La croissance du PIB épuiserait-elle les stocks de matières premières ?

Jean-Christophe Giuliani

Pour qu’un taux de croissance de 5,5 % par an pendant 5 ans soit envisageable, il ne doit pas menacer le développement économique à moyen et long terme. La croissance du PIB étant dépendante d’un usage croissant de matières premières, avant de proposer cette solution pour créer 7 millions d’emplois, je propose d’évaluer les stocks d’énergies fossiles et de minerais

  • La croissance est-elle compatible avec les stocks d’énergies fossiles ?

La croissance du PIB est dépendante à plus de 80 % des énergies fossiles (pétrole, gaz naturel et charbon). Étant la matière première de base des carburants, du plastique, des fibres textiles, des engrais et des pesticides, le pétrole est une ressource stratégique indispensable au développement économique. Le gaz naturel étant utilisé pour se chauffer et produire de l’électricité et des engrais, il est également une ressource stratégique. Avant d’envisager de relancer la croissance, il est nécessaire d’étudier la viabilité de cette solution en évaluant l’état des stocks.

Le graphique ci-dessous présente l’évaluation des stocks d’énergies fossiles en année, en fonction d’une croissance mondiale nulle ou de 3 % par an.

–  Source : USGS2012[15] et EIA[16]

N’étant pas renouvelables, les stocks de charbon, de gaz naturel et de pétrole évoluent au rythme de la consommation et donc, de la croissance du PIB mondial. Comme l’évaluation date de 2011, en fonction d’une croissance du PIB nulle ou de 3 % par an, les stocks de charbon seront épuisés entre 2060 et 2124, ceux du gaz naturel entre 2045 et 2070 et ceux du pétrole entre 2042 et 2061. Les graphiques ci-dessous présentent les réserves de pétrole et de gaz naturel mondial de 2015 en % et en année d’exploitation.

–  Sources : BP statistical Review of World Energy june 2016[17]

En 2015, à eux dix, le Venezuela, l’Arabie Saoudite, le Canada, l’Iran, l’Irak, la Russie, le Koweït, les Émirats Arabes Unis (EAU), les États-Unis et la Libye détiennent plus de 85 % des réserves de pétrole mondiales. Depuis que le Canada exploite les sables bitumineux, avec ses 10,1 % de réserves et ses 108 années de stocks, il est le troisième plus gros producteur de pétrole. Ce n’est pas les réserves, mais le rythme de leur exploitation qui détermine le nombre d’années de stock. Détenant 2,8 % des réserves mondiales, au rythme de son exploitation actuelle, qui est de 432.000 barils par jour, la Libye détient 307 années de stocks. Même si elle détient 15,7 % des réserves, étant donné que son exploitation est de 2,35 millions de barils par jour, l’Arabie Saoudite ne détient que 61 années de stock. Au rythme actuel de la production, c’est-à-dire de 91,7 millions de barils par jour, les rares pays qui disposeront encore de réserves de pétrole après 2080 seront l’Iran, l’Irak, le Venezuela, le Koweït, la Libye et le Canada.

À eux sept, l’Arabie Saoudite, l’Iran, la Russie, les EAU, le Qatar, les États-Unis et le Turkménistan détiennent plus de 71 % des réserves de gaz naturel mondiales. Détenant 9,4 % des réserves, au rythme de son exploitation actuelle, qui est de 72.400 m3 par jour, le Turkménistan détient 241 années de stocks. Même si elle détient 17,3 % des réserves mondiales, étant donné que son exploitation est de 573.300 m3 par jour, la Russie n’en détient plus que 56,3 années. Au rythme actuel de la production, c’est à dire 3,53 millions de m3 par jour, les rares pays qui disposeront encore de réserves après 2100 seront l’Iran, l’Irak, les EAU, le Turkménistan et le Qatar.

