Pourquoi notre pouvoir d’achat a-t-il baissé ?

Jean-Christophe Giuliani

Article extrait de l’essai « En finir avec le chômage : un choix de société ! »

La stagnation, voire la baisse du pouvoir d’achat est l’une des principales préoccupations des ménages. Puisque l’augmentation du pouvoir d’achat est associée à la hausse des salaires, sa diminution est trop souvent associée à la stagnation, voire à la baisse des salaires. Le montant du salaire étant étroitement corrélé au taux horaire du travail, pour augmenter le pouvoir d’achat, il suffit donc d’augmenter le taux horaire du Smic. Bien que le pouvoir d’achat soit étroitement lié au taux horaire, il est également corrélé à la part du Smic allouée à l’alimentation et au logement. Afin de proposer d’autres solutions pour augmenter le pouvoir d’achat, il apparaît donc nécessaire, d’une part, d’étudier l’évolution de la part du Smic allouée à l’alimentation et au logement, et, d’autre part, d’étudier séparément les causes de la hausse de ces dépenses.

L’évolution de la part du Smic allouée à l’alimentation et au logement.

Avant de proposer des solutions pour augmenter le pouvoir d’achat, il est nécessaire d’étudier l’évolution de la part du Smic et des dépenses allouées à l’alimentation et au logement. L’équation ci-dessous calcule les dépenses moyennes mensuelles par habitant allouées à l’alimentation et au logement (DMMhAL).

– Soit, Pop est la population totale France : 65 899 406 hab[1].
– « , DA est le montant dépenses allouées alimentation : 153 369 664 000[2].
– « , DL est le montant dépenses allouées logement : 301 696 524 000.
– « , Μ est le nombre mois par an : 12 mois.
– « , DΜMhAL est le montant dépenses moyennes mensuelles par habitant allouées alimentation et logement :

En 2013, comme 65 millions de Français allouaient 153,3 milliards € à l’alimentation et 301,6 milliards € au logement, ils consacraient en moyenne 575 € par mois à ces dépenses. Indépendamment de son niveau de revenu et de son âge, chaque français consacre en moyenne 575 € par mois à se loger et à se nourrir. Ce montant étant une moyenne, certains en consacrent plus, et d’autres moins.

Cette équation permet de tracer la courbe de l’évolution des dépenses et de la part du Smic allouées à l’alimentation et au logement de 1959 à 2013. J’ai pris en compte le Smic net mensuel d’un salarié à temps plein, car, d’une part, c’est le revenu qu’il perçoit réellement à la fin du mois, et, d’autre part, les évolutions de son taux horaire, du temps de travail et des prix ont un impact immédiat et visible sur la part allouée à ces dépenses.

–  Source : Insee, 2.201 Consommations effectives par fonction à prix courants, Op.Cit.
–  Source : Insee, 1.115 Produit intérieur brut et revenu national brut par habitant, Op.Cit.
–  Source : Insee, SM02 : salaire minimum de 1951 à 2005[3]
–  Source : Insee, SM01 : salaire minimum pour 35 heures hebdomadaires[4]

De 1959 à 2013, les dépenses allouées à l’alimentation et au logement sont passées de 16 € à 578 €. Tandis que le montant du Smic net mensuel passait de 39 € à 1 121 €, la part du Smic allouée à ces dépenses passait de 41 % à 51,6 %, soit une hausse de 10,5 points. Le montant du Smic ayant été multiplié par 28,7, il n’a pas permis d’absorber la hausse de ces dépenses qui l’ont été par 36. Afin d’appréhender les causes de la perte de pouvoir d’achat des ménages, avec l’exemple d’Alain, qui est au Smic et caissier à temps plein, je propose d’étudier l’évolution des dépenses et de la part du Smic allouée à l’alimentation et au logement sur les périodes de 1959 à 1967, de 1967 à 1982, de 1982 à 2003 et de 2003 à 2013.

En étudiant l’évolution de la part du Smic allouée aux subsistances, il est possible d’appréhender les causes de la hausse de ces dépenses. De 1959 à 1967, les dépenses d’Alain allouées à l’alimentation et au logement sont passées de 16 € à 30 €. Tandis que le montant du Smig net mensuel passait de 39 € à 52 €, la part qu’il allouait à ces dépenses passait de 41,1 % à 58 %. En passant de 41,2 % à 41,3 %[5], la hausse de 0,1 point de la part de la valeur ajoutée versée aux salaires et traitements bruts a provoquée une perte du pouvoir d’achat de 17,9 points. La revalorisation du Smig, instauré par la loi du 11 février 1950[6], était indexée sur le taux d’inflation. L’indice des prix ayant augmenté de 31,4 %[7], la hausse du taux horaire a été de 36,5 %. Le montant du Smig ayant augmenté de 33,3 %, il n’a pas permis à Alain de compenser la hausse de ces dépenses qui étaient de 88,4 %.

De 1967 à 1982, les dépenses d’Alain allouées à l’alimentation et au logement sont passées de 30 € à 171 €. Tandis que le montant du Smic d’Alain passait de 52 € à 441 €, la part qu’il allouait à ces dépenses passait de 58,1 % à 38,7 %. En passant de 41,3 % à 45,9 %, la hausse de 4,6 points de la valeur ajoutée versée aux salaires a provoqué une hausse du pouvoir d’achat d’Alain de 19,4 points. Une partie de cette hausse est due à la revalorisation du Smig de 35 % obtenu lors des accords de Grenelle de mai 1968[8]. Le 2 janvier 1970, le Smig a été remplacé par le Smic. Le taux horaire du Smic étant indexée sur l’indice des prix à la consommation (article L141-3 du Code du travail[9]) et le salaire moyen (article L141-7), il augmentait plus vite que celui du Smig. Le taux d’inflation ayant été multipliés par 3,8 et le salaire moyen par 5,6, le taux horaire du Smic a été multiplié par 9. Le montant du Smic ayant été multiplié par 8,5, il a permis à Alain d’absorber la hausse des dépenses qu’il consacrait à l’alimentation et au logement qui a été multiplié par 5,7. En diminuant la part des dépenses, la hausse du Smic a provoqué une hausse du pouvoir d’achat d’Alain.

De 1982 à 2003, les dépenses d’Alain allouées aux subsistances sont passées de 171 € à 439 €. Tandis que le Smic passait de 441 € à 851 €, la part des dépenses d’Alain passait de 38,7 % à 51,6 %. En passant de 45,9 % à 42,1 %, la baisse de 3,8 points de la valeur ajoutée versée aux salaires a provoqué une perte de pouvoir d’achat d’Alain de 12,9 points. Cette perte est également due, dans une moindre mesure, à la loi Aubry sur les 35 heures. De 2000 à 2003, à cause des 35 heures, comme le montant du Smic a diminué de 0,6 %, il n’a pas permis de compenser la hausse des dépenses d’Alain qui ont augmenté 11,4 %. Le taux horaire du Smic ayant été revalorisé de 146 %, il n’a pas suivi la hausse de taux de l’indice des prix qui a augmenté de 81,9 % et celle de 106 % du salaire moyen. À cause de ce décrochage de 41,9 points, la revalorisation du montant du Smic de 94,9 % n’a pas permis à Alain de compenser la hausse de 157 % du budget alloué à ces dépenses. La mise en œuvre de la doctrine ultralibérale a donc provoqué une diminution du pouvoir d’achat d’Alain de 62,1 points.

