Travailler toujours plus rendrait-il bête ?

Jean-Christophe Giuliani

Une étude britannique parue dans le monde.fr de 2009 a fait apparaître que le travail rend bête . Afin de donner une explication à ce phénomène, nous l’aborderons à partir de l’étude de Michaël Ballé sur « le moindre effort mental » .

Le cadre a souvent la naïveté de croire que son activité professionnelle favorise le développement de ses facultés intellectuelles. Dans l’imaginaire salarial, la légitimité de son autorité repose sur sa capacité à mobiliser des connaissances théoriques et des modèles mentaux complexes pour prendre des décisions rationnelles et appropriées à un problème. À l’inverse de cette idée largement répandue, les travaux de recherche de Michaël Ballé font apparaître, qu’en règle générale, le cadre prend des décisions à partir d’un modèle de raisonnement qui nécessite « le moindre effort mental ». C’est-à-dire celui qui mobilise le moins de temps, d’énergie et d’effort. Pour argumenter sa thèse, il propose une typologie de quatre niveaux de raisonnements dont la complexité croît en fonction du nombre de théories, d’hypothèses et d’arguments intervenant dans la prise de décision.

1er Niveau Stéréotype : Un argument d’autorité qui repose sur un jugement de valeur ou une opinion. Par exemple, les produits allemands sont chers ou le travail c’est la santé

 – 2ème Niveau Application d’une règle générale : Un argument basique reposant sur une croyance ou une règle normative qui n’est pas applicable et valable dans toutes les situations. Par exemple, une baisse des prix permet une hausse des ventes. La croissance du PIB permettra de créer des emplois.

  – 3ème Niveau Règles conditionnelles : Introduction d’un début de raisonnement à partir de l’emploi de nombreux arguments qui s’enchaînent pour construire un raisonnement plus complexe. Par exemple la démonstration : la croissance permettra-t-elle de supprimer le chômage ?

  – 4ème Niveau Véritables raisonnements : Enchaînement de propositions entraînant une conclusion. Investigation et évaluation d’hypothèses successives. Par exemple la démonstration : En finir avec le chômage : un choix de société.

Étant amené à justifier et à prendre régulièrement des décisions, sous prétexte de réactivité et d’efficacité, le cadre masque l’absence de prise de recul et d’analyse approfondie de la situation. En effet, une prise de décision utilisant un modèle de raisonnement élaboré de niveau 3 ou 4 exige un temps de travail et un investissement cognitif important. Ne ressentant pas la nécessité d’investir le peu de temps à sa disposition pour prendre le temps de réfléchir et de chercher de nouveaux modèles théoriques, il se contente de réagir à partir d’un modèle de raisonnement simpliste et stéréotypé de niveau 1 ou 2. Souvent, il envisage un problème à partir de son expérience, de 1 ou 2 critères d’analyses qu’il maîtrise parfaitement, du modèle d’organisation à la mode ou de la dernière décision de son supérieur. Les difficultés apparaissent lorsqu’il est confronté à un problème complexe. En effet, comme il dispose d’un mode de raisonnement de niveau 1 ou 2, il a des difficultés à associer des idées et à poser le problème pour prendre du recul afin de le comprendre et de se le représenter dans sa globalité. En ne prenant pas le temps d’exploiter l’ensemble de ses facultés cognitives, il prend des décisions souvent dépassées, obsolètes et inadaptées à la complexité des problèmes posés. Au final, la pertinence du modèle utilisé dépend du système d’évaluation retenu et du résultat obtenu. En conclusion, Michaël Ballé fait apparaître qu’en pratiquant au quotidien une activité professionnelle qui nécessite le « moindre effort mental », le cadre nuit gravement à la performance de l’entreprise, mais surtout, il atrophie l’exercice de sa raison et sa faculté de penser. Par conséquent, en travaillant 50 heures par semaine, ou plutôt, en travaillant plus pour gagner plus, le cadre risque de réduire ses facultés à créer, à imaginer et à construire des raisonnements complexes, et au final, de devenir de plus en plus bête.

                                                                                                         Jean-Christophe Giuliani

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