Loi Black ou New Deal : un choix de société

 « En finir avec le chômage » est un enjeu économique, politique et social majeur qui concerne la France, l’Espagne, l’Italie, les États-Unis, le Japon et l’ensemble des pays industrialisés. Étant, en grande partie, dus à la hausse des gains de productivité, pour le supprimer les gouvernements disposent de deux solutions : la relance de la croissance ou la réduction du temps de travail. Afin de choisir la mieux adaptée, nous étudierons ces deux solutions. Avant d’envisager l’une ou l’autre de ces solutions, il apparaît pertinent de s’attarder sur l’expérience de la crise de 1929 qui a provoqué un chaos économique et social aux États-Unis et en Europe. Pour lutter contre la hausse du chômage de masse consécutive à cette crise, les États-Unis avaient déjà le choix entre la relance de l’activité économique (New Deal) ou la réduction du temps de travail (loi Black).

  • Les causes et conséquences de la crise de 1929.

Depuis octobre 2008, les pays industrialisés sont confrontés à une récession économique qui a été provoquée par la crise des subprimes. En 2011, la dette publique de pays de la zone euro (Grèce, Portugal, Irlande et Italie) menace de provoquer une nouvelle crise financière qui risque d’aggraver la récession économique existante. Comme certains processus à l’origine de ces crises sont similaires à ceux de la crise de 1929, nous l’étudierons pour en comprendre les mécanismes.

La crise de 1929 a plongé l’économie américaine dans une récession qui s’est répercutée à l’ensemble de ses partenaires économiques. Cette crise n’a pas été uniquement provoquée par l’effondrement du cours des actions à la bourse de Wall Street. Sa propagation et son ampleur sont également dues à la dérégulation des marchés financiers et à l’enchevêtrement de multiples facteurs.

– La bulle spéculative de l’indice Down Jones. – La hausse du crédit à la consommation (60% des biens achetés à crédit). – L’autorisation de l’achat d’actions à crédit par la bourse de Wall Street en 1926. La couverture des achats de titres était limitée à 10% pour dix dollars achetés : un dollar de couverture pour 10 $ de titre acheté. – La dérégulation des marchés financiers. – La fusion des banques de dépôt et des banques d’affaires. – La hausse des réserves fractionnelles. – La création monétaire à partir des crédits. – Le financement des emprunts publics par les banques privées (Owen-Glass Act, le 23 décembre 1913 Woodrow Wilson signe le décret de création de la Réserve fédérale).

Afin de comprendre l’effet domino qui a provoqué l’effondrement de l’économie américaine, nous en décrirons les deux principaux processus.

Le premier correspond à la manière dont est créée la monnaie. À l’inverse des croyances largement répandues, ce n’est pas la banque centrale qui crée la monnaie et les banques ne prêtent pas l’argent qu’elles ont en dépôts. La monnaie est créée par les banques privées lorsqu’un emprunteur signe une reconnaissance de dette. Le prêt comprend le montant de l’emprunt plus les intérêts. C’est ainsi que la banque crée l’argent qu’elle prête. Pouvant prêter plus de vingt fois, voir plus, le montant de ses dépôts, l’effet levier dû aux réserves fractionnelles permet à la banque de s’enrichir grâce à l’argent qu’elle crée et aux taux d’intérêt qu’elle réclame. Ce processus fonctionne aussi longtemps que les déposants ne viennent pas retirer en même temps le montant de leurs dépôts. Mais surtout, tant que les prêts sont remboursés et que de nouveaux crédits sont octroyés à des emprunteurs solvables.

La seconde est due à l’effondrement du marché boursier. L’éclatement de la bulle spéculative de la bourse de Wall Street le 24 octobre 1929 a provoqué la panique des gros et petits épargnants qui se sont rués en masse dans les banques pour retirer leurs dépôts. Ne disposant pas de suffisamment d’argent dans leurs coffres, les banques ne pouvaient pas honorer le remboursement des dépôts. La réserve fédérale n’étant pas intervenue pour garantir les dépôts, la crise s’est étendue à tous les secteurs économiques. Ne pouvant plus disposer de liquidité et de crédit auprès des banques, les entreprises ne pouvaient plus assurer leurs activités et honorer leurs échéances auprès de leurs fournisseurs. Ce processus a provoqué la faillite d’entreprises et le licenciement de millions de salariés. Étant insolvables et n’ayant plus d’emplois, de nombreux Américains ne pouvaient plus rembourser leurs crédits et consommer pour générer de nouveaux crédits. Étant en faillite, de nombreuses entreprises ne pouvaient plus honorer le remboursement des prêts qu’elles avaient octroyés pour investir dans leurs outils de production. Le montant inscrit aux débits des banques étant pour l’essentiel composé de reconnaissance de dette, la somme des défaillances des entreprises et des particuliers a accéléré la faillite des banques.

