Par conséquent, l’œuvre de « l’homo faber » n’est pas antipolitique, mais apolitique.

Comme l’affirme Aristote, « l’homme est par nature un animal politique ». L’homme agissant caractérise l’homme politique qui s’engage au service de la Cité. La politique est la seule activité qui mette directement les individus en relation autour de questions qui concernent l’intérêt général. Étant en relation à l’intérieur d’un espace public qui leur permet de dialoguer sur un pied d’égalité, l’acteur politique peut prendre conscience de la diversité des idées et aspirations. En prenant la parole et en agissant au service de l’intérêt général, il révèle sa nature intérieure.

« L’homo faber » et « l’homme agissant » correspondent à la conception du travail comme essence de l’homme de Marx. Seules, ces formes d’activités lui permettent de satisfaire ses besoins psychosociaux et de s’émanciper. À l’inverse, même si l’activité de « l’animal laborant » est nécessaire à la survie de l’individu, au lieu de l’émanciper, elle contribue à l’aliéner, voir même, à l’abêtir[4]. Le travail, sous la forme de « l’animal laborant », correspond à la réalité quotidienne de la majorité des salariés des pays industrialisés. Pourtant, au lieu de revendiquer la réduction radicale du temps de travail, les salariés rentrent en compétition les uns avec les autres pour préserver leurs emplois et leurs pouvoirs d’achat. Les salariés ne sont pas les seuls responsables de cette situation. En effet, au lieu de proposer la réduction radicale du temps de travail pour supprimer le chômage et préserver l’avenir de l’humanité, les partis politiques de gauche et les syndicats encouragent les salariés dans leurs luttes pour l’aliénation. L’évolution des mentalités aidant, le MEDEF réussira certainement à faire inscrire sur le portail des entreprises « Arbeit macht frei »[5]. En effet, le travail des autres rend libre celui qui a les moyens de s’en passer.

  • La confusion entretenue autour de la notion d’actif et d’inactif.

La conscience fausse qui entoure le concept d’activité est entretenue par les normes et valeurs idéologiques édictées par les institutions françaises. En effet, la définition de la population totale de l’INSEE contribue à entretenir la confusion dans les esprits et à provoquer de l’exclusion sociale.

Définition de la population totale de l’INSEE

La population totale comprend la population active et la population inactive.

La population active comprend les personnes qui exercent une activité professionnelle rémunérée et les chômeurs. L’ensemble des actifs ayant un emploi représente la population active occupée.

La population inactive regroupe un ensemble disparate de personnes (enfants, étudiants, personnes âgées, femmes au foyer notamment).

Un chômeur est une personne sans travail, disponible et qui recherche effectivement un emploi.

Pour l’INSEE, les critères permettant de qualifier un actif sont l’exercice d’une activité professionnelle rémunérée et le fait de rechercher un emploi. À l’inverse, celui qui n’exerce pas d’activité rémunérée est considéré comme un inactif (enfants, étudiants, retraités, femmes au foyer, handicapé). Le statut d’actif étant lié à une activité rémunérée, la femme au foyer qui fait son ménage est inactive, tandis que l’assistante ménagère qui le fait à sa place est considérée comme une active. En suivant ce raisonnement, comme il n’est pas rémunéré, l’individu qui lit pour éveiller sa conscience, l’écrivain qui écrit pour partager ses idées, l’artiste amateur qui produit une œuvre par amour de son art, le militant politique qui agit pour le bien commun, pour simplifier, tous ceux qui agissent et créent sur leur propre initiative sont considérés comme des inactifs par l’INSEE. En qualifiant « d’actif » ceux qui exercent une activité professionnelle ou qui recherchent un emploi, cette définition oriente notre perception de l’activité et de l’inactivité. Mais surtout, cette définition contribue à exclure les individus en âge de travailler qui n’ont pas d’emploi, n’en recherchent pas et ne sont pas inscrits à « Pole emploi ».

L’évolution de la trajectoire sociale de Paul que nous nommerons x met en évidence les raisons pour lesquelles la définition de la population de l’INSEE génère de l’exclusion sociale. Au départ, Paul fait partie du groupe des étudiants non diplômé x. À la fin de son année universitaire, Paul quitte le groupe des étudiants non diplômés pour intégrer celui des étudiants diplômés x1. En s’inscrivant à Pole emploi, Paul intègre le groupe des demandeurs d’emplois x2. En trouvant un emploi dans l’entreprise 1, Paul intègre le groupe des employés x3. En évoluant dans l’entreprise 1, Paul intègre le groupe des cadres x4. Licencié par l’entreprise 1, après s’être inscrit à Pole emploi, Paul intègre à nouveau le groupe des demandeurs d’emplois x5. Après 8 ans sans activité rémunérée, Paul ne recherche plus d’emploi et n’est plus inscrit à Pole Emploi.

