Comment s’intégrer à la société en travaillant 3 jours ?

Jean-Christophe Giuliani

Le progrès technique et l’organisation du travail nous a permis d’accéder à un niveau de confort matériel sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Malgré ce bien-être matériel, nous continuons à produire et à consommer toujours plus de biens et de services marchands. En contribuant au réchauffement du climat, à l’épuisement des stocks de matières premières, à la dégradation des ressources naturelles et à la disparition de la biodiversité, ce mode de vie matérialiste et ce modèle de développement économique et social menacent notre qualité de vie, notre processus démocratique et la survie des générations présentes et à venir. L’imminence d’un effondrement, qui est révélé par la fréquence et l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes, des inondations, des sécheresses, des pics de pollution, des incendies, etc…, impose de changer de mode de vie et de modèle de développement en moins de 10 ans. Avant de proposer des solutions pour accompagner ces changements, il est nécessaire d’étudier notre modèle d’intégration social pour en proposer un qui soit viable, atteignable et désirable.

La croissance du PIB n’étant plus envisageable, pour en finir avec le chômage et la peur du chômage, il est donc nécessaire de réduire la durée légale de la semaine de travail à 3 jours et d’aménager le temps de travail sur le semestre ou l’année. Le confinement lié au COVID-19 et les 4 jours de temps libre nous invitent à interroger les motivations, souvent inconscientes, qui nous incitent à travailler toujours plus. L’objectif de l’activité professionnelle n’est pas uniquement de procurer un revenu et une protection sociale, de produire des biens et des services marchands et de créer de la richesse économique. Que nous soyons un employé, un ouvrier, un cadre, un chef d’entreprise, un entrepreneur, un membre des professions libérales, un artisan, un commerçant ou un agriculteur, la pratique quotidienne d’une activité professionnelle contribue également à nous intégrer à la société.

Au-delà du fait qu’il est préférable de travailler que d’être au chômage, les études de Christian Baudelot, de Michel Gollac et de Christophe Dejours font apparaître qu’avoir un emploi est la condition du bonheur[1] et de l’émancipation[2]. Même si 40 % des cadres sont victimes du Brown-out, étant donné qu’ils sont attachés et aliénés au travail, nombreux sont ceux qui auront beaucoup de difficulté à envisager leurs existences en dehors de l’activité professionnelle. Ces études font également apparaître que ce ne sont pas forcément les missions, les fonctions ou les tâches, souvent répétitives et routinières, mais les conditions d’exercices liées à l’activité professionnelle qui rendent le travail désirable. Afin de rendre le temps libre désirable, il est donc nécessaire d’identifier les bienfaits que procure l’activité professionnelle.

À l’inverse de l’idée trop largement répandue par les médias, les économistes et les politiques, l’activité professionnelle n’est pas un simple moyen de production qui permet de redistribuer des revenus et de garantir l’accès à un système de protection sociale. Elle procure également les moyens de structurer le rythme de son existence, de satisfaire ses besoins d’appartenance et d’estime et de procurer une raison de vivre. En procurant au salarié un emploi du temps hebdomadaire, l’entreprise structure le rythme de sa vie au quotidien. Cet emploi du temps lui évite de perdre son temps, de s’ennuyer, de devoir prendre en charge l’usage de son temps et de se confronter au vide de son existence. En permettant au salarié de retrouver ses collègues de travail au quotidien, l’activité professionnelle lui donne les moyens de satisfaire son besoin d’appartenance. Son intégration professionnelle lui procure un statut social et une identité qui lui permettent de se définir et d’exister socialement. En lui procurant les moyens de se distinguer, de s’affirmer et d’éprouver le sentiment d’être utile, la pratique d’une activité professionnelle lui donne les moyens de satisfaire son besoin d’estime. En prescrivant des objectifs à atteindre chaque jour, chaque mois ou chaque année, l’entreprise donne un sens à la vie qui lui évite de se poser trop de questions sur le sens de son existence.

Pour être désirables, les 4 jours de temps libre devront donc être en mesure de donner aux ouvriers, aux employés et aux cadres, ainsi qu’aux chefs d’entreprises, aux entrepreneurs, aux professions libérales, aux agriculteurs, aux artisans et aux commerçants les moyens de s’intégrer, autrement que par l’activité professionnelle et la consommation. Ce nouveau modèle d’intégration sociale devra donc procurer à chacun de ces acteurs économiques les moyens de structurer le rythme de son existence, de satisfaire ses besoins d’appartenance, d’estime et de réalisation et de donner un sens à sa vie en pratiquant 4 jours par semaine ou 6 mois par an une activité qui n’a pas de finalités économiques. Pour que ce projet s’inscrive dans la réalité, comme en 1936, c’est à l’État que reviendra la responsabilité d’aménager et d’organiser le rythme de la société. Comme en 1981, le gouvernement devra également créer un ministère du temps libre. En partenariat avec les communes et les associations locales, ce ministère aura la responsabilité d’organiser, de coordonner et de financer les moyens matériels et humains destinés à assurer la mise en œuvre des activités liées au temps libre. Pour que la pratique de ces activités ait une raison d’être et donne un sens à la vie, elles devront s’organiser autour d’un projet de société à atteindre en commun.

Jean-Christophe Giulinai

 

Cet article est extrait de l’ouvrage « En finir avec le chômage : un choix de société ! ».  Ce livre permet d’appréhender les enjeux du choix entre la relance de la croissance du PIB ou de la réduction du temps de travail. Vous pouvez le commander sur le site des Éditions du Net sous un format ePub ou Papier.


Pour accéder aux pages suivantes :

– Quels sont les enjeux du temps libre et de son aménagement ?

– Suivre une journée de formation par semaine.

Comment favoriser la démocratie participative ?

– Favoriser la pratique d’activités émancipatrices.

– Favoriser la vie affective fondée sur le « mode être »

– Pourquoi les 4 jours de temps libre sont-ils un choix de société ?


[1] Baudelot Christian, Gollac Michel, Travailler pour être heureux ? Le bonheur et le travail en France, Paris, Arthème Fayard, 2003.

[2] Dejours Christophe, Travail vivant 2 : travail et émancipation, Paris, Payot & Rivages, 2009.

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