La faillite des banques a provoqué l’effondrement de l’économie américaine. Ne disposant plus de dépôts et d’emprunteurs solvables désirant octroyer un crédit, le processus de réserve fractionnelle a provoqué l’effondrement de la valeur de la monnaie en circulation et l’inflation des prix. Ne disposant plus de débouchés solvables pour écouler leurs marchandises, les entreprises étaient confrontées à des surstocks qui ont provoqué une baisse des prix. La déflation a accéléré la faillite des entreprises et les licenciements. La fermeture d’entreprises associée à la hausse des gains de productivité a provoqué une hausse massive du chômage. De 1929 à 1933, le nombre de chômeurs est passé de 1 million à 15 millions [1]. Afin de retrouver de la liquidité, les banques américaines ont rapatrié massivement les capitaux qu’elles avaient placés à l’étranger. L’un de leurs plus gros débiteurs était l’Allemagne. Ce processus a propagé la crise monétaire à l’ensemble de ses partenaires économiques dont les banques fonctionnaient sur le même principe.

Afin de reconstruire le système financier américain, le gouvernement a fait voter, par le Sénat et le Congrès, de nombreuses lois destinées à réguler les marchés financiers et le fonctionnement des banques. En séparant les banques de dépôt des banques d’affaires, la loi « Glass-Steagall-Act » évite que les dépôts des épargnants soient, à nouveau, utilisés pour la spéculation financière et des crédits à risques. En limitant la réserve fractionnelle à neuf fois, le montant des dépôts, les banques ne pouvaient plus prêter plus de 9 fois l’argent qu’elles avaient en dépôt. En garantissant le remboursement des dépôts, la banque centrale garantissait la solvabilité des dépôts en cas de retraits massifs de déposants. Après avoir rétabli le système financier, il était indispensable de lutter contre la hausse du chômage qui menaçait le processus démocratique. En 1933, plus de 15 millions de personnes étaient au chômage aux États-Unis. Pour créer des emplois, les ménages devaient consommer davantage pour inciter les entreprises à embaucher.

Les freins à ce processus vertueux étaient de deux ordres. Les salaires étaient trop faibles pour stimuler la reprise de la consommation. Les entrepreneurs et les investisseurs privés préféraient investir dans des machines modernes plutôt que d’embaucher des salariés. La somme de ces processus ne permettait pas de créer massivement des emplois. Pour lutter contre le chômage, le gouvernement américain a eu le choix entre le New Deal ou la loi Black. Comme ce choix s’apparente à celui que nous devons faire aujourd’hui, nous espérons que nous ne ferons pas celui qui a conduit à la Seconde Guerre mondiale.

  • Les conséquences du New Deal ?

Lors des élections de 1933, le candidat Franklin Delannoy Roosevelt a proposé de sortir l’Amérique du marasme économique et de créer massivement des emplois grâce à un programme ambitieux qui a pris le nom de New Deal. Le New Deal est une politique économique de type keynésienne dont l’objectif était de relancer l’activité économique en stimulant la demande grâce à une intervention publique de l’État. Son but était de créer des emplois en relançant l’activité économique par le biais d’une politique de grands travaux financés par des emprunts d’État. Les investissements massifs de l’État comprenaient la construction d’infrastructure routière, de ponts, de barrage, de ports, etc., indispensable au développement économique du pays. En créant des emplois, ces grands travaux permettaient à des salariés de consommer. En consommant, ces salariés stimuleraient la demande et relanceraient l’activité économique. Pour faire face à la hausse de la demande, les entreprises seraient obligées d’embaucher. La relance de l’activité économique permettrait de créer un cercle vertueux qui relancerait la consommation, créerait des emplois et supprimerait le chômage. Sur le papier, ce programme ambitieux pouvait effectivement créer des millions d’emplois. Dans la réalité, le New Deal a commencé à réduire le chômage à partir de 1941.

Les effets du New Deal sur l’emploi ont débuté à partir de 1941, lorsque les États-Unis sont rentrés en guerre contre le Japon et l’Allemagne. En effet, ce n’est pas le New Deal, mais la mobilisation en masse dans les usines d’armement et l’armée qui a permis de supprimer le chômage. Sans la guerre, due en partie à la crise de 1929, le New Deal n’aurait jamais réussi à endiguer la hausse du chômage. L’une des conséquences de la Seconde Guerre mondiale est la naissance d’un complexe militaro-industriel [2]  qui menace les libertés civiles, politiques et spirituelles de la planète. Depuis, la guerre et les dépenses d’armement sont devenues les principaux moyens politiques de relancer la croissance du PIB. Le complexe militaro-industriel est financé par l’État, donc par l’impôt des contribuables. Le budget attribué aux dépenses militaires et à la guerre n’est plus utilisé pour financer l’éducation, la santé, la protection sociale et les services publics qui contribuent réellement au bien-être de la population.

  • La solution de la loi Black-Connery (la réduction du temps de travail à 30 heures par semaine).