 X9

Question : Paul fait-il encore partie de la population totale ? Si oui de quel groupe fait-il partie ? Est-ce que Paul fait partie des actifs x6 ? Est-ce que Paul fait partie des inactifs x7 ? Si Paul est inactif, quel est son groupe d’appartenance ? Si Paul n’est ni un actif ni un inactif, fait-il encore faire partie de la population totale x8 ? Si Paul ne fait pas partie de la population totale, de quel groupe fait-il partie x9 ?

Cette présentation permet d’expliquer, en partie, la trajectoire de l’exclusion sociale. En effet, tant que Paul effectue des changements à l’intérieur des groupes d’actifs ou d’inactifs déterminés par l’INSEE, il peut être comptabilisé dans la population totale. En revanche, si sa situation n’entre plus dans l’un de ces groupes, la définition de l’INSEE le met en situation d’exclusion sociale. En définissant, de manière normative et idéologique, que la condition d’appartenance à la population totale est d’être un actif ou un inactif, la définition de l’INSEE est responsable de l’exclusion sociale de tous ceux qui n’entrent pas dans ces catégories. N’ayant pas d’emploi, ils sont systématiquement qualifiés par le concept discriminant et dévalorisant de « chômeur ». N’étant pas à la recherche d’un emploi, ils sont exclus de la population totale, et donc, de la société.

La définition des concepts « d’actif » et « d’inactif » de l’INSEE est en contradiction avec celles de la caractérologie[6]. En effet, pour la caractérologie, un actif est un individu qui agit facilement sur sa propre impulsion, sans être sollicité par les autres, des ordres ou des principes moraux et idéologiques. Quand il travaille et fait des efforts, l’actif consomme peu d’énergie. Malgré les difficultés, un véritable actif va au bout des projets qu’il s’est lui-même fixés. Ils sont pour lui l’occasion d’émanciper ses facultés et de se réaliser. À l’inverse, un inactif est un individu incapable d’agir sur sa propre impulsion. Ne sachant pas agir sans être contraint par les autres, un ordre, une rémunération ou des principes moraux, l’inactif est incapable de travailler pour ses intérêts personnels. Pour agir, il a besoin de pressions extérieures, de la présence des autres ou, de recevoir des récompenses. Malgré sa force d’inertie, l’émotivité, la peur, le besoin de reconnaissance, la culpabilité et la honte peuvent pousser un inactif à faire beaucoup de choses. Dans ce cas, il peut paraître actif, alors qu’il n’est que poussé. Quand les sollicitations extérieures cessent et qu’il est livré à lui-même, il est en proie à l’inaction et à l’indécision.

Ces deux définitions ne sont pas liées à un statut social (salarié rémunéré, chômeur, retraité, étudiant), mais à des dispositions psychologiques. En permettant de distinguer l’activité de l’écrivain, de l’artiste, de l’entrepreneur, du militant, etc., qui travaille et agit sur sa propre initiative, de l’inactivité de l’ouvrier, de la caissière, de l’audit, du DRH ou du salarié qui travaille sous contrainte extérieure, la définition de la caractérologie dévoile la confusion qui entoure la définition de la population de l’INSEE. En effet, l’actif qui travaille et agit sur sa propre initiative s’implique psychologiquement et intellectuellement dans ce qu’il fait. En s’impliquant dans un projet qui répond aux aspirations de sa nature intérieure, il éprouve de l’intérêt et du plaisir à sublimer son temps et son énergie. À l’inverse, n’étant pas à l’initiative de ses actes, le salarié « actif » qui travaille sous contrainte pour recevoir une rémunération et éviter des punitions ne s’implique pas dans ce qu’il fait.

En étudiant les définitions de l’INSEE et de la caractérologie, il est légitime de se poser cette question : est-ce que l’individu qui exerce une activité professionnelle est un actif ? N’étant pas à l’initiative de ses actes, le salarié agit sous une contrainte extérieure pour obtenir une rémunération. Ayant peur de perdre son emploi, il est poussé à agir malgré lui. Motivé par la honte et la culpabilité d’être au chômage, le demandeur d’emploi peut rechercher activement un emploi. À partir de ce constat, la définition de la caractérologie fait apparaître le paradoxe suivant : celui que l’INSEE considère comme un actif est en réalité un inactif et inversement. En effet, celui que l’INSEE considère comme un inactif est en réalité un actif. Elle fait également apparaître que la définition de la population de l’INSEE entretient la confusion autour du concept d’actif. De ce fait, en considérant l’activité professionnelle rémunérée comme un fait social permanent, la conception idéologique du travail entretient un état de conscience fausse dans l’esprit des salariés.

  • L’activité professionnelle : l’instrument du maintien de l’ordre social.

En devenant l’instrument de l’organisation de la société, l’activité professionnelle est devenue le garant l’ordre capitaliste. Le temps de travail dans la modernité joue, en ce sens, un rôle similaire à celui du temps religieux au Moyen Âge. Avant la Révolution française, le rythme de la vie était organisé et structuré par la cloche de l’église et les fêtes religieuses. La cloche structurait les rythmes de la vie et du travail, tandis que les 150 à 200 jours de fête religieuse contribuaient à structurer le lien social, à organiser la société et à renforcer la présence de Dieu dans les esprits. En organisant la vie sociale, le temps religieux procurait un sens à la vie qui permettait aux Hommes de s’orienter. Étant génératrice de liens sociaux et omniprésente dans les consciences, la religion chrétienne légitimait l’ordre social. La crainte du châtiment divin maintenait les Hommes dans un état de servitudes volontaires vis-à-vis de la noblesse et de l’église.

