Auteur : Jean-Christophe Giuliani
Le développement économique de la France et des pays industrialisés a permis à la population de ces pays d’accéder à un niveau de confort matériel sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Malgré le bien-être matériel, que procure ce mode de vie, elle continue à produire et à consommer toujours plus de biens et de services marchands. Les ressources de la planète étant limitées, la volonté de réussir sa vie sur le plan financier, professionnel et matériel n’est donc pas viable à court, moyen et long terme. En valorisant la cupidité et l’égoïsme, la doctrine idéologique néolibérale légitime des prises de décision qui contribuent au réchauffement du climat, à l’épuisement des stocks de matières premières, à la dégradation des ressources naturelles et à la disparition de la biodiversité[1]. En motivant à accumuler toujours plus d’argent et de biens matériels, cette doctrine menace notre qualité de vie, notre processus démocratique et la survie des générations présentes et à venir. L’imminence d’un effondrement, qui est révélé par la fréquence et l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes, des inondations, des sécheresses, des pics de pollution, etc., nécessite d’encourager chacun d’entre nous à faire évoluer son niveau de jugement moral.
Lawrence Kohlberg est un chercheur en psychologie, qui a découvert et vérifié empiriquement une suite séquentielle de trois niveaux de jugement moral, qualitativement différents les uns des autres. La théorie du jugement moral[2] comprend trois niveaux (préconventionnel, conventionnel et postconventionnel) composés de deux stades identifiables et distincts. Chaque niveau et chaque stade correspondent à un développement et à une réorganisation qualitative de la structure mentale du système cognitif, qui intervient lors d’un raisonnement moral. Étant donné que l’accès à un niveau supérieur nécessite d’intégrer la structure mentale du niveau inférieur, sauf accident, celui qui a atteint un niveau supérieur ne peut plus régresser à un inférieur. Puisque l’évolution de la structure mentale s’accompagne d’une meilleure perception et compréhension de soi, des autres, des rapports sociaux et de la vie, elle favorise l’émergence d’un individu plus évolué et mature sur le plan psychologique, relationnel et cognitif.
La structure mentale d’un niveau de jugement moral correspond à une fourchette d’âge plus ou moins déterminée. Le premier niveau correspond à la structure mentale d’un enfant de moins de 10 ans, le second à celle d’un adolescent et d’un jeune adulte de 10 à 20 ans et le troisième à celle d’un adulte de plus de 20 ans. Puisque le niveau de jugement moral n’évolue pas automatiquement au rythme de l’âge civil, un décalage plus ou moins important peut donc exister entre l’âge civil et l’âge de la structure mentale d’un individu. En effet, un jeune adulte de 25 ans ou un « adulte » de 50 ans peut avoir une structure mentale située au premier niveau, autrement dit au niveau de jugement moral d’un enfant de moins de 10 ans.
Afin d’évaluer le niveau de jugement moral d’un individu, Lawrence Kohlberg propose d’utiliser le dilemme moral. Ce dilemme consiste à le placer dans une situation réelle ou fictive, dont l’issue relève d’un choix d’ordre moral, qui a des conséquences pour autrui. L’exemple fictif couramment avancé est celui de Monsieur Heinz.
« Que feriez-vous à la place de Monsieur Heinz ? : Une femme est atteinte d’un cancer particulier que, semble-t-il, un seul médicament peut guérir. C’est un médicament à base de radium qu’un pharmacien de sa ville vient de mettre au point. Celui-ci le vend dix fois le prix qu’il lui coûte. Il paie le radium 200 $ et vend son médicament 2 000 $. Heinz, le mari de la jeune femme, fait appel à ses relations pour emprunter la somme, mais il ne récolte que 1 000 $. Il va chez le pharmacien, lui explique que sa femme est en train de mourir et lui demande un rabais ou un crédit. Le pharmacien répond : c’est moi qui ai découvert ce médicament et je veux gagner de l’argent avec. Heinz est désespéré et envisage de casser la vitrine du pharmacien pour voler le médicament. »
Cet exemple illustre le lien qui unit un choix à un stade de jugement moral. Son évaluation ne repose pas sur le choix opéré, mais sur les arguments invoqués pour l’expliquer et le justifier.
