Aménagement du temps de travail et temps choisi

La réduction de la durée légale de la semaine de travail à 3 jours favorisera également l’aménagement du temps de travail de l’ensemble des acteurs économiques : les employés, les ouvriers, les cadres, ainsi que les entrepreneurs, les chefs d’entreprises, les professions libérales, les agriculteurs, les artisans et les commerçants. Afin de la faciliter, la semaine de travail de toutes les entreprises sera planifiée sur 6 jours au lieu de 5 actuellement. Un poste ou une unité de travail sera partagé entre deux salariés ou deux équipes qui se succéderont tous les 3 jours.

Ne nécessitant pas une expertise particulière, la plupart des emplois sont parfaitement adaptés à la semaine de 3 jours. Par exemple, le personnel d’un hypermarché comprend un directeur, des chefs de secteurs, des responsables de rayons, des conseillers de ventes, des logisticiens, des hôtesses de caisse, ainsi que des employés au service livraison, SAV, sécurité, comptabilité, administrative, etc… Du directeur aux services administratifs, les effectifs du magasin seront multipliés par deux pour constituer deux équipes distinctes. Tandis que les salariés de l’équipe n 1 prendront en charge l’activité du magasin du lundi matin au mercredi soir, ceux de la n°2 s’en chargeront du jeudi matin au samedi soir. Afin d’assurer la transition, la continuité et la qualité du travail entre les équipes n°1 et n°2, des consultants en organisation auront la mission de mettre en œuvre des méthodes et des procédures d’organisation du travail. Puisqu’ils savent déjà organiser les 3/8 (trois salariés se partagent un poste 8 heures par jour), aménager un poste de travail pour deux salariés qui se le partageront 3 jours sur 6 ne semble pas insurmontable.

En fonction des impératifs de leurs missions, de leurs niveaux de responsabilité et de leurs projets de vie, tous les salariés auront la liberté de choisir d’aménager leur emploi du temps en heures ou en jours sur le mois, le trimestre, le semestre ou l’année.

Qu’il soit en jours ou en heures, l’aménagement du temps de travail permettra de multiples formes d’organisation. Par exemple, à la fin de l’année n-1, les deux directeurs d’un même magasin pourraient décider de travailler un semestre par an : le directeur de l’équipe n°1 effectuera ses 156 jours le premier semestre, celui de la n°2 le second. Suite à un accord signé en fin d’année n-1, les deux équipes d’un même magasin pourraient également décider de travailler un semestre par an : les salariés de l’équipe n°1 travailleront 1 248 heures le premier semestre, ceux de la n°2 le second. La rémunération étant annualisée, qu’ils travaillent ou pas, ils percevront la même chaque mois. Étant donné que les agents de la fonction publique ont déjà le droit au temps partiel annualisé, sa généralisation aux salariés du privé ne relève pas d’une utopie, mais d’un choix politique. Le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 modifié relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail[1] donne le droit à un agent de la fonction publique de travailler à temps partiel en aménageant sa durée de travail hebdomadaire sur 2,5 jours. Le décret n° 2002-1072 du 7 août 2002 relatif au temps partiel annualisé donne le droit à ce même agent d’aménager son temps de travail sur l’année, en travaillant 6 mois sur 12.

Même si la durée légale de la semaine travail sera de 3 jours, elle n’empêchera pas ceux qui le souhaiteront de travailler davantage. En effet, pour une minorité de salariés, leur métier correspond à une véritable vocation (médecin, chercheur, ingénieur, enseignant, agriculteur, etc…). Comme ils se réalisent en travaillant, il est normal qu’ils aient le droit de s’investir autant qu’ils le souhaitent. Étant donné que ce choix reposera sur un engagement libre et volontaire, ceux qui souhaiteront travailler davantage seront réellement motivés à s’impliquer et à mener à bien leurs missions. En revanche, lorsqu’ils souhaiteront se consacrer à d’autres activités pour décompresser et enrichir leur personnalité, ils auront également le droit de bénéficier de l’aménagement de leur temps de travail.