Après la révolution de 1789, c’est à la bourgeoisie que revenait la responsabilité de maintenir l’ordre social. En remettant en question l’ordre féodal, la bourgeoisie était préoccupée par le désordre provoqué par le désœuvrement et l’oisiveté des paysans libérés du servage. En se substituant au temps religieux, le temps de travail est devenu l’instrument de l’organisation de la société et du maintien de l’ordre social par des moyens pacifiques. C’est ainsi que le travail dans les manufactures légitimait l’ordre social, fixait un rythme de vie, donnait des repères structurants et un sens à la vie de l’ouvrier. En effet, le temps de travail procure un sens économique à la vie qui permet le salut par l’économie. C’est ainsi que l’entrepreneur, qui prend en charge les ouvriers 7 jours par semaine plus de 12 heures par jour, est devenu le garant de la stabilité et de l’ordre social. Sa mission est de surveiller, de contrôler et de soumettre les ouvriers aux exigences de l’entreprise. En échange d’un revenu, le salarié accepte que son temps soit organisé et planifié par l’entreprise. Épuisé et brisé par le travail, l’ouvrier n’avait plus le temps, l’énergie et la volonté de questionner ses conditions de vie et de remettre en cause l’ordre social. La mission de l’État gendarme était de maintenir l’ordre en matant les vagabonds, les révoltes et les grèves grâce à l’armée, la police et la justice. L’instrumentalisation de l’activité professionnelle comme moyen de contrôle social et de stabilisation des structures hiérarchiques n’est pas propre à la Religion économique. En effet, les régimes totalitaires (Nazisme, Stalinisme, etc.) imposaient à leurs populations de travailler 5 jours ou plus par semaines.

La norme de la semaine de travail étant de 5 jours, la temporalité du salarié est structurée par la pratique de son activité professionnelle. Comme le salarié subordonne docilement son existence à l’emploi du temps de l’entreprise, l’activité professionnelle structure ses habitus secondaires, sa persona et la nature de son « être ». Comme le fait remarquer Karl Marx, plus un salarié consacre de temps à son activité professionnelle, plus il s’identifie à son métier ou à son statut professionnel, plus il en devient dépendant pour exister socialement, plus il est aliéné à son travail

« L’aliénation du travailleur dans son objet s’exprime en vertu des lois économiques de la façon suivante : plus le travailleur produit, moins il a à consommer ; plus il crée de valeurs, plus il devient sans valeurs, plus il devient indigne ; plus son produit a de formes, plus le travailleur devient difforme ; plus son objet est civilisé, plus le travailleur devient barbare ; plus le travail est puissant, plus le travailleur devient impuissant ; plus le travail est riche d’intelligence, plus le travailleur en est privé et devient esclave de la nature. »[7]

Le temps que le salarié consacre à son activité professionnelle, il ne peut pas le consacrer à des activités personnelles. Plus le salarié consacre de temps à son activité professionnelle pour générer de la richesse économique, moins il en consacre aux activités qui enrichissent sa personnalité, plus il s’appauvrit en tant qu’être humain. Plus son activité professionnelle structure ses habitus, sa persona et la nature de son être, plus il devient dépendant de son activité professionnelle pour exister socialement et donner un sens à sa propre vie. Disposant de peu de temps libre pour expérimenter de nouvelles pratiques de socialisation et d’expression en dehors de l’entreprise, le salarié renforce son adhésion active ou passive aux normes et valeurs de la doctrine ultralibérale ou de la Religion économique. À l’inverse de l’idée trop largement répandue, le but de l’activité professionnelle n’est pas de produire des biens et de distribuer un revenu, mais d’encadrer la société, de maintenir les salariés dans un état de servitude volontaire et de légitimer l’autorité de l’élite économique.

Pour accéder aux pages suivantes :

– La confusion entretenue par la Religion de la consommation.


[1] Marx Karl, Economie et Philosophie, œuvre économique, tome II page 22

[2] Marx Karl, Philosophie, Paris, Gallimard, 1965, page 380

[3] Arendt Hannah, Les conditions de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1983.

[4] Travailler plus pour devenir bête, (page consulté le 26 février 2009), Le monde.fr, [En ligne]. Adresse URL : http://www.lemonde.fr/planete/article/2009/02/26/travailler-plus-pour-devenir-bete_1160946_3244.html

[5]Arbeit macht frei : Le travail rend libre était inscrit sur le portail du camp d’Auschwitz

[6] Berger Gaston, Traité pratique d’analyse du caractère, Paris, Presses Universitaire de France, 1950, page 45.

[7] Marx Karl, Ecrits philosophiques, Paris, Flammarion, 2011, page 143