En évoluant d’un niveau à un autre, l’individu progresse d’une morale égocentrique vers une morale décentrée. Cette évolution, favorisée par l’empathie et le décentrement, offre la capacité à accéder à un niveau d’autonomie plus élevé et à faire abstraction de ses propres intérêts pour résoudre des problèmes, faire des choix et prendre des décisions. Celui qui se situe au troisième niveau aura donc plus de facilité à prendre des décisions au service de l’intérêt général que celui qui se situe au premier niveau.
Le niveau de jugement moral préconventionnel.
Le premier niveau est celui du jugement moral préconventionnel. À ce niveau, qui correspond à la structure mentale d’un enfant de moins de 10 ans, un acte est bon ou mauvais en fonction des punitions qu’il engendre, le point de vue d’autrui n’est pas pris en compte et l’intérêt général est subordonné à l’intérêt personnel.
- Stade 1 : Obéir pour éviter une punition.
Le stade 1 correspond à la structure mentale d’une enfant de moins de 6 ans, qui obéit pour éviter une punition. Selon une étude de Weber et Green de 1991, menée auprès d’un échantillon d’étudiants, 3 % ont fait preuve d’un jugement de stade 1[3]. À ce stade, sa structure mentale lui permet juste d’obéir à celui qui détient l’autorité pour éviter une punition, est cela, quelle que soit la règle. Un acte est bon ou mauvais en fonction des punitions qu’il engendre. Pour qu’une règle ou un ordre soit respecté, sa transgression doit donc être sanctionnée. Si l’infraction n’est pas punie, désobéir n’a aucune signification.
N’ayant pas de point de vue qui lui soit propre, il confond les siens avec ceux de l’autorité. Peu importe les conséquences légales ou morales de ses actes, pour éviter une punition, l’enfant obéira aveuglément aux ordres du détenteur de l’autorité : ses parents, les adultes, le maître d’école, à Dieu, son patron ou à la loi du plus fort (loi de la jungle). Si l’ordre consiste à voler ou à tuer, pour éviter une punition, il obéira aux ordres. Si la structure mentale de Heinz se situe à ce stade, il doit laisser mourir sa femme, car les gendarmes vont le mettre en prison, ou il doit voler le pharmacien, car Dieu le punirait de laisser mourir sa femme.
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Stade 2 : Faire valoir son intérêt égocentrique.
Le stade 2 correspond à la structure mentale d’un enfant de moins de 10 ans qui fait des choix pour faire valoir ses intérêts égocentriques. Selon l’étude de Weber et Green, 46 % des étudiants ont un niveau de jugement de stade 2[4]. Étant exclusivement préoccupés par ses intérêts personnels, les intérêts et le point de vue d’autrui ne sont pas pris en compte, l’intérêt des autres se confond avec les siens et l’intérêt général est subordonné à l’intérêt personnel. Sa devise étant « Me, my self and I », même si, occasionnellement, les autres peuvent en profiter, il agit exclusivement de manière égoïste sans prendre en compte les intérêts d’autrui. Si la structure mentale de Heinz se situe à ce stade, il doit laisser mourir sa femme, car ainsi il pourra s’en trouver une autre, ou il doit voler le pharmacien, car il veut que sa femme puisse encore lui faire à manger.
À ce stade, les relations qu’il tisse avec autrui s’apparentent à des relations commerciales. Étant fortement attaché au principe du donnant-donnant, il travaille et fait des efforts pour obtenir un résultat en retour et il rendra un service à condition d’en retirer un bénéfice concret et tangible. Puisqu’il distingue ses propres intérêts de ceux des autres, il reconnaît que chacun poursuit des intérêts divergents. La valeur d’une action, d’un échange, d’un projet, d’une règle ou d’une loi est relative aux intérêts qu’il peut en tirer. Un échange favorable à ses intérêts est jugé bon, celui qui y nuit est jugé mauvais. Une loi est juste si elle sert ses intérêts et, occasionnellement, ceux des autres. Par contre, elle est injuste si elle sert l’intérêt général au détriment des siens.