De 2003 à 2013, les dépenses d’Alain sont passées de 439 € à 578 €. Tandis que le montant du Smic passait de 851 € à 1 121 €, la part qu’il allouait à ces dépenses se stabilisait à 51,6 %. En passant de 42,1 % à 42,7 %, la hausse de 0,6 point de la valeur ajoutée versée aux salaires a provoqué la stagnation du pouvoir d’achat d’Alain. Même si le taux d’inflation a augmenté de 17,7 % et le salaire moyen de 24,4 %, le taux horaire du Smic a seulement été revalorisé de 31,2 %. À cause de cet écart de 10,9 points, la hausse du Smic de 31,7 % a juste permis d’absorber la hausse des dépenses allouées à l’alimentation et au logement sans augmenter le pouvoir d’achat d’Alain. La hausse du Smic a donc juste compensé la perte occasionnée par les 35 heures.

Cette étude montre que le pouvoir d’achat des ménages est étroitement lié au taux horaire du Smic, au temps de travail, à la valeur ajoutée versée aux salariés, ainsi qu’aux dépenses allouées à l’alimentation et au logement.

Étant donné que depuis le milieu des années 80, la part de la valeur ajoutée versée aux salariés à fortement diminuer, pour augmenter le pouvoir d’achat des ménages, il apparaît donc nécessaire d’augmenter le taux horaire du Smic en diminuant la part de la valeur ajoutée versée aux actionnaires.

En étudiant la part du Smic allouée à l’alimentation et au logement, il apparaît que la baisse du pouvoir d’achat est également due à la hausse de ces dépenses. Afin de comprendre les causes de la hausse de ces dépenses, il est nécessaire de les étudier séparément.

Les causes de la hausse des dépenses allouées à l’alimentation.

Afin de comprendre les causes de la baisse du pouvoir d’achat des ménages, il est nécessaire d’étudier les causes de l’augmentation des dépenses allouées à l’alimentation. L’équation ci-dessous calcule les dépenses moyennes mensuelles par habitant allouées à l’alimentation (DMMhA).

– Soit, Pop est la population totale France : 65 899 406 hab.
– « , DA est le montant dépenses allouées alimentation : 153 369 664 000.
– « , Μ est le nombre mois par an : 12 mois.
– « , DΜMhA est le montant dépenses moyennes mensuelles par habitant allouées alimentation :

En 2013, comme 65 millions de Français allouaient 153,3 milliards € à l’alimentation, en moyenne, il y consacrait 193 € par mois. Indépendamment de son niveau de revenu et de son âge, chaque français consacre en moyenne 193 € par mois à se nourrir.

Cette équation permet de tracer la courbe de l’évolution des dépenses et de la part du Smic allouées à l’alimentation de 1959 à 2013.

–  Source : identiques au graphique « Part du Smic allouée à l’alimentation et au logement ».

De 1959 à 2013, les dépenses allouées à l’alimentation sont passées de 11,2 € à 193 €. Tandis que le montant du Smic passait de 39 € à 1 121 €, la part du Smic allouée à ces dépenses passait de 28,7 % à 17,3 %. Les dépenses ayant été multipliées par 17,3, la baisse de la part du Smic de 11,4 points n’est donc pas due à leur diminution, mais à la hausse du Smic, qui a été multiplié par 28,7. Pour augmenter le pouvoir d’achat des ménages, le montant des dépenses allouées à l’alimentation doit donc diminuer.

Avant de proposer des solutions pour diminuer ces dépenses, il apparaît nécessaire d’identifier les causes de la hausse des dépenses et des prix allouées à l’alimentation.

  • Les causes de la hausse des dépenses allouées à l’alimentation.

De 1959 à 2013, l’industrie agroalimentaire et les cabinets de conseils en marketing ont multiplié par 17,3 les dépenses allouées à l’alimentation en intervenant sur l’offre et les prix. Une alimentation saine et équilibrée apporte les substances nutritives nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme. Elle nécessite de boire 1,5 litre d’eau par jour et de manger au quotidien 5 portions de 120 g de fruits et de légumes, 3 portions de 75 g de riz complet, de quinoas, de maïs, de patates douces ou de légumineux (lentilles, haricots, pois chiches, etc…), 30 g d’oléagineux (noix, amandes, etc…), 2 à 3 œufs, 30 g de fromage, de 2 à 3 cuillères de 30 g d’huile d’olive, ainsi que 1 à 2 parts de poisson par semaine (sardine, maquereau, saumon, etc…).

Pour vivre plus longtemps et en bonne santé, il est conseillé d’éviter de manger trop de viande, de charcuterie et d’aliments glucidiques (pâtes blanches, pain et riz blanc, etc…) et de limiter considérablement, voire de supprimer les alcools forts et les boissons sucrées (sodas, jus de fruits, etc…), ainsi que les aliments sucrés (bonbons, pâtisseries, glaces, etc…) et transformés (snacks, produits frits, plats préparés, etc…) qui contiennent trop de sel, de sucres, de matières grasses et d’additifs alimentaires (colorant, conservateur, antioxydant, glutamate, etc…)

Bien que les aliments favorables à une alimentation saine et équilibrée soient relativement limités, l’offre des produits alimentaires transformés ne cesse d’augmenter. En se rendant dans les rayons alimentaires d’un hypermarché, le consommateur est confronté à une augmentation constante de la largeur et de la profondeur de l’offre. De 1999 à 2009, le nombre de références de plats préparés est passé de 91 à 174, soit une hausse de 91 %[10], de yaourts est passée de 209 à 281, soit une hausse de 35 %[11], etc… L’industrie agroalimentaire n’élargit pas l’offre pour nourrir la population, mais pour augmenter ses profits. En l’élargissant, elle tente de conquérir des niches de consommateurs toujours plus étroites disposées à acheter des produits qui se distinguent par leurs prix et leurs qualités, ainsi que pour leurs fonctions nutritives et leurs bienfaits pour la santé plus ou moins avérée.