À court terme, si la consommation de pétrole et de gaz naturel ne se réduit pas, les stocks, dont dépendent le développement économique, la production d’électricité et la capacité de certains pays à se chauffer, seront épuisés. Avant de proposer de réduire la consommation, il est nécessaire d’identifier ceux qui en consomment le plus. Le graphique ci-dessous présente la consommation d’énergie par pays et par habitant en % et en TEP/hab.

–  Source : Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde[18] et[19].

Ce graphique montre qu’en 2013, les États-Unis, les pays du G7 hors États-Unis (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Canada et Japon), la Chine, la Russie, l’Inde et le Brésil consomment 64 % des ressources énergétiques mondiales. À eux deux les États-Unis et la Chine en consomment 38,3 %. De 1997 à 2013, tandis que la consommation des États-Unis augmentait seulement de 2,5 % et que celle des pays du G7 diminuait de 10,2 %, celle de la Chine, de l’Inde et du Brésil augmentait de 181 %, de 94,7 % et de 64,7 %. La consommation mondiale ayant augmenté de 42,6 %, la faible baisse de la consommation des pays industrialisés a très largement été compensée par celle des pays émergents.

Comme pour les rejets de CO2, la consommation totale d’énergie par habitant fait apparaître que les apparences sont trompeuses. Même si en 2013, la Chine représentait 22,2 % de la consommation mondiale, avec ces 2,2 TEP/hab, un chinois consomme 3,45 fois moins d’énergie qu’un américain qui en consomme 6,9 TEP/hab. Même si en 2013, le Luxembourg et le Qatar ne représentaient que 0,33 % de la consommation mondiale, par habitant, ils en consommaient respectivement 7,3 et 19,1 TEP/hab. De 1997 à 2013, tandis que la consommation du Qatar augmentait de 308 %, sa consommation par habitant diminuait de 0,7 %. Cette baisse n’est donc pas due à une réduction de sa consommation, mais à l’augmentation de sa population. Si sa population n’avait pas augmenté de 298 %, elle aurait consommé 78,6 TEP/hab.

Les stocks de pétrole et de gaz naturel étant limités, pour qu’ils ne s’épuisent pas à court terme, il est donc nécessaire que les États-Unis, les pays du G7, la Chine, l’Inde, le Brésil, le Qatar, les pays du Golf et le Luxembourg réduisent leur consommation de manière significative. S’ils ne la réduisent pas, le modèle économique actuel, qui repose sur une énergie à bas prix, s’effondrera. Pour produire de l’électricité et des carburants et se chauffer, il sera donc nécessaire de remplacer le pétrole et le gaz naturel par des énergies renouvelables (solaire, éolien, hydroélectrique, géothermie, biocarburant, algue, etc…) et de favoriser de nouvelles technologies (pile à combustible, cogénération, stockage de l’électricité, énergie libre, fusion nucléaire, etc…). En ce qui concerne la production de plastiques, de fibres textiles, d’engrais et de pesticides, il sera nécessaire d’innover pour remplacer le pétrole à moindre coût.

Les stocks de pétrole et de gaz naturel étant limités et concentrés dans certains pays, ceux qui en détiennent disposent d’une manne financière qui leur procure une autonomie économique et politique. Cette manne peut servir les intérêts d’une classe dirigeante (Arabie Saoudite, Qatar, Koweït, etc…), qui souvent collabore avec des compagnies pétrolières (Shell, Exxon Mobile, BP, Total, etc…), ou être mise au service du développement d’un pays et du bien-être de sa population. Allant à l’encontre des intérêts de compagnies pétrolières et de banques, la seconde solution peut conduire à un « Printemps arabe » (Mouammar Kadhafi en Libye 2011), à un coup d’État manqué (Hugo Chavez au Venezuela en 2002) ou réussi (Mossadegh en Iran 1953[20]).