En valorisant et en récompensant la cupidité, l’égoïsme et l’intérêt personnel, la doctrine idéologique néolibérale encourage des « adultes » à se comporter comme un enfant, dont la structure mentale s’est arrêtée à l’âge de 10 ans. Puisque l’idéologie néolibérale valorise la motivation à réussir sur le plan financier, professionnel et matériel, il apparaît normal de défendre la liberté de s’enrichir au détriment de l’intérêt général. En effet, pour les néolibéraux, une réforme est juste et vertueuse si elle sert des intérêts personnels et privés, elle est obsolète, moyenâgeuse ou utopiste si elle sert l’intérêt général. Bien que le libre marché et la liberté des prix nuisent au bien-être et à la qualité de vie de 99 % de la population, comme elle favorise les intérêts personnels de l’élite économique (1 % restant), cette mesure est jugée libérale et progressiste.
La volonté exclusive d’accumuler toujours plus d’argent et de biens matériels, au détriment de 99 % de la population, apparait donc comme le symptôme d’un manque de maturité, d’un arrêt du développement psychologique ou d’une pathologie psychique. Au lieu de susciter l’envie, le respect et l’admiration, la soi-disant « élite » économique devrait plutôt faire l’objet de suspicion concernant sa maturité psychologique et sa santé mentale. Face aux enjeux écologiques et climatiques, est-il raisonnable de laisser les choix, qui concernent l’avenir des générations présentes et à venir, entre les mains d’une « élite » économique et politique, dont la structure mentale correspond à celle d’un enfant de moins de 10 ans. Tant que l’idéologie néolibérale valorisera ce type de comportement, il sera impossible d’inverser les processus qui contribuent au réchauffement du climat, à l’épuisement des stocks de matières premières, à la dégradation des ressources naturelles et à la disparition de la biodiversité. Autrement dit, la survie des générations présentes et à venir ne relève pas de la réforme du champ économique, mais, d’une part, du regard porté sur la réussite financière, professionnelle et matérielle, et, d’autre part, de l’évolution du niveau de jugement moral.
Le niveau de jugement moral conventionnel.
Le second niveau de jugement moral est le conventionnel. À ce niveau, qui correspond à la structure mentale d’un adolescent et d’un jeune adulte de 10 à 20 ans, l’individu entretient un lien fusionnel, d’ordre psychologique, avec les normes, les valeurs, les règles et le système culturel ou idéologique de son groupe d’appartenance. Les actions jugées bonnes, valables et recevables sont conformes aux attentes de son entourage et des détenteurs de l’autorité morale ou juridique légitime. L’attitude morale consiste à se conformer aux exigences et à s’identifier aux intérêts de son groupe d’appartenance, de ses paires, de la société et des détenteurs de l’ordre social. En se conformant et en agissant loyalement, l’individu préserve sa sécurité, évite la solitude, satisfait son besoin d’appartenance, nourrit l’estime de soi et donne un sens à sa vie.
- Stade 3 : Se conformer aux attentes du milieu.
La structure mentale de celui qui se situe au stade 3 correspond à celle d’un adolescent de 10 à 16 ans. Selon l’étude de Weber et Green, 28 % des étudiants ont un niveau de jugement de stade 3[5]. À ce stade, l’empathie envers autrui ayant été intégré à sa structure mentale, l’individu fait des choix en se conformant aux exigences et aux attentes de sa famille, de son entourage, de ses professeurs, de ses amis, de ses paires, de son patron, de la majorité et de son groupe d’appartenance. Ayant de l’empathie, il n’est pas indifférent aux sentiments d’autrui. Se souciant des sentiments d’autrui, il se comporte avec eux comme il aimerait qu’ils se comportent avec lui.