Afin d’illustrer ce processus, je vais prendre l’exemple du besoin physiologique de s’hydrater. Pour s’hydrater, un individu a besoin de boire en moyenne 1,5 litre d’eau par jour. Pour le détourner de l’eau du robinet, de multiples marques d’eau en bouteille sont apparues sur le marché (évian, Vittel, etc…). En communicant sur la qualité, la pureté et les bienfaits de l’eau en bouteille, ces marques motivent le consommateur à payer 1 € le litre d’eau au lieu de 0,003 €. En achetant une bouteille d’eau minérale de marque, le consommateur satisfait son besoin physiologique et de sécurité. En acceptant de payer 1 € la bouteille, il étanche sa soif en ayant le sentiment de préserver sa santé. La consommation d’eau en bouteille a un impact direct sur la hausse des dépenses allouées à l’alimentation. En 2013, ces dépenses s’élevaient à 193 €. Si une bouteille de 1,5 litre coûtait 1 €, celui qui en aurait bu une par jour aurait consacré chaque mois 30 €, soit 15,5 % de ses dépenses alimentaires. En consommant uniquement l’eau du robinet, il aurait seulement dépensé 0,09 €, soit 0,05 % de ses dépenses.

Même si l’eau est la boisson la mieux adaptée pour étancher la soif, les linéaires des hypermarchés offrent une largeur et une profondeur illimitée de boissons sans alcool (boissons aux fruits, soda, thé glacé, Pulco, etc…). De 1999 à 2009, en passant de 167 à 242 références, l’offre a progressé de 45 %[12]. Le but de ces boissons au goût sucré n’est pas d’étancher la soif, mais de procurer du plaisir sur un mode hédoniste. Puisque cette forme de plaisir s’épuise rapidement, pour s’en procurer à nouveau, le consommateur est motivé à renouveler fréquemment son acte d’achat en payant ces boissons entre 0,80 et 5,50 € le litre. Au même titre que l’eau en bouteille, la consommation de ces boissons a un impact sur les dépenses allouées à l’alimentation. Une bouteille de Coca Cola de 1,5 litre coûte 1,55 €. À raison d’une bouteille par jour, ce coût représente 46,5 €, soit 24 % des dépenses alimentaires. Il est possible de généraliser l’exemple du besoin de s’hydrater à l’ensemble des besoins de nutrition.

Afin d’augmenter les dépenses allouées à l’alimentation, ils ont élargi la profondeur de l’offre des produits alimentaires transformés. Face à l’augmentation des organismes génétiquement modifiés (OGM) et des scandales sanitaires : le bœuf aux hormones, le lait maternel frelaté, la crise de la vache folle, les poulets à la dioxine, etc…, les consommateurs se soucient de la qualité sanitaire des produits alimentaires. Afin de répondre à cette inquiétude, les industriels de l’agroalimentaire proposent des marques et des labels censés garantir la qualité et la sécurité sanitaire d’un produit.

Au lieu de proposer une offre de qualité à un prix raisonnable, ils proposent une offre toujours plus profonde. La profondeur de l’offre permet de créer une échelle de prix entre des produits à la qualité très variable qui se distinguent par leurs prix : le 1er prix à la qualité douteuse, le produit de la marque du distributeur (carrefour, Auchan, etc…) à la qualité moyenne et au prix moyen, le produit de marque (Danone, Nestlé, etc…) à prix élevés, ainsi que le produit labellisé (label rouge, critères qualité certifiés, etc…) et bio (Agriculture biologique, etc…) à la qualité et aux prix très élevés. En fonction de l’importance qu’il accorde à la qualité des produits et, à sa santé, le consommateur aura le choix entre une fourchette de prix qui varient du simple au triple (4 tranches de jambon cuit : 1er prix 1,38 € et Bio Fleury Michon 4,76 €, soit un écart de 245 %).

Ce processus contribue à créer un modèle de consommation à deux vitesses : les consommateurs aisés qui consomment des produits dont la qualité est certifiée par un prix élevé et ceux qui consomment des produits « Low cost » de qualité douteuse à prix bas. Ce qui est vrai pour les produits alimentaires l’est également pour les biens et services marchands (vêtements, meubles, électroménagers, voitures, smartphones, etc…). En permettant une hausse des prix, l’augmentation de la largeur et de la profondeur de l’offre a provoqué la hausse des dépenses et de la part du Smic allouées à l’alimentation.

  • Les causes de la hausse des prix.

Pour que les prix augmentent, ils doivent être fixés librement. Afin de l’autoriser, les politiques ont créé un cadre juridique favorable à la liberté des prix. Avant 1986, les prix étaient régulés par l’Ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix[13]. À cause de cette ordonnance, les prix n’étaient pas fixés librement, mais par des arrêtés ministériels. Pour que l’État ait les moyens de remplir sa mission, les entreprises devaient communiquer les informations relatives à leur activité : la justification des prix pratiqués, les éléments qui composent le prix et le coût analytiques des biens et services, etc… En abrogeant l’ordonnance de 1945, l’Ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence[14] a permis de fixer les prix librement en fonction de la loi du marché.

Les prix étant libres, le prix d’un même produit peut varier d’un magasin à l’autre, d’une enseigne à l’autre, voire d’un magasin d’une même enseigne à l’autre en fonction de sa taille (Carrefour, Market, City, Express, etc…) et de sa localisation géographique (quartier, centre-ville ou périphérie, etc…). À Lille, dans les magasins d’une même enseigne, le prix de quatre tranches de jambon cuit, dont la référence est identique, peut fluctuer entre 2,24 € et 2,99 €, soit un écart de 33,5 %.

Malgré la liberté des prix, les commerçants ne pouvaient pas les augmenter sans que cela soit visible. Pour éviter cela, il fallait brouiller les repères dans l’esprit des consommateurs. En les brouillant, le passage à l’euro du 1er janvier 2002 a masqué la hausse des prix. Tandis qu’en 2000, un sandwich coûtait 10 francs (1,52 €), en 2013 il coûtait 4,5 € (30 francs), soit une hausse de 195 %.

Avant le passage à l’euro, aucune personne sensée n’aurait accepté de payer un sandwich 30 francs. À cause de ce brouillage, un sandwich à 4,5 € semble normal. Ce qui est vrai pour le sandwich l’est pour de nombreux biens et services : une bouteille d’eau (0,5 litre à 1 €), un café pris en terrasse (5 francs en 2000 et 1,5 € en 2013), les pâtisseries, les vêtements, les vélos, etc… L’euro n’étant qu’une monnaie, ce n’est donc pas l’euro, mais la liberté des prix qui est responsable de la hausse des prix.

Depuis le passage à l’euro, de nombreux consommateurs affirment que les prix de certains produits alimentaires auraient fortement augmenté. Le tableau ci-dessous, qui reprend l’enquête sur les prix publiée par Nice-Matin en 2012, compare l’évolution des prix de produits de consommation courants entre 2000 et 2010.

–  Source : Nice-Matin, « Franc-Euro : notre enquête »[15].