La compétition pour le contrôle des stocks et l’approvisionnement du pétrole et du gaz naturel risque de provoquer des tensions politiques majeures entre les grandes puissances (États-Unis, Europe, Russie et Chine). Que ce soit, d’une part, la guerre en Afghanistan, en Irak et en Syrie, et d’autre part, les tensions politiques qui opposent les États-Unis à l’Iran, ainsi que celles qui opposent les États-Unis et l’Europe à la Russie au sujet de l’Ukraine et de la Syrie[21], elles ont toutes en commun un enjeu pétrolier ou gazier. Toutes ces guerres et tensions politiques, qui sont menées au nom de Dieu, de la liberté ou de la lutte contre le terrorisme, ont en commun le contrôle de réserves de pétrole, d’un pipeline ou d’un gazoduc, la construction d’un pipeline ou le contrat de construction d’un gazoduc. Ces conflits, qui sont censés préserver notre mode de vie, nos emplois et la croissance, n’offrent pas de perspectives réjouissantes à moyen et long terme.

  • La croissance est-elle compatible avec les stocks de minerais ?

La croissance du PIB dépend aussi de l’exploitation et de la transformation de minerais, dont les stocks sont également limités. Le graphique ci-dessous présente l’évaluation des stocks de minerais en année, en fonction d’une croissance mondiale nulle ou de 3 % par an.

–  Source : USGS2012[22] et EIA[23]

Puisque les stocks de minerais ne sont pas renouvelables, ils évoluent au rythme de la consommation et donc, de la croissance du PIB. Comme ces évaluations datent de 2011, en fonction d’une croissance du PIB mondial nulle ou de 3 % par an, les stocks de platine et d’aluminium seront épuisés entre 2070 et 2180, ceux du cobalt et du fer entre 2050 et 2090, ceux du zinc entre 2045 et 2070, ceux du nickel et du cuivre entre 2040 et 2055 et ceux de l’argent, du plomb, de l’étain et de l’or entre 2026 et 2030. Ces stocks étant limités, si l’exploitation de ces minerais, qui sont indispensables aux secteurs industriels (électronique, informatique, construction, sidérurgie, automobile, aéronautique, mécanique, nucléaire, transport, etc…), n’est pas contrôlée, raisonnée et limitée à un usage réellement utile et stratégique, à court terme, ils seront épuisés. L’industrie en étant dépendante, sous l’effet de la loi du marché, dite « de l’offre et de la demande », la rareté provoquera une hausse des prix. Cette hausse provoquera une crise économique, politique et sociale dont l’issu sera irréversible. Ces crises provoqueront des conflits qui menaceront la qualité de vie et la survie des générations présente et à venir.

Aux stocks de minerais traditionnels, il faut ajouter certains minerais stratégiques encore plus rares (coltan, indium, gallium, titan, niobium, tantale, germanium, terres rares, etc…), qui interviennent dans la production de matériels de haute technologie (téléphone portable, informatique, robotique, satellite, armement, nucléaire, etc…). Le contrôle des territoires, dont sont extraits ces minerais, est déjà la cause de tensions politiques, de conflits et de guerres. Le contrôle des mines de Coltan, qui est utilisé dans les téléphones portables, est à l’origine de conflits armés qui touchent la République démocratique du Congo. Plus de 90 % des terres rares, qui sont utilisés dans l’industrie de haute technologie, sont produits en Chine. Étant donné que la Chine souhaite développer une industrie de haute technologie, elle limite ses exportations avec l’Europe, le Japon et les États-Unis. Ces restrictions sont déjà à l’origine de tensions commerciales et politiques.