L’action étant jugée en fonction des intentions qui la sous-tendent, « vouloir bien faire » est important. Une action et un comportement sont jugés bons et justes, s’ils servent l’intérêt général et se conforment aux attentes de ses proches et de la majorité. Puisque l’intérêt général prime sur l’intérêt personnel, il accepte de se conformer aux objectifs, aux projets et aux attentes de son groupe d’appartenance. Étant préoccupé par sa réputation, il cherche à gagner l’approbation d’autrui en étant bienveillant, généreux, loyal et digne de confiance. Si Heinz se situe à ce stade, il laisse mourir sa femme, car ses collègues ne l’accepteraient pas en voleur, ou il vole le pharmacien, car ses collègues n’accepteraient pas son manque d’égard envers sa femme.
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Stade 4 : Répondre aux règles sociales.
La structure mentale de celui qui se situe au stade 4 correspond à celle d’un jeune de 16 à 20 ans. Selon l’étude de Weber et Green, 21 % des étudiants ont un jugement moral de stade 4[6]. À ce stade, sa structure mentale lui permet de faire des choix en respectant les règles sociales. En intégrant la pensée abstraite et des concepts normatifs, l’évolution de la structure mentale favorise la capacité, d’une part, à distinguer le point de vue sociétal et les mobiles interpersonnels des conventions sociales, et, d’autre part, à considérer la place de chacun en fonction de son rôle et de son statut social. En comprenant que la loi est le garant de l’ordre social, l’individu fait sienne la formule « Law and order ».
Ayant le souci de faire ce qui est juste, il respecte la loi, les règles, l’ordre social, l’autorité légitime et ses engagements. Ayant intégré, que les normes, les coutumes, les règles, la loi et l’autorité légitime sont les garants de l’ordre social, l’individu s’y conforme, les respecte et les défend, sans trop se poser de questions. Il s’engage et accomplit son devoir envers la société pour préserver le fonctionnement des institutions et défendre les détenteurs de l’autorité politique légitime. Afin de préserver les institutions et l’ordre établi, il est prêt à se battre et à donner sa vie. Il apporte son soutien à l’autorité tant qu’elle n’entre pas en conflit avec les lois et les règles sociales établies. Le sens du devoir et de la justice étant important, la rétribution de chacun doit être fonction de ses mérites, de son travail et de sa contribution à la société. Si Heinz se situe à ce stade, il laisse mourir sa femme, car le vol est interdit par la loi, ou il doit voler le pharmacien, car la non-assistance à personne en danger est punie par la loi.
Le niveau de jugement moral postconventionnel.
Le troisième niveau de jugement moral est le postconventionnel. À ce niveau, qui correspond à la structure mentale d’un adulte de plus de 20 ans, l’individu a atteint un haut niveau d’autonomie. En prenant conscience de la relativité des règles et des valeurs, il est confronté à une crise existentielle qui le fait basculer du dogmatisme au scepticisme. En reconnaissant et en intégrant cette relativité, il accède à une éthique autonome en construisant son propre référentiel de valeurs à partir du droit, de connaissances et de principes à caractères universels. L’évolution cognitive de sa structure mentale s’accompagne d’une meilleure compréhension des rapports humains et sociaux, ainsi que d’une perception plus profonde de soi, des autres, de la société et de la vie.
À ce niveau, il est capable de prendre des décisions au service de l’intérêt général en faisant abstraction de ses propres intérêts. Bien qu’il prenne ses décisions au service de l’intérêt général, cela ne l’empêche pas de considérer que l’accès au bonheur et à l’épanouissement relève du libre arbitre et de choix individuels. Étant capable de se décentrer, avant de prendre une décision, d’une part, il mobilise des connaissances, des règles, des valeurs et des principes universels, et, d’autre part, il prend en compte les arguments d’experts et le point de vue de son interlocuteur. Pour finir, il s’engage à promouvoir le contrat social et les droits de l’homme et à défendre la démocratie, qui lui apparaît comme le meilleur système politique possible.
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Stade 5 : Principes du contrat social et droits à la vie et à la liberté.