Ce tableau, qui compare les écarts de prix entre le Franc et son équivalent en euro, montre qu’entre 2000 et 2010, le prix d’un litre de lait a augmenté de 59,7 %, de six œufs de 60,3 %, d’une baguette de 75 %, de 2,5 kg de pommes de terre de 96,3 % et d’une laitue de 206 %. Puisqu’entre 2002 et 2013, le taux d’inflation a seulement augmenté de 20,1 %[16], les experts de l’Insee affirment que le passage à l’euro n’a pas provoqué une flambée des prix[17]. Affirmer qu’il aurait provoqué une hausse de prix compris entre 50 % et 200 % sur certains produits apparaît donc comme une erreur de perception de la réalité.

Afin de confirmer ou de réfuter cette affirmation, je propose d’étudier le mode de calcul de l’indice des prix à la consommation (IPC). L’IPC, qui permet d’estimer entre deux périodes données la variation moyenne des prix des produits consommés par les ménages, est l’instrument de mesure de l’inflation. Publié chaque mois au Journal Officiel, l’IPC sert à indexer le Smic, de nombreux contrats privés, les pensions alimentaires et les rentes viagères.

Le calcul de l’IPC repose sur l’observation d’un panier fixe de 1 000 familles de produits regroupés au sein de 161 groupes, actualisé chaque année. Ces groupes comprennent des biens et des services destinés aux subsistances (alimentation, loyer, eau, gaz, électricité, santé, etc…) et d’autres, qui sont plus ostentatoires (habillement, informatique, communication, voyage, etc…), destinés à s’identifier à un groupe, à se distinguer et à affirmer sa réussite. Le tableau ci-dessous présente les variations moyennes annuelles de l’indice des prix de 2014 à 2015.

–  Sources : Insee – indices des prix à la consommation – France[18]

L’indice global pondère chaque produit proportionnellement à son poids dans le panier moyen d’un ménage. Le poids de la pondération de chaque groupe de produits est censé correspondre à la part des dépenses de consommation d’un consommateur moyen. En 2014, les produits manufacturés étaient pondérés à 25,8 %, l’énergie à 8,2 %, les services à 47,4 %, etc… Tandis que certaines de ces pondérations correspondent à la part de la consommation finale effective des ménages, d’autres n’y correspondent pas. Par exemple, comme la part de la consommation destinée à l’habillement et aux chaussures est de 4 %[19], elle correspond à la pondération de ces dépenses qui est de 4,4 %. La part de la consommation alimentaire étant de 13,4 %, même si elle est supérieure de 3,2 points, sa pondération, qui est de 16,6 %, correspond à ces dépenses. La part allouée au logement, à l’eau, au gaz, à électricité et aux autres combustibles étant de 26,5 %, la pondération de 7,7 % ne correspond pas aux dépenses allouées aux loyers, à l’eau et à l’enlèvement des déchets. Cet écart de 18,8 points peut donc expliquer la perception des ménages qui ont le sentiment que les prix des loyers ont augmenté bien plus vite que l’inflation, qui était seulement de 20,1 % entre 2002 et 2013.

Étant donné qu’il existe 161 groupes de produit, la hausse des prix d’un groupe peut être compensée par la baisse d’un autre sans provoquer l’augmentation de l’indice des prix. Tandis que les prix de l’habillement et des chaussures diminuaient de 0,9 %, ceux des produits frais, dont la pondération est de 2,1 %, augmentaient de 5,3 %. La baisse des prix de l’habillement, qui ne relève pas de besoins vitaux et d’une consommation quotidienne, a donc permis de compenser la hausse des prix de produits frais destinés aux subsistances sans provoquer la hausse de l’indice des prix.

Cette forme de compensation apparaît également entre les produits frais et les produits alimentaires transformés. Tandis que le prix des produits frais, qui sont pondérés à 2,1 %, augmentait de 5,3 %, celui des produits alimentaires transformés, qui sont pondérés à 14,5 %, diminuait de 0,2 %[20]. Si le prix des produits transformés n’avait pas diminué, la hausse des prix des produits frais aurait provoqué une augmentation de l’indice des prix. Entre 2014 et 2015, malgré un taux d’inflation de 0,5 %, le prix des légumes a augmenté de 6,8 % et celui des fruits de 4,8 %[21]. Étant donné qu’une hausse de prix peut être compensée, il est donc possible d’affirmer que, malgré un taux d’inflation de 20,1 %, les prix de certains produits frais et de consommation courants aient pu augmenter entre 50 % et 200 % entre 2002 et 2013.

Le taux horaire du Smic étant indexé sur l’inflation, la loi L141-3 du Code du travail stipule que lorsque le taux d’inflation augmente d’au moins 2 %, le Smic augmente dans la même proportion. Puisque de 2002 à 2013, l’inflation a seulement augmenté de 20,1 %, soit une hausse moyenne inférieure à 2 % par an, sans les revalorisations du Smic de 5 % accordé par le gouvernement entre 2003 et 2005[22], son taux horaire aurait stagné. À cause de la règle de compensation, d’une pondération inadéquate et de la diversité des prix d’un même produit, le prix des produits frais a pu augmenter plus vite que le taux d’inflation. Le Smic étant indexé sur l’inflation, le salarié au Smic, dont la part des dépenses allouées à l’alimentation est la plus élevée, subit à la fois une hausse des prix des subsistances et une stagnation de son revenu, qui se traduit par une perte de pouvoir d’achat. Malgré l’abondance de l’offre, il est contraint de travailler toujours plus pour assurer sa subsistance.

Après avoir étudié les causes de la hausse des dépenses allouées à l’alimentation, il apparaît donc que, pour augmenter le pouvoir d’achat des ménages, il est nécessaire de réduire l’offre marchande des produits alimentaires transformés, de réguler les prix des aliments non transformés sains pour la santé et d’augmenter la pondération de l’indice des prix attribués aux aliments non transformés.

Ayant étudié les causes de la hausse des dépenses allouées à l’alimentation, il est nécessaire d’étudier celles allouées au logement.

Les causes de la hausse des dépenses allouées au logement.

Afin de comprendre les causes de la baisse du pouvoir d’achat des ménages, il est également nécessaire d’étudier les causes de l’augmentation des dépenses allouées au logement. L’équation ci-dessous calcule les dépenses moyennes mensuelles par habitant allouées au logement (DMMhL).

– Soit, Pop est la population totale France : 65 899 406 hab.
– « , DL est le montant dépenses allouées logement : 301 696 524 000.
– « , Μ est le nombre mois par an : 12 mois.
– « , DΜMhL est le montant dépenses moyennes mensuelles par habitant allouées logement :

En 2013, comme 65 millions de Français allouaient 301,6 milliards € au logement, en moyenne il y consacrait 385 € par mois. Indépendamment de son niveau de revenu et de son âge, chaque français consacre en moyenne 385 € par mois à se loger.

