Satisfaire nos besoins : un choix de société !

Jean-Christophe Giuliani

Le progrès technique et l’organisation du travail ont favorisé le développement économique de la France et des pays industrialisés. Ce modèle de développement a permis à la population de ces pays d’accéder à un niveau de confort matériel sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Malgré ce bien-être matériel, elle continue à produire et à consommer toujours plus de biens et de services marchands. La croyance qu’il est possible de soutenir une croissance du PIB infinie dans un monde aux ressources finies risque de conduire l’humanité à sa perte. Comme je l’ai déjà démontré dans l’essai « En finir avec le chômage : un choix de société ! », étant donné que la surproduction et la surconsommation provoquent le réchauffement du climat, l’épuisement des matières premières, la pollution de l’air, de l’eau et des sols et la disparition de la biodiversité, ce modèle économique et ce mode de vie matérialiste menacent notre qualité de vie, notre processus démocratique et la survie des générations présentes et à venir. L’imminence d’une catastrophe annoncée, qui est révélée par la fréquence et l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes, des inondations, des sécheresses, des pics de pollution, etc…, impose de changer de mode de vie en moins de 10 ans.

En fonction des sensibilités politiques et des doctrines idéologiques, il existe de nombreuses propositions pour éviter cette catastrophe. Certains proposent de s’adapter en conciliant l’écologie et le climat avec l’économie. Pour cela, ils proposent une croissance verte, le développement durable, la « taxe carbone », une troisième révolution industrielle et le transhumanisme. Ils préconisent également de produire dans les pays émergents, d’encourager le nucléaire et les moyens de transport électriques, de distribuer le revenu de base, de développer l’économie autour des services et du tourisme et de faire confiance à la recherche, au progrès technique et à la loi du marché.

D’autres proposent de mettre en œuvre une politique économique de type keynésienne, de réaliser la planification écologique, de réguler les marchés financiers, de relocaliser l’industrie, de rétablir les taxes douanières, d’utiliser la force des marées pour produire de l’énergie, etc…

D’autres encore proposent le tri sélectif des déchets, de limiter la consommation, de sortir du nucléaire, d’acheter des produits à basse consommation d’énergie, de favoriser l’agriculture biologique et les transports en commun, de construire des logements à haut niveau de performance énergétique, etc…

Les plus radicaux proposent la décroissance, la simplicité volontaire, la sobriété heureuse et la dotation inconditionnelle d’autonomie. Ils proposent d’accéder à l’autonomie alimentaire, de favoriser les circuits courts, de manger moins de viande, de limiter nos besoins, de réduire l’usage de la voiture au profit du vélo, etc…

Tandis que certaines de ces propositions relèvent de conceptions idéologiques de l’existence, d’autres méritent d’être approfondies et prises en considération.

Même si certaines de ces propositions ouvrent de nouvelles perspectives, comme l’avait déjà fait remarquer Erich Fromm, les réponses à la crise systémique (économique, politique, sociale, écologique, climatique et sanitaire), que la France et les pays industrialisés subissent depuis le milieu des années 70, ne relèvent pas seulement de propositions d’ordre économique.

« Pour la première fois dans l’histoire, la survie physique de la race humaine dépend d’un changement radical du cœur humain. Mais ce changement n’est possible que dans la mesure où interviennent des changements économiques et sociaux rigoureux capables de donner au cœur humain la chance de changer et le courage et l’envie d’accomplir ce changement. »[1]

Autrement dit, ce changement de mode de vie aura lieu en moins de 10 ans, si les réponses à cette crise sont en mesure d’apporter un nouveau sens à la vie, c’est-à-dire une nouvelle vision de l’avenir viable, atteignable et désirable capable de mobiliser les énergies individuelles et collectives. Qu’il soit, d’une part, membre des couches populaires ou de la classe moyenne, ou, d’autre part, cadre, chef d’entreprise, entrepreneur, membre des professions libérales, agriculteur, artisan ou commerçant, le changement sera désirable, s’il est en mesure de procurer à chacun de ces individus les moyens d’améliorer sa qualité de vie et de changer le rapport qu’il tisse avec lui-même et les autres. C’est-à-dire se socialiser, définir son identité, structurer le rythme de son existence, nourrir l’estime de soi, se distinguer, s’affirmer et se réaliser autrement que par l’activité professionnelle et la consommation.

Avant de proposer des solutions alternatives qui soient viables, atteignables et désirables, il est nécessaire d’identifier les conditions d’un changement de mode de vie individuel et d’une transformation sociale. Pour cela, il m’est apparu pertinent de tenter de répondre à une question qui ne semble pas préoccuper les économistes ultralibéraux : pourquoi les individus cherchent-ils ou plutôt, s’épuisent-ils à vouloir réussir sur le plan financier, professionnel et matériel ? Gravir les échelons hiérarchiques, gagner et accumuler toujours plus d’argent et de biens matériels apparaissent pour certains comme la quête du Saint Graal, comme si le sens de la vie pouvait se limiter à cela. Indépendamment du fait qu’il est nécessaire de travailler pour assurer sa subsistance et se procurer un minimum de confort matériel, à quoi peu bien servir toute cette agitation qui épuise les organismes et la planète ? Mais surtout, est-ce qu’il est possible de réussir sa vie autrement ? Et comment provoquer et favoriser ce changement sur le plan individuel et collectif ?