La structure mentale de celui qui se situe au stade 5 correspond à celle d’un jeune adulte de 20 à 25 ans. Selon l’étude de Weber et Green, 1,6 % des étudiants ont un jugement moral de stade 5[7]. D’après les études de Jacques Lalanne 10 à 15 % des adultes ont atteint ce stade[8]. À ce stade, la structure mentale d’un individu lui permet de concilier ses intérêts personnels avec les principes démocratiques et, donc, de faire des choix en fonction du contrat social. Bien que ce qui est bon pour soi relève d’un choix individuel, un choix juste est défini en fonction de critères objectifs examinés et admis de façon critique. La hiérarchie des lois, des règles et des valeurs est déterminée par des négociations collectives, qui sont l’affaire de tous. Étant capable de reconnaître la divergence des règles et des valeurs, la relativité des opinions et la difficulté à concilier le point de vue moral et légal, il favorise le consensus en combinant différentes perspectives : les devoirs et principes moraux, ainsi que l’objectivité, le calcul rationnel et la procédure des contrats.
La motivation prédominante étant la recherche du plus grand bien pour le plus grand nombre, l’individu fait des choix en étant conscient qu’il ne peut pas toujours défendre ses intérêts particuliers et ceux de son groupe d’appartenance. Le contrat social concilie la recherche du bien commun au service de l’intérêt général en respectant le droit à la vie, les droits fondamentaux, la constitution et les libertés individuelles. N’étant pas des principes relatifs, si le contrat social entre en conflit avec les intérêts d’un groupe particulier, au nom de la liberté et de la démocratie, il le défendra indépendamment de l’opinion de la majorité. Pour finir, il s’engage à promouvoir et à défendre le contrat social, les droits de l’homme et la démocratie, qui lui apparaît comme le meilleur système politique possible. Si Heinz se situe à ce stade, il laisse mourir sa femme, car le droit de propriété est un fondement de la démocratie, ou il doit voler le pharmacien, car la santé est un principe de bien-être.
Puisqu’elle assure des droits égaux, la justice découle de la négociation d’un contrat signé entre deux contractants. Le contrat librement consenti formalise, sous une forme juridique objective, le principe qui relie l’intérêt particulier à l’intérêt général. Relevant de la confiance, le contrat garantit le respect des droits, de la propriété, des échanges, des transactions et des engagements. En signant un contrat, le contractant s’engage, d’une part, à respecter ses engagements et les termes du contrat, et, d’autre part, à obéir aux ordres et à apporter son soutien aux projets et aux règles auxquels il n’adhère pas forcément. Les obligations morales, qui fixent le cadre légal d’un contrat librement consenti, reposent sur l’égalité (pas de hiérarchie entre contractants) et la liberté (pas de contraintes et de contrats imposés). Ces règles, qui constituent la substance de l’obligation morale, assurent des droits égaux entre un dominant et un dominé.
Ayant le souci des libertés individuelles, les néolibéraux affirment que la relation entre un salarié et un employeur ne devrait pas relever du droit du travail, mais de la négociation d’un contrat de travail librement consenti. Pour ne pas se laisser piéger par ce discours idéologique, il est nécessaire de revenir aux réalités économiques et sociales. Une négociation peut avoir lieu sur une base libre et non faussée si les deux parties en présence sont de force égale. Si l’un des deux est dépendant de l’autre, il ne peut pas y avoir d’accord libre.
En 2013, la France comprend plus de 7 millions d’actifs sans emploi et à temps partiel « subi »[9]. Tant que le taux de chômage sera élevé, le rapport de force sera en faveur de l’employeur. La liberté du salarié consistera à se soumettre ou à refuser les conditions de travail imposées par les termes du contrat : le taux horaire à 6 €, 60 heures de travail hebdomadaire, etc. Puisque la doctrine néolibérale relève du stade 2, son application provoquera la régression des conditions de travail à ceux du 19e siècle. Pour qu’un contrat de travail soit librement consenti, la structure mentale des employeurs et des salariés doit atteindre le stade 5. Tant que celle des néolibéraux se situera au stade 2 et que celle de 75 % des « adultes » sera inférieure au stade 5, c’est le droit du travail, et donc l’autorité de l’État, qui devra arbitrer le rapport de force entre les employeurs et les salariés.