Cette équation permet de tracer la courbe de l’évolution des dépenses et de la part du Smic allouées au logement de 1959 à 2013.

–  Source : identiques au graphique « Part du Smic allouée à l’alimentation et au logement ».

De 1959 à 2013, les dépenses allouées au logement sont passées de 5 € à 385 €. Tandis que le montant du Smic passait de 39 € à 1 121 €, la part du Smic allouée à ces dépenses passait de 12,3 % à 34,3 %, soit une hausse de 22 points. Le montant du Smic ayant été multiplié par 28,7, il n’a pas permis d’absorber la hausse de ces dépenses qui ont été multipliées par 77. En 1982, la part du Smic allouée au logement était de 21,3 %. Avant de proposer des solutions pour la réduire de 13 points, il apparaît nécessaire d’identifier les causes de la hausse des prix de l’immobilier et des loyers.

  • Les causes de la hausse du marché de l’immobilier.

Selon une étude de la Fnaim, de 1997 à 2007, le prix des maisons et des appartements a progressé de 142 %[23]. Une enquête de l’observatoire du logement montre que 55 % des Français déclarent consacrer un tiers de leur budget à se loger[24]. Des experts et des politiques affirment que la hausse du marché de l’immobilier et des loyers est due à un manque de logements. Puisqu’il manque 800 000 logements en France[25], à cause de la loi du marché, les prix de l’immobilier et des loyers flambent. Pour baisser les prix, ils estiment qu’il serait nécessaire de construire 150 000 logements par an. Avant d’en construire, il apparaît judicieux d’effectuer l’inventaire du parc immobilier.

Le graphique ci-dessous présente l’évolution du parc immobilier des résidences principales et des logements vacants de 1983 à 2014.

–  Source : Insee, Le parc de logements en France au 1er janvier 2014[26].

De 1983 à 2013, le nombre de résidences principales a augmenté de 40,5 % et de logements vacants de 37,4 %[27]. Si la France avait manqué de 800 000 logements, le nombre de vacants n’aurait pas augmenté, mais diminué de 143 %. Étant donné que le parc immobilier comprenait un excédent de 2,55 millions de vacants, la France ne manquait pas de logements en 2013.

Ayant montré qu’il ne manquait pas de logements, je propose d’étudier l’adéquation entre l’offre et la demande. Le graphique ci-dessous présente le nombre de ménages, de résidences principales, de résidences secondaires et de logements vacants en 2013.

–  Source : Insee, MEN5 – Ménages par type de ménage et âge de la personne de référence en 2013[28]
–  Source : Insee, Le parc de logements en France au 1er janvier 2014, Op.Cit.

En 2013, la France comprenait 27 806 631 ménages (une personne et plus) et 27 827 000 résidences principales occupées de manière habituelle, soit un excédent de 20 369 logements. Le nombre de résidences principales et de logements vacants étant excédentaire, malgré les 3,15 millions de résidences secondaires, l’offre de logement était supérieure à la demande. En fonction de la loi dite « de l’offre et de la demande », les prix de l’immobilier et des loyers n’auraient pas dû augmenter, mais baisser.

La hausse des prix n’étant pas due à un manque de logement, est-ce qu’elle serait due au coût de la construction ? Si le prix d’un appartement était corrélé à l’indice du coût de la construction[29], sa hausse varierait en fonction de son coût. Le graphique ci-dessous compare l’évolution du prix moyen au m² d’un appartement neuf avec l’indice du coût de la construction de 1985 à 2013.

–  Sources : Lafinancepourtous.com, d’après Insee : SOeS[30].
–  Sources : Insee, Indice du coût de la construction des immeubles à usage d’habitation (ICC)[31].

De 1985 à 2013, tandis que l’indice du coût de la construction passait de 847 à 1 615 €, soit une hausse de 90,7 %, le prix moyen du m² d’un appartement neuf passait de 1 268 à 3 884 €, soit une hausse de 206 %. La hausse des prix du marché de l’immobilier n’est donc pas due à la hausse du coût de la construction.

Le coût de la construction n’étant pas responsable, il apparaît pertinent de se demander si cette augmentation ne serait pas due à la hausse du revenu des ménages. Ce graphique de la Caisse d’Épargne, qui date de 2008, présente l’évolution des prix de l’immobilier par rapport au revenu disponible brut des ménages (RDB)[32] de 1936 à 2008.

–  Sources : prix « standard » des logements anciens 1936-2005 en France de J. Friggit[33].

De 1945 à 1948, le ratio du prix moyen de l’immobilier de la France est passé de 3,5 à 0,5 fois le RDB des ménages. Cette baisse pourrait être attribuée à l’Ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 qui a permis de bloquer les prix malgré le manque de logements consécutif à la guerre. De 1948 à 1960, ce ratio est passé de 0,5 à 1,5 fois le RDB. La hausse des prix aurait été provoquée par la loi n°48-1360 du 1er septembre 1948[34]. Tandis que cette loi régulait le loyer des logements anciens, elle libérait ceux des logements neufs et rénovés. Motivés par des avantages fiscaux et la liberté des prix, les investisseurs privés ont investi dans la rénovation et la construction de logements neufs.

De 1965 à 2000, tandis que ce ratio fluctuait autour de 2,5 fois le RDB en province, celui de Paris a atteint 4,8 fois entre 1986 et 1992, avant de revenir à 3 fois en 1998. La hausse des prix du marché de l’immobilier peut être expliquée par la mise en œuvre de deux lois : l’Ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix, dite Balladur, et de la concurrence et la loi n°86-1290 du 23 décembre 1986[35]. Tandis que la loi n°86-1290, dite Méhaignerie, permettait de sortie du cadre légal de la loi de septembre 1948 des logements vacants qui n’avaient pas été rénovés, l’ordonnance Balladur permettait de libérer les prix de l’immobilier.

De 2000 à 2008, ce ratio est passé de 2,5 à 4,3 fois le RDB en province et à plus de 5,5 fois à Paris. De 1998 à 2008, tandis que le RDB des ménages augmentait de 36,8 %, le prix moyen des logements anciens augmentait de 141 %[36]. Selon l’Insee, d’une part, le prix des logements anciens a été multiplié par deux, et d’autre part, rapporté au RDB des ménages, l’indice du prix des logements a été multiplié par 1,7 entre 2000 et 2007[37]. De 2000 à 2008, le nombre de logements vacants a augmenté de 6,2 %[38] et le taux horaire du Smic de 34,6 %[39]. Il est donc possible d’affirmer que la flambée des prix de l’immobilier n’a pas été provoquée par un manque de logement et la hausse du RDB des ménages. La flambée des prix du marché de l’immobilier, qui a débuté en 1986 et qui n’a cessé de s’amplifier depuis 2000, peut donc être une fois de plus attribuée à la liberté des prix, favorisée par l’ordonnance Balladur de 1986.