Pour éviter de me laisser piéger par des considérations d’ordres culturelles ou idéologiques (économiques et politiques), il m’est apparu pertinent d’aborder ces questions et le changement à partir des besoins et du temps. J’ai pris en compte les besoins, car leurs satisfactions sont l’une des principales motivations de l’action des individus. Pour satisfaire un besoin, il est nécessaire d’agir. L’individu et le temps étant étroitement liés dans l’action qui se vit au présent, le temps apparaît comme un objet d’étude incontournable pour envisager les moyens de les satisfaire autrement.

J’entends fréquemment des politiques, des intellectuelles, des militants, etc… affirmer que pour lutter contre le réchauffement climatique et préserver l’environnement, il est nécessaire de limiter nos besoins. Cette affirmation, qui semble relever du bon sens, est une erreur de raisonnement qui empêche de penser le changement. Afin d’expliquer pourquoi cette affirmation est un frein au changement, je commencerai par identifier les besoins, avant de les distinguer des moyens de les satisfaire sur un mode « avoir » ou un mode « être ». Étant donné que pour être motivé à agir, l’individu a besoin de recevoir des récompenses, j’aborderai également les circuits du système nerveux qui procurent du plaisir et évitent de souffrir.

Je poursuivrai cette étude en expliquant pourquoi le rapport au temps est un facteur de changement de mode de vie sur le plan individuel et de transformation sociale sur le plan collectif. Il est important de préciser que je n’aborderai pas le rapport au temps à partir d’une conception physique, métaphysique ou philosophique, mais à partir du temps qui organise le rythme des existences individuelles et collectives au quotidien. C’est-à-dire le temps de l’horloge, du calendrier et de l’emploi du temps. Sur le plan individuel, étant donné que pour satisfaire un besoin, un individu doit consacrer du temps à une action, le temps et son aménagement influencent les moyens qu’il peut mettre en œuvre pour le satisfaire. Je vais donc tenter de montrer que les moyens de satisfaire les besoins, le mode de vie, la qualité de vie et l’identité d’un individu sont déterminés par le temps libre dont il dispose et son emploi du temps professionnel.

Sur le plan collectif, puisqu’une société se caractérise par un certain rapport au temps, les enjeux de son contrôle et de son aménagement n’apparaissent pas comme un choix économique, mais comme un choix de société. En effet, celui qui contrôle le temps impose ses valeurs, son mode de production et sa catégorie sociale dominante. En m’appuyant sur les caractéristiques du temps social dominant et de la dynamique des temps sociaux, je relèverai le défi de décrire les processus économiques, sociaux et temporels qui ont provoqué le déclin de l’ordre religieux au profit de l’ordre économique. En m’appuyant sur cette dynamique et un historique des lois sur la réduction du temps de travail, je tenterai de décrire comment la conquête du temps libre a provoqué une révolution silencieuse du rapport au temps qui est toujours d’actualité aujourd’hui.

L’activité professionnelle et la consommation sont les piliers du développement et de l’ordre économique. À la fin des années 60, les intérêts et l’autorité de l’élite économique étaient menacés par les tenants de la critique sociale et de la critique artiste. En m’appuyant sur le rapport au temps, la théorie des besoins de Maslow et les circuits du plaisir et de la souffrance, je tenterai donc de décrire les lois et les stratégies de manipulation utilisées par les cabinets de conseils en management et en marketing pour soumettre, inciter et motiver les ouvriers, les employés, les cadres et les classes moyennes à travailler et à consommer toujours plus.

La vocation de cet essai est de contribuer au débat sur la construction d’un nouveau projet de société viable, atteignable et désirable. Je terminerai donc cette étude en relevant le défi de proposer un nouveau modèle économique, dont l’objectif est, d’une part, d’inverser les processus écologiques et climatiques en moins de 10 ans, et, d’autre part, de mettre l’économie au service du développement et de l’émancipation de chaque individu. Afin d’inverser les processus, je commencerai par présenter l’ébauche d’un modèle économique durable dont la vocation sera d’assurer la satisfaction des besoins essentiels et un minimum de confort matériel. Afin de mettre l’économie au service de chaque individu, je proposerai des solutions concrètes pour satisfaire les besoins d’appartenance, d’estime et de réalisation autrement que par l’activité professionnelle et la consommation. Toutes ces mesures provoqueront une transformation des relations sociales, affectives et familiales et favoriseront l’émergence d’un système démocratique réellement participatif.

Ce que je vais donc tout simplement tenter de démontrer, c’est que le choix du rapport au temps et donc, des moyens utilisés pour satisfaire nos besoins n’est pas un choix économique, mais un choix de société dont dépend la survie et l’avenir de l’humanité.

Jean-Christophe Giuliani

 

Cet article est extrait de l’ouvrage « Satisfaire nos besoins : un choix de société ! ». Ce livre permet d’appréhender que le choix du rapport au temps et des moyens utilisés pour satisfaire nos besoins n’est pas un choix économique, mais un choix de société dont dépend la survie et l’avenir de l’humanité.

Vous pouvez le commander au Furet du Nord, à la FNAC et dans toutes les librairies, ainsi que sur les sites du Furet du Nord, de la FNAC et d’autres librairies en ligne sous un format ePub ou Papier

 

 

Pour accéder aux pages suivantes :

– Quels sont nos besoins ?

– Satisfaire nos besoins en travaillant 5 jours : le choix de la catastrophe !

– Satisfaire nos besoins en travaillant 2 jours : un choix de société !

 

[1] Fromm Erich, Avoir ou être : Un choix dont dépend l’avenir de l’homme, Paris, Robert Laffont, 1978, page 26.

2 réflexions sur « Satisfaire nos besoins : un choix de société ! »

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