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Stade 6 : Principes éthiques universels de justice valables pour toute l’humanité.
La structure mentale, de celui qui se situe au stade 6, apparaît entre 30 et 35 ans. Ne correspondant pas à un stade de développement naturel, ce stade apparaît comme un idéal que de rares élus peuvent atteindre (Gandhi, Martin Luther King, etc.). Selon l’étude de Weber et Green, aucun étudiant n’a atteint le jugement moral de stade 6[10]. D’après les études de Jacques Lalanne, seuls 5 à 10 % des adultes ont atteint le stade 6[11]. Au ce stade, la structure mentale d’un individu lui permet, d’une part, de reconnaître et de vivre comme une exigence intérieure, que le respect d’autrui est au fondement de la morale, et, d’autre part, de faire des choix, de prendre des décisions et d’envisager les arrangements sociaux en fonction de principes de justice et d’éthique universelle.
Une prise de décision juste et rationnelle relève d’une empathie parfaite fondée sur une conscience autonome. Quelle que soit sa position, à l’occasion d’une négociation et avant de prendre une décision, il est capable de se décentrer pour écouter les avis d’experts et apprécier les arguments de son interlocuteur afin de faire ressortir les positions convergentes et divergentes. Les règles, les valeurs et les connaissances, qui guident et éclairent sa conduite, sont choisies en accord avec des principes rationnels, logiques et objectifs à caractère universel. Ces principes, qui devraient s’appliquer à l’ensemble de la société et dans toutes les circonstances, s’inspirent des droits de l’homme, de l’égalité des droits et du respect de la dignité humaine. En adhérant et en se soumettant à ces principes, il agit et prend des décisions justes, valides et rationnelles. Lorsque des lois injustes violent ces principes (antisémite, raciste, fasciste, libre marché, dérégulation des prix, etc.), il faut s’en remettre à eux pour les réformer. Si Heinz se situe à ce stade, il doit laisser mourir sa femme, car le droit de propriété est un principe universel, ou il doit voler le pharmacien, car le droit à la vie est un principe universel.
Une étude de Jacques Lalanne, datant de 1990, montrait que seuls 20 à 25 % des adultes avaient atteint le niveau postconventionnel[12]. Cela signifie que pour, d’une part, inverser les processus écologiques et climatiques, qui menacent la survie des générations présentes et à venir, et, d’autre part, favoriser l’émergence d’une société composée d’individus adultes réellement libres, autonomes et responsables, il est nécessaire que 80 % à 75 % des « adultes », qui se situent entre le niveau préconventionnel et conventionnel, accèdent au niveau postconventionnel. Faire évoluer la structure mentale d’un individu du niveau conventionnel au postconventionnel implique de nombreux processus cognitifs complexes.
La description des stades 5 et 6 fait apparaître que pour faire évoluer une structure mentale au niveau postconventionnel, il est nécessaire de développer, d’une part, des connaissances et une pensée abstraite à caractère universel, un raisonnement hypothético-déductif et un esprit critique vis-à-vis des conventions sociales et des lois établies, d’intégrer des concepts moraux abstraits complexes (justice, équité et droits universels), et, d’autre part, un comportement rationnel, l’empathie, la capacité de se décentrer, le respect d’autrui, la liberté individuelle et la capacité à formuler des jugements moraux indépendamment des attentes de la société ou des autorités. Pour accompagner l’évolution de la structure mentale de la majorité de la population au niveau de jugement moral postconventionnel, il apparaît nécessaire, d’une part, de les encourager à suivre une formation en sciences humaines et un atelier de développement personnel tout au long de la vie, et, d’autre part, à développer leurs huit formes d’intelligence.