Puisque les prix de l’immobilier ont été multipliés par deux, comment se fait-il que le taux d’inflation n’ait pas augmenté ? En étudiant la brochure de l’Insee, qui explique le mode de calcul de l’indice des prix, il apparaît que l’achat d’un logement n’est pas considéré comme une dépense de consommation.

« L’indice des prix ne retient pas les remboursements des emprunts liés à l’achat d’un logement. D’ailleurs ceux relatifs aux crédits à la consommation ne le sont pas davantage, car les remboursements d’emprunt relèvent d’opérations financières »[40].

Considérés comme un investissement ou une opération financière, l’achat d’un logement ou les traites mensuelles, qui s’apparentent à un loyer, ne contribuent donc pas au calcul de l’indice des prix. Si l’achat d’un logement avait été pondéré à hauteur de 34,3 %, le taux de l’indice des prix aurait considérablement augmenté. Le taux horaire du Smic étant indexé sur le taux d’inflation, il aurait provoqué la hausse du RDB des ménages. Cette hausse aurait permis au ratio du prix moyen de l’immobilier de fluctuer à nouveau entre 2 et 2,5 fois le RDB. Au lieu de cela, les salaires stagnent et le pouvoir d’achat des ménages diminue considérablement.

Que l’achat d’un logement soit considéré comme un placement financier ne relève pas du hasard. En effet, l’acquisition d’un appartement ne concerne pas que les ménages qui souhaitent accéder à la propriété pour se loger. Il concerne également des particuliers aisés et des investisseurs privés qui souhaitent faire des placements financiers. Au lieu de placer leurs surplus de trésoreries en bourse, ils préfèrent investir sur le marché de l’immobilier qui, à long terme, peut apparaître comme un placement moins risqué. L’investissement locatif permet de se constituer un patrimoine, de diversifier ses placements financiers et d’augmenter ses revenus grâce aux loyers perçus. Comme les prix augmentent, l’investissement locatif est également impacté par la spéculation. Pour générer des profits, les investisseurs doivent commencer par amortir les coûts de l’investissement et des intérêts. Ces coûts étant plus élevés, ils sont donc plus ou moins contraints d’augmenter les loyers.

Un appartement habité ne peut être acheté ou vendu librement. Pour se transformer en produit financier et faire l’objet de spéculation, un appartement doit donc être vacant. Ce processus provoque une augmentation des stocks de logements vacants, et donc, une rareté artificielle de l’offre, qui contribue à l’augmentation des prix de l’immobilier et des loyers. Lorsque la demande devient plus importante que l’offre, les prix augmentent. Lorsqu’ils augmentent, les investisseurs privés revendent leurs biens sur le marché immobilier pour réaliser une plus value.

Les salaires n’ayant pas suivi la hausse des prix, l’accès à la propriété pour se loger est devenu inabordable pour les ménages au revenu médian. Ceux qui souhaitent y accéder sont contraints de s’endetter massivement auprès des banques, et cela, sur plus de 25 ans. En souscrivant un emprunt immobilier, le cadre ne « travaille pas plus pour gagner plus » et améliorer sa qualité de vie, mais pour enrichir les spéculateurs immobiliers et les banquiers. Pour ne pas être expulsé, il est contraint de travailler plus afin d’honorer ses échéances. En empruntant, il perd donc l’initiative du sens qu’il souhaite donner à sa vie. L’emprunt immobilier apparaît donc comme un moyen de pression et de contrôle social indolore, invisible et silencieux des cadres et des classes moyennes qui renforcent le pouvoir temporel de l’argent et donc, de l’autorité de l’élite économique et des banquiers.

  • Les causes de la hausse des loyers.

La hausse des dépenses allouées au logement concerne également les loyers. En 2010, une étude de l’Insee affirmait qu’un locataire du privé sur cinq consacrait en moyenne 30% de son revenu à se loger[41]. Le graphique ci-dessous présente la part du Smic allouée au loyer d’un appartement de 50 m² de 1991 à 2010.

–  Source : Insee, SM02 : salaire minimum de 1951 à 2005 (en euros courants), Op.Cit.
–  Source : Insee, SM01 : salaire minimum pour 35 heures hebdomadaires (en euros courants), Op.Cit.
–  Source : OLAP, Évolution de la hausse moyenne des loyers pour l’ensemble du parc locatif privé[42].

De 1990 à 2010, selon les données de l’OLAP, tandis que le loyer moyen d’un appartement de 50 m² passait de 235 € à 445 €, la part du Smic consacré à ce loyer passait de 34,3 % à 42,1 %, soit une hausse de 7,8 points. Le taux horaire du Smic ayant augmenté 88,7 %, sa hausse a juste permis d’absorber celle des loyers qui ont augmenté de 89,4 %. Le logement étant un bien économique, le marché locatif est également concerné par l’ordonnance Balladur de 1986 et donc, par la dérégulation des prix. Les prix étant libres, un propriétaire a le droit de fixer un loyer en fonction de la loi de « l’offre et de la demande ».

Il est important de préciser qu’il a uniquement le droit de fixer librement le montant du premier loyer. Lorsque le locataire est installé, la loi le contraint à augmenter le loyer une fois par an en fonction de l’indice de référence des loyers[43]. Par exemple, en 2003, Paul loue un appartement de 35 m² dans un immeuble privé de Lille pour 350 € par mois. Étant donné que son loyer augmente chaque année en fonction de l’indice de référence, en 2013 son montant aurait été de 410 €, soit une hausse de 17 % sur 10 ans.

En revanche, lorsque le logement est vide, le propriétaire a le droit d’augmenter le montant du loyer en fonction des prix du marché. Si Paul avait quitté son logement fin 2012, suite à la hausse des loyers à Lille, le propriétaire aurait eu le droit de le fixer à 500 € en 2013. Tandis que, sur 10 ans, le Smic a augmenté de 31,2 %[44], ce loyer aurait progressé de 42,9 %. Si le nouveau locataire percevait le Smic, soit 1 121 €, son loyer aurait représenté 44,6 % de son revenu. Ce qui est vrai à Lille, l’est également dans les grandes agglomérations telles que Paris, Lyon, Nice, etc…

Les loyers ayant flambé, comment se fait-il que le taux d’inflation n’ait pas augmenté ? La hausse des loyers n’a pas provoqué celle de l’inflation, car ils sont pondérés par l’indice des prix à la consommation à hauteur de 6 %[45]. Affirmer qu’un locataire au Smic, qui perçoit 1 121 €, paierait un loyer de 67 € relève d’une erreur de perception de la réalité. En 2010, une étude de l’Insee affirmait qu’un locataire du privé sur cinq consacrait en moyenne 30 % de son revenu à se loger[46]. Malgré ce constat, l’Insee continue à pondérer les loyers à hauteur de 6 %. Le taux horaire du Smic étant indexé sur le taux d’inflation, cet écart de 24 points explique la stagnation des salaires. Puisque la part des dépenses allouée au loyer d’un ménage modeste est élevée, son pouvoir d’achat baisse à cause de la hausse des prix et de la stagnation du Smic.