En 1933, afin de lutter contre la hausse du chômage et de permettre aux salariés de bénéficier des gains de productivité, les syndicats ont proposé au Sénat de voter une loi sur la réduction du temps de travail à 30 heures par semaine. L’objectif de la loi Black-Connery n’était pas seulement de lutter contre le chômage. Au contraire, les syndicats présentaient la semaine de 30 heures comme étant la clef, d’une part, du développement du corps, de l’esprit et de l’âme des salariés, et, d’autre part, du progrès social et de l’évolution de la civilisation. B. Hunnicult a affirmé que « le rapport de l’AFL sur la réduction du temps de travail ne parlait ni de chômage, ni de salaires plus élevés, mais s’attardait plutôt à un long éloge des loisirs du travailleur, les décrivant nécessaires au bon développement du corps, de l’esprit et de l’âme […] à la richesse de la vie […] un progrès social […] à la civilisation elle-même »[3].

Les principales étapes de la loi Black-Connery sont les suivantes : le 20 juillet 1932, le conseil de direction de l’AFL (Americana Fédération Labor) rédige la déclaration sur la réduction du temps de travail à 30 heures. Le 31 décembre 1932, le sénateur de l’Alabama, Hugues L.Black propose au Sénat de voter le projet de loi pour la semaine de 30 heures. Le 6 avril 1933, la loi Black est votée au Sénat à 55 voix contre 30. Après avoir été adoptée en commission, la loi Black a été rejetée par la chambre des représentants. La loi Black a enthousiasmé le peuple américain, mais a fait frissonner Wall Street qui voyait en cette loi une menace pour les profits, l’émergence de la société de consommation naissante et la croissance de l’activité économique. Soutenu par les milieux d’affaires et les principaux responsables industriels, le président Roosevelt torpilla la loi Black devant le Congrès au profit de la nouvelle politique nationale, plus connue sous le nom de New Deal. Reconnaissant qu’à court terme la semaine de 30 heures était une solution pour créer des emplois, il craignait qu’à long terme elle freine l’émergence de la société de consommation et la compétitivité des États-Unis. Quelques années après 1933, Roosevelt a déclaré « avoir des regrets pour ne s’être pas rangé derrière la loi Black-Connery, sur les 30 heures et ne l’avoir pas soutenu devant le congrès » [4].

En 1930, pour créer des emplois et développer son activité, la direction de Kellogg’s a décidé de réduire la semaine de travail de ses salariés à 30 heures. Pour cela, elle a, d’une part, réorganisé ses postes de travail : quatre postes de 6 heures au lieu de trois de 8 heures, et, d’autre part, augmenté la rémunération horaire de ses salariés de 12,5% pour compenser le manque à gagner. En 1935, lors de la publication de ses résultats, la direction de Kellogg’s a déclaré que la semaine de 30 heures avait été bénéfique pour l’entreprise. Le moral des salariés étant meilleur, la productivité du travail avait augmenté, tandis que les coûts de production et les frais d’assurances avaient diminué. En effet, les coûts généraux et du travail se sont réduits respectivement de 25% et de 10%, les accidents du travail ont diminué de 41 % et les effectifs de Kellogg’s ont augmenté de 39% par rapport à 1929. Dans son rapport, L Brown ajoute que la semaine de 30 heures n’a pas seulement augmenté la productivité et les profits. Elle a également permis à ses milliers de salariés de s’investir dans leur vie de famille, des activités sociales et des activités d’émancipation individuelle ou collective. L’expérience de Kellogg’s démontre que la réduction du temps de travail est bénéfique à l’entreprise et aux salariés. Non seulement elle permet de créer des emplois, mais en plus, elle offre aux salariés la possibilité d’émanciper leurs corps et leurs esprits.

En conclusion, le choix entre la loi Black ou le New Deal démontre que pour préserver la paix et le processus démocratique, la réduction du temps de travail apparaît comme la seule solution envisageable pour supprimer le chômage. Mais surtout, que ce choix n’était pas qu’une simple alternative pour lutter contre le chômage. Il correspondait, au contraire, à un véritable choix de société. En effet, si les États-Unis avaient choisi la loi Black la société ne serait certainement pas celle que nous connaissons aujourd’hui. Depuis la crise de 2008, qui est désormais systémique, les pays industrialisés sont confrontés au même choix pour supprimer le chômage : relancer la croissance ou réduire le temps de travail. Afin d’aider nos dirigeants politiques à faire le bon choix, nous étudierons ces deux solutions.

Jean-Christophe Giuliani

Pour accéder aux pages suivantes :

– La croissance du PIB peut-elle supprimer le chômage ?

– La réduction du temps de travail peut-elle supprimer le chômage ?


[1] Riffikin Jeremy, La fin du travail, Paris, La découverte & Syros, 1996, page 49.

[2] Cliotexte, (consulté le 5 décembre 2011), Discours d’adieu prononcé par le Président Dwight David Eisenhower, le 17 janvier 1961, [En ligne]. Adresse URL : http://icp.ge.ch/po/cliotexte/deuxieme-moitie-du-xxe-siecle-guerre-froide/discours.eisenhower.html

[3] Riffikin Jeremy, La fin du travail, Paris, La découverte & Syros, 1996, page 50.

[3] Riffikin Jeremy, La fin du travail, Paris, La découverte & Syros, 1996, page 54.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.