Certains métiers nécessitent des connaissances et des compétences techniques spécifiques (ingénieur, médecin, chercheur, etc…) et d’autres imposent un suivi du projet (chef de projets, chef de chantiers, consultant, etc…). Étant modulable, l’aménagement du temps de travail s’adaptera en fonction des missions, des projets et des niveaux de responsabilité. Par exemple, un chef de projet, qui devra assurer une mission de 6 mois, effectuera ses 156 jours de travail durant cette mission. Sa mission terminée, au lieu d’en remplir une nouvelle, il disposera de 6 mois de temps libre consécutif. Sa rémunération étant annualisée, il percevra le même salaire chaque mois.

Afin de gravir les échelons hiérarchiques, de réussir sa « carrière » ou de préserver son emploi, un salarié est plus ou moins contraint de sacrifier sa vie familiale et personnelle au service des intérêts de l’entreprise. Selon un sondage paru en 2015, 93 % des sondés estimaient que l’équilibre des temps de vie professionnelle, familiale et associative est une préoccupation très importante. L’équilibre n’étant pas atteint, 71 % des salariés affirment manquer de temps pour profiter de leurs proches ou de leurs loisirs[2]. À cause du manque de temps libre, 35 % des cadres ont beaucoup de difficultés à concilier une vie professionnelle et personnelle[3]. Ne parvenant pas à trouver un équilibre de vie satisfaisant, ils risquent de se désinvestir ou d’être victimes du brown-out. En permettant d’établir un équilibre, l’aménagement du temps de travail permettra aux cadres de s’impliquer à nouveau. Si, durant une mission de 6 mois, un chef de projet n’a pas le temps de se consacrer à sa famille ou à ses activités personnelles, lorsqu’il l’aura terminé, il disposera de 6 mois pour s’accomplir autrement. Étant moins soumis à la culpabilité, aux tiraillements et aux pressions familiales, lorsqu’il sera en mission, il s’impliquera sans compter dans son travail.

L’aménagement du temps de travail ne concerne pas que les salariés. En effet, les entrepreneurs, les chefs d’entreprises, les professions libérales (avocat, médecin, etc…), les artisans (boulanger, plombier, mécanicien, etc…), etc…ont également le droit de disposer de temps libre pour améliorer leur qualité de vie. À cause du manque de temps, un dirigeant d’entreprise sur deux a des difficultés à concilier une vie professionnelle et personnelle et 69 % déclarent consacrer moins de temps à des activités physiques et de loisirs[4]. Pour assurer la survie ou le développement de son activité, rembourser ses emprunts ou tout simplement gagner plus, le chef d’entreprise est plus ou moins contraint de sacrifier sa vie familiale, sociale ou personnelle. En consacrant tout son temps à son entreprise, il aliène sa personnalité et son existence à son activité professionnelle. Sa personnalité étant atrophiée, il n’a plus que de l’argent à partager avec ses proches. Au lieu de se concurrencer, de jeunes médecins se regroupent déjà au sein de cabinets médicaux pour aménager leur emploi du temps sur 24 heures ou 3 jours par semaine[5]. Les dirigeants qui le souhaiteront auront donc également le droit de s’associer avec un associé, un collaborateur ou un concurrent pour aménager leurs emplois du temps sur l’année. En s’associant, ils auront la possibilité de se succéder chaque semestre à la direction d’une même entreprise. Les consultants en organisation et les experts comptables auront la mission d’assurer la transition et de partager équitablement les bénéfices. Ainsi, qu’ils travaillent ou pas, ils percevront la même rémunération.

Il est important de préciser que le fait de multiplier par deux les effectifs ne provoquera pas la multiplication par deux des heures de travail et des charges salariales. En remplaçant un salarié qui travaille 35 heures, par deux qui travailleront 24 heures, soit 48 heures, à salaire égal, les charges salariales augmenteront de 37 %. En permettant d’étaler les charges fixes sur 312 jours au lieu de 260, la semaine de 6 jours permettra de les réduire de 16,7 %. La semaine de 3 jours invite également à questionner la nécessité des 5 semaines de congés payés. Lorsque la semaine de travail était de 5 jours, les congés payés étaient justifiés par la domination du temps social du travail. Puisque la société s’organisera autour des 4 jours de temps libre, les congés ne seront peut-être plus nécessaires. La hausse des charges salariales sera donc absorbée par le chiffre d’affaires généré par la journée d’activité supplémentaire, l’étalement des charges fixes, les gains de productivité, la suppression des congés payés et la baisse des coûts pour absentéisme et arrêts maladies.