La principale cause de la mobilité géographique d’un ménage est la recherche d’un emploi. Les populations quittent les campagnes et les régions en crise pour emménager dans les régions (Île-de-France, Rhône-Alpes, etc…) et les grandes agglomérations (Paris, Lille, Lyon, etc…) dynamiques sur le plan économique. Les salaires n’ayant pas suivi la hausse des prix de l’immobilier et des loyers, les ménages au Smic n’ont plus les moyens de se loger dans ces bassins d’emplois. Les loyers du secteur privé étant disproportionnés, 800 000 personnes ne trouvent pas d’appartement pour se loger. Étant donné que le parc immobilier français comprenait 2,3 millions de logements vacants en 2012, au lieu d’affirmer qu’il manque 800 000 logements, il apparaît plus judicieux de préciser qu’il en manque 800 000 à loyer modéré disponible à la location.

L’étude des loyers montre une fois de plus que la hausse du Smic ne sert pas à améliorer la qualité de vie des salariés, mais à financer l’investissement locatif des particuliers aisés et des investisseurs privés. Au même titre que l’emprunt immobilier, la hausse des loyers apparaît comme un instrument de pression et de contrôle social indolore, invisible et silencieux qui contribue à renforcer le pouvoir temporel de l’argent et, donc, des banquiers et des milieux d’affaires.

Après avoir identifié les causes de la hausse des dépenses allouée au logement, il apparaît donc que, pour les diminuer de 12 points, il est nécessaire d’interdire la spéculation sur le marché de l’immobilier, de réguler les prix du marché de l’immobilier et d’augmenter la pondération de l’indice des prix attribués aux logements et aux loyers.

Cette étude a mis en évidence que la principale cause de la diminution du pouvoir d’achat des ménages est la mise en œuvre de la doctrine ultralibérale. L’ultralibéralisme a provoqué, d’une part, la diminution de la part de la valeur ajoutée redistribuée aux salariés en faveur des actionnaires, et, d’autre part, la dérégulation des prix de l’alimentation et du logement. Par conséquent, pour en finir avec la stagnation, voire la baisse du pouvoir d’achat, il est indispensable d’en finir avec cette doctrine idéologique qui a un impact néfaste et délétère sur l’économie réelle, ainsi que sur la qualité de vie et le bien-être des ménages

Jean-Christophe Giuliani

 

Cet article est extrait de l’ouvrage « En finir avec le chômage : un choix de société ! ».  Ce livre permet d’appréhender les enjeux du choix entre la relance de la croissance du PIB ou de la réduction du temps de travail. Vous pouvez le commander sur le site des Éditions du Net sous un format ePub ou Papier.


Pour accéder aux pages suivantes :

La réduction du temps de travail : un choix de société !

– Historique de la réduction du temps de travail.

 – De mai 68 à mai 2018, une révolution silencieuse du rapport au temps.

 

[1] Insee, 1.115 Produit intérieur brut et revenu national brut par habitant, [En ligne], (consulté le 17 février 2017) https://www.insee.fr/fr/statistiques/2383629?sommaire=2383694

[2] Insee, 2.201 Consommations effectives par fonction à prix courants, [En ligne] (consulté le 28 décembre 2016), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2383640?sommaire=2383694

[3] Insee, SM02 : salaire minimum de 1951 à 2005, [En ligne] (consulté le 14 février 2017), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2122816?sommaire=2122819

[4] Insee, SM01 : salaire minimum pour 35 heures hebdomadaires (en euros courants), [En ligne] (consulté le 14 février 2017), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2122816?sommaire=2122819

[5] Insee, 1.107 Partage de la valeur ajoutée brute à prix courants [En ligne] (consulté le 25 février 2017), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2383629?sommaire=2383694

[6] Wikipédia, Salaire minimum interprofessionnel garanti, [En ligne] (consulté le 12 janvier 2019), https://fr.wikipedia.org/wiki/Salaire_minimum_interprofessionnel_garanti. Le Smig fixait un planché minimum au taux horaire de la rémunération de tous les salariés, dont la revalorisation était indexé sur la hausse du taux de l’indice des prix à la consommation.

[7] France-inflation.com, Tableau de l’inflation en France avec inflateur cumulé depuis 1961, [En ligne] (consulté le 6 octobre 2018), http://france-inflation.com/inflation-depuis-1901.php

[8] Wikipédia, Accord de Grenelle, [En ligne] (consulté le 6 octobre 2018), https://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_de_Grenelle

[9] Légifrance, Salaire minimum de croissance , [En ligne] (consulté le 6 octobre 2018), https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idSectionTA=LEGISCTA000006154055&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=19821113 Article L141-3 : lorsque l’indice national des prix à la consommation atteint un niveau correspondant à une hausse d’au moins 2 % par rapport à l’indice constaté lors de l’établissement du salaire minimum de croissance immédiatement antérieur, le salaire minimum de croissance est relevé dans la même proportion à compter du premier jour du mois qui suit la publication de l’indice entraînant ce relèvement. Article L141-7 : En aucun cas, l’accroissement annuel du pouvoir d’achat du Smic ne peut être inférieur à la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat des salaires horaires moyens enregistrés par l’enquête trimestrielle du ministère du travail.

[10] Le journal du net, 4e les plats préparés frais : +83 références en dix ans, [En ligne] (consulté le 10 octobre 2011), http://www.journaldunet.com/economie/distribution/les-references-en-hypermarche/plats-cuisines-frais.shtml

[11] Le journal du net, 8e les yaourts : +72 références en dix ans, [En ligne] (consulté le 10 octobre 2011), http://www.journaldunet.com/economie/distribution/les-references-en-hypermarche/yaourts.shtml

[12] Le journal du net, 6e, les boissons sans alcool : +75 références en dix ans, [En ligne] (consulté le 10 octobre 2011), http://www.journaldunet.com/economie/distribution/les-references-en-hypermarche/boissons-sans-alcool.shtml

[13] Légifrance, Ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix, [En ligne] (consulté le 15 mars 2017), https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000516237&categorieLien=cid

[14] Légifrance, Ordonnance n° 86-1243 du 1 décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, [En ligne] (consulté le 15 mars 2017), https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=8CC5770909CFA9FB2AA0603052347210.tpdjo09v_3?cidTexte=JORFTEXT000000333548&dateTexte=19960702

[15] Chevalier Jean-Michel, Eric Galliano, Alain Maestracci, Jean-Charles Pierson et Jean-François Roubaud, « Franc-Euro : notre enquête », Nice-Matin, lundi 27 décembre 2010, page 2 à 5.