Jean-Christophe Giuliani
[1] Giuliani Jean-Christophe (2019), Croissance du PIB = Effondrement, Mouvement Pour un Développement Humain, [En ligne] (consulté le 5 novembre 2019), http://www.mouvementpourundeveloppementhumain.fr/croissance-du-pib-effondrement/
[2] Leuleu Claudine, Théorie du développement moral chez Lawrence Kohlberg et ses critiques (Gilligan et Habermas), [En ligne] (consulté le 21 octobre 2024), http://www.claudineleleux.be/KohlbergPublDEA.pdf
[3] Kelloway E. Kevin, Barling Julian, Harvey Steve, Roy JE. Adams (1998), Prise de décision éthique au sein du MDN : Élaboration d’un outil de mesure, Défense nationale du Canada, Rapport de recherche parrainé 99 14, [En ligne] (consulté le 23 mai 2025), https://publications.gc.ca/collections/collection_2014/mdn-dnd/D2-347-1999-fra.pdf
[4] Kelloway E. Kevin, Barling Julian, Harvey Steve, Roy JE. Adams (1998), Prise de décision éthique au sein du MDN : Élaboration d’un outil de mesure, Défense nationale du Canada, Rapport de recherche parrainé 99 14, [En ligne] (consulté le 23 mai 2025), https://publications.gc.ca/collections/collection_2014/mdn-dnd/D2-347-1999-fra.pdf
[5] Kelloway E. Kevin, Barling Julian, Harvey Steve, Roy JE. Adams (1998), Prise de décision éthique au sein du MDN : Élaboration d’un outil de mesure, Défense nationale du Canada, Rapport de recherche parrainé 99 14, [En ligne] (consulté le 23 mai 2025), https://publications.gc.ca/collections/collection_2014/mdn-dnd/D2-347-1999-fra.pdf
[6] Kelloway E. Kevin, Barling Julian, Harvey Steve, Roy JE. Adams (1998), Prise de décision éthique au sein du MDN : Élaboration d’un outil de mesure, Défense nationale du Canada, Rapport de recherche parrainé 99 14, [En ligne] (consulté le 23 mai 2025), https://publications.gc.ca/collections/collection_2014/mdn-dnd/D2-347-1999-fra.pdf
[7] Kelloway E. Kevin, Barling Julian, Harvey Steve, Roy JE. Adams (1998), Prise de décision éthique au sein du MDN : Élaboration d’un outil de mesure, Défense nationale du Canada, Rapport de recherche parrainé 99 14, [En ligne] (consulté le 23 mai 2025), https://publications.gc.ca/collections/collection_2014/mdn-dnd/D2-347-1999-fra.pdf
[8] Lalanne Jacques, Le développement moral cognitif de chez Laurence Kohlberg, Entre vue, n°7 de 1990, page 17, [En ligne] (consulté le 21 octobre 2021), http://www.entre-vues.net/wp-content/uploads/2018/05/1990-7.pdf
[9] Giuliani Jean-Christophe, En finir avec le chômage : un choix de société !, St Ouen, Les Éditions du Net, 2019, page 21.
[10] Kelloway E. Kevin, Barling Julian, Harvey Steve, Roy JE. Adams (1998), Prise de décision éthique au sein du MDN : Élaboration d’un outil de mesure, Défense nationale du Canada, Rapport de recherche parrainé 99 14, [En ligne] (consulté le 23 mai 2025), https://publications.gc.ca/collections/collection_2014/mdn-dnd/D2-347-1999-fra.pdf
[11] Lalanne Jacques, Le développement moral cognitif de chez Laurence Kohlberg, Entre vue, n°7 de 1990, page 17, [En ligne] (consulté le 21 octobre 2021), http://www.entre-vues.net/wp-content/uploads/2018/05/1990-7.pdf
[12] Legros Cathy, Lalanne Jacques et Debunne Jean-Marie, (1990), Le développement moral cognitif de chez Laurence Kohlberg, Entre vue, n°7 de 1990, page 17, [En ligne] (consulté le 21 octobre 2024), http://www.entre-vues.net/wp-content/uploads/2018/05/1990-7.pdf