En associant la semaine de 3 jours à l’aménagement du temps de travail, il sera donc possible d’améliorer la qualité de vie et le bien-être de tous les acteurs économiques. Puisque’un salarié, un cadre, un entrepreneur ou un chef d’entreprise plus équilibré, moins stressé et plus épanoui est plus performant, ce nouveau modèle d’organisation du travail favorisera la compétitivité des entreprises. Au nom de la compétitivité, il est donc nécessaire que les consultants en organisation, les DRH, le Medef et les politiques s’en emparent pour la promouvoir et la mettre en œuvre.

Au nom de la liberté individuelle et de la propriété de soi, les modernistes, les ultralibéraux et les libertariens pourraient objecter que le choix de travailler 3 jours par semaine et d’aménager le temps de travail devrait être le résultat d’une négociation, d’un accord et de la signature d’un contrat entre un salarié et un employeur. Pour ne pas se laisser piéger par ce discours idéologique, il est nécessaire de s’intéresser aux réalités économiques et sociales. Être libre, autonome et propriétaire de soi, nécessite de pouvoir choisir son mode de vie et le sens que l’on souhaite donner à sa vie. Une négociation peut avoir lieu sur une base libre et non faussée si les deux parties en présence sont de force égale. Si l’un des deux est dépendant de l’autre, il ne peut pas y avoir d’accord libre. La France comprend plus de 7 millions d’actifs sans emploi et à temps partiel « subi ». Tant que le taux de chômage sera élevé, le rapport de force sera en faveur de l’employeur. À cause de la peur du chômage, ce choix ne peut pas relever d’une négociation individuelle. Puisque ce choix serait interprété comme un signe de démotivation, le cadre qui solliciterait l’autorisation de travailler 3 jours risquerait de perdre son emploi au profit d’un autre qui ne compterait pas ses heures. Pour que chacun ait ce choix, la loi doit donc garantir la liberté de choisir entre « travailler plus pour gagner plus » ou travailler 3 jours pour gagner moins. C’est donc à l’État que revient la responsabilité de fixer le cadre légal de la négociation entre le salarié et l’employeur. Lorsque la loi limitera la semaine de travail à 3 jours, le salarié qui souhaitera travailler plus aura la liberté et le droit de le négocier avec son employeur. Au même titre que je défends le droit de travailler 3 jours, au nom de la liberté, je défendrai également celui de travailler davantage.

En travaillant 3 jours, à taux horaire constant, les salariés gagneront moins. Pour que la semaine de 3 jours soit viable et désirable, elle ne doit pas menacer le pouvoir d’achat des ménages.

Jean-Christophe Giuliani

 

Cet article est extrait de l’ouvrage « En finir avec le chômage : un choix de société ! ».  Ce livre permet d’appréhender les enjeux du choix entre la relance de la croissance du PIB ou de la réduction du temps de travail. Vous pouvez le commander sur le site des Éditions du Net sous un format ePub ou Papier.


Pour accéder aux pages suivantes :

– Comment préserver son pouvoir d’achat en travaillant 3 jours par semaine ?

 


[1]Ministère de la fonction publique, Guide du temps partiel des fonctionnaires et des agents non titulaires des trois fonctions publiques, [En ligne] (consulté le 28 décembre 2016), http://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/IMG/Guide_temps_partiel_FPE-2.pdf

[2] L’express.fr, Travail ou vie privée ? sept salariés sur dix mènent une course contre le temps, [En ligne] (consulté le 15 avril 2018), https://www.lexpress.fr/emploi/gestion-carriere/travail-ou-vie-privee-sept-salaries-sur-dix-menent-une-course-contre-le-temps_1685435.html

[3] L’express.fr, Arrivez-vous à concilier vie professionnelle et vie privée ?, [En ligne] (consulté le 15 avril 2018), https://www.lexpress.fr/emploi/gestion-carriere/arrivez-vous-a-concilier-vie-professionnelle-et-vie-privee_1506780.html

[4] Fondation entrepreneurs MMA, Etude sur la santé du dirigeant 2018, [En ligne] (consulté le 19 octobre 2018), https://fondation-entrepreneurs.mma/etude-sante-dirigeant-entreprise-2018.htm

[5] Drees, Solidarité et Santé gouv.fr, L’emploi du temps des médecins libéraux, Diversité objective et écarts de perception des temps de travail, [En ligne] (consulté le 18 octobre 2018), https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/article201015.pdf

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