[16] France-Inflation.com, Tableau de l’inflation en France avec inflateur cumulé depuis 1901, Op-Cit.

[17] Simon marie (2017), L’euro n’a pas fait flamber les prix, selon l’Insee, Le Figaro.fr, [En ligne] (consulté le 4 janvier 2019), http://www.lefigaro.fr/conso/2017/05/24/20010-20170524ARTFIG00145-l-euro-n-a-pas-fait-flamber-les-prix-selon-l-insee.php

[18] Insee, Stabilité des prix à la consommation en moyenne en 2015, Prix à la consommation – moyennes annuelles (IPC) – 2015, [En ligne] (consulté le 4 octobre 2018), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011356

[19] Insee, 2.201 Consommations effectives par fonction à prix courants, Op-Cit.

[20] Ibid.

[21] Insee, Stabilité des prix à la consommation en moyenne en 2015, Prix à la consommation – moyennes annuelles (IPC) – 2015, Op-Cit.

[22] Wikipédia, Salaire minimum interprofessionnel de croissance , [En ligne] (consulté le 10 octobre 2019), https://fr.wikipedia.org/wiki/Salaire_minimum_interprofessionnel_de_croissance

[23] Serafini Tonino (2007), La pierre trop lourde pour les Français, Liberation.fr, [En ligne] (consulté le 8 septembre 2007), http://www.liberation.fr/evenement/2007/09/08/la-pierre-trop-lourde-pour-les-francais_101340

[24] Le Parisien.fr, Le budget logement explose, [En ligne] (consulté le 10 octobre 2012) ,http://www.leparisien.fr/espace-premium/actu/le-budget-logement-explose-04-04-2012-1938246.php

[25] Les Echos TV, Il manque encore 800 000 logements en France, [En ligne] (consulté le 28 janvier 2014), http://videos.lesechos.fr/news/invite-business/g-nafilyan-kaufman-broad-il-manque-encore-800-000-logements-en-france-2718128998001.html

[26] Insee, Le parc de logements en France au 1er janvier 2014, Figure 1 – Évolution du nombre de logements par catégorie [En ligne] (consulté le 17 février 2017), https://www.insee.fr/fr/statistiques/1379714#tableau-figure1

[27] Un logement vacant est un logement inoccupé qui est proposé à la vente ou à la location. Il peut également être un logement en attente d’occupation par un acheteur ou un locataire, de règlement de succession; conservé par un employeur pour un usage futur au profit de ses employés, gardé vacant (souvent à des fins spéculatives) et sans affectation précise par le propriétaire (logement très vétuste, etc.)

[28] Insee, MEN5 – Ménages par type de ménage et âge de la personne de référence en 2013, [En ligne] (consulté le 17 février 2017), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2020338?sommaire=2106091&geo=METRO-1

[29] Insee, Coût de la construction (indice du) /ICC, [En ligne] (consulté le 17 février 2017), https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1402

[30] Lafinancepourtous.com, Repères sur l’évolution des prix de l’immobilier, [En ligne] (consulté le 17 avril 2017), https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/finance-perso/epargne-et-placement/immobilier/reperes-sur-levolution-des-prix-de-limmobilier/

[31] Insee, Indice du coût de la construction des immeubles à usage d’habitation (ICC), [En ligne] (consulté le 17 avril 2017), https://www.bdm.insee.fr/bdm2/affichageSeries?idbank=000008630&page=tableau&request_locale=fr

[32] Le Revenu Disponible Brut des ménages (RDB) est la part du revenu qui reste à la disposition des ménages pour la consommation et l’épargne une fois déduits les prélèvements sociaux et fiscaux. Il correspond à l’ensemble des revenus dont dispose un ménage : salaires, revenus financiers, allocation familiale, prestations sociales, retraites, etc.

[33] L’observatoire Caisse d’Epargne 2008, Logement, entre rêve et raison, [En ligne] (consulté le 15 mars 2017), https://www.extranet.caisse-epargne.fr/portailmedia/Pdf-CE/obs_2008_doc.pdf

[34] Légifrance, Loi n° 48-1360 du 1 septembre 1948, [En ligne] (consulté le 15 mars 2017), https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000879802

[35] Légifrance, Loi n°86-1290 du 23 décembre 1986, [En ligne] (consulté le 15 mars 2017), https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000874247

[36] Lelong David, Une évolution des prix immobiliers à Paris en 7 phases (Partie 2/3), Immobilier-Danger.com, [En ligne] (consulté le 16 avril 2019), https://www.immobilier-danger.com/Une-evolution-des-prix-immobiliers-713.html

[37] Insee, Prix des logements anciens, Dans les années 2000, ils ont augmenté beaucoup plus vite que les loyers et les revenus, [En ligne] (consulté le 6 mars 2017), https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281297

[38] Insee, Le parc de logements en France au 1er janvier 2014, Figure 1 – Évolution du nombre de logements par catégorie, Op.cit

[39] Insee, SM01 : salaire minimum pour 35 heures hebdomadaires (en euros courants), Op.Cit.

[40] Insee, Insee en bref, Pour comprendre…le pouvoir d’achat et l’indice des prix, [En ligne] (consulté le 1 octobre 2018), https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/2416930/insee-en-bref-ipc.pdf

[41] Lebelle Aurélie (2012), Un Français sur cinq consacre plus de 30 % de ses revenus à se loger, Op-Cit.

[42] OLAP (Observatoire des Loyers de l’Agglomération parisienne), L’évolution des loyers dans la région parisienne et en province, [En ligne] (consulté le 20 mars 2017), http://temis.documentation.developpement-durable.gouv.fr/docs/Temis/0054/Temis-0054792/16359-2007-4.pdf

[43] Insee, Indice de référence des loyers (IRL) – Base 100 4ème trimestre 1998, Indice pour la révision d’un loyer d’habitation [En ligne] (consulté le 20 avril 2019), https://www.insee.fr/fr/statistiques/3532378?sommaire=3530678

[44] Insee, SM01 : salaire minimum pour 35 heures hebdomadaires (en euros courants), Op.Cit.

[45] Insee, Stabilité des prix à la consommation en moyenne en 2015, Prix à la consommation – moyennes annuelles (IPC) – 2015, [En ligne] (consulté le 24 août 2018), https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011356

[46] Lebelle Aurélie (2012), Un Français sur cinq consacre plus de 30 % de ses revenus à se loger, Le Parisien.fr, [En ligne] (consulté le 17 mars 2012), http://www.leparisien.fr/economie/immobilier/un-francais-sur-cinq-consacre-plus-de-30-de-ses-revenus-a-se-loger-17-03-2012-1910524.php?xtor=EREC-109—-559652@1

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