Au rythme de la croissance du PIB actuelle, les stocks d’énergies fossiles et de minerais, que la planète a mis des millions d’années à produire, seront épuisés en moins de 200 ans. À court terme, quand les stocks de matières premières seront épuisés, il ne sera plus possible de relancer la croissance. Non seulement il n’y aura plus de croissance, mais surtout, il n’y aura plus d’alternatives à l’épuisement des réserves de pétrole et de gaz naturel. En effet, ceux qui affirment que les innovations techniques permettront de trouver des solutions alternatives oublient que la production d’éoliennes, de panneaux photovoltaïques ou d’autres technologies nécessite l’usage de minerais et de terres rares. Si les stocks sont épuisés, ils auront beau disposer de brevets et de technologies innovantes, ils n’auront plus les moyens de les produire en grande série. Afin de préserver les stocks de matières premières à moyen et long terme, il est donc nécessaire de ne pas les gaspiller en limitant leur usage aux activités et à la production de biens réellement utiles et stratégiques. Étant donné que pour soutenir un taux de 5,5 % par an pendant 5 ans, il est nécessaire de consommer toujours plus, ce choix à court terme n’est pas compatible avec des stocks limités.

Au même titre que les matières premières, l’épuisement et le contrôle des ressources naturelles peuvent également être les causes de tensions économiques et politiques.

Jean-Christophe Giuliani

 

Cet article est extrait de l’ouvrage « En finir avec le chômage : un choix de société ! ». Ce livre permet d’appréhender les enjeux du choix entre la relance de la croissance du PIB ou de la réduction du temps de travail. Vous pouvez le commander sur le site des Éditions du Net sous un format ePub ou Papier.


Pour accéder aux pages suivantes :

– La croissance du PIB serait-elle responsable du réchauffement climatique ?

– La croissance du PIB épuiserait-elle les ressources naturelles ?

– La croissance du PIB menacerait-elle la biodiversité ?

 


[15] US Geological Survey 2012, Réserves ressources énergétiques et minérales, [En ligne] (consulté le 15 mars 2017), https://docs.google.com/spreadsheets/d/1NKAgc8K5nhlyfoshB-cB-NehD1AIIOT-DnbIgKP58-w/edit#gid=0

[16] International Energy Statistics, Total Primary Energy Production 2014, [En ligne] (consulté le 15 mars 2017), https://www.eia.gov/beta/international/data/browser/#/?vs=INTL.44-1-AFRC-QBTU.A&vo=0&v=H&start=1980&end=2014

[17] BP, BP statistical Review of World Energy june 2016, [En ligne] (consulté le 29 octobre 2016), http://www.bp.com/content/dam/bp/pdf/energy-economics/statistical-review-2016/bp-statistical-review-of-world-energy-2016-full-report.pdf

[18] Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde, [En ligne]. (consulté le 21 octobre 2016), http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/EN.ATM.CO2E.PC

[19] Banque mondiale, Consommation d’énergie par habitant, [En ligne] (le 31 octobre 2016), https://www.google.fr/publicdata/explore?ds=d5bncppjof8f9_&met_y=eg_use_pcap_kg_oe&idim=country:LUX:NLD:CHE&hl=fr&dl=fr#!ctype=l&strail=false&bcs=d&nselm=h&met_y=eg_use_pcap_kg_oe&scale_y=lin&ind_y=false&rdim=country&idim=country:CAN&ifdim=country&hl=fr&dl=fr&ind=false

[20] Wikipédia, Opération Ajax, [En ligne] (consulté le 8 novembre 2016), https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Ajax

[21] La Vie, 3 minutes pour comprendre : les enjeux énergétiques de la guerre en Syrie, [En ligne] (consulté le 8 novembre 2016), http://www.lavie.fr/medias/webreportages/3-minutes-pour-comprendre-les-enjeux-energetiques-de-la-guerre-en-syrie-05-09-2013-43762_455.php

[22] US Geological Survey 2012, Réserves ressources énergétiques et minérales, [En ligne] (consulté le 15 mars 2017), https://docs.google.com/spreadsheets/d/1NKAgc8K5nhlyfoshB-cB-NehD1AIIOT-DnbIgKP58-w/edit#gid=0

[23] International Energy Statistics, Total Primary Energy Production 2014, [En ligne] (consulté le 15 mars 2017), https://www.eia.gov/beta/international/data/browser/#/?vs=INTL.44-1-AFRC-QBTU.A&vo=0&v=H&start=1980&end=2014

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