Les conceptions mécanistes causales et énergétistes permettent de comprendre les stratégies qu’un individu peut mettre en œuvre pour sublimer son énergie psychique en donnant un sens à sa vie. La conception « mécaniste causale » [1] repose sur le principe de cause à effet et la compréhension du présent à partir des événements passés. Un effet ou une cause est le résultat d’un phénomène qui s’est produit sans avoir été prévu. Tandis qu’un événement est la conséquence d’un ensemble d’effets ou de causes. L’approche mécaniste causale permet d’expliquer le présent en analysant les événements passés qui ont été provoqués par des causes. Par conséquent, comme le présent peut être modifié à chaque instant par des événements, l’avenir ne peut pas être déterminé à l’avance. L’exemple de Marie permet de comprendre la conception mécaniste causale.
Événement : Marie n’a pas été admise en salle d’examen pour passer un concours .
– Cause 5 : en cas de retard, il est interdit d’entrer dans une salle d’examen.
– Cause 4 : elle est arrivée sur le lieu de l’examen à 9h5 au lieu de 9h.
– Cause 3 : le train est arrivé à 8h55 en gare de Douai (salle examen 15 min de la gare).
– Cause 2 : à cause d’un accident, le train de 8h est parti 8h30 de la gare de Lille.
– Cause 1 : Ayant prévu d’arrivée 30 min avant l’épreuve, elle s’est levée à 7h pour prendre le train de 8h au lieu de se lever à 6h pour prendre le train de 7h10.
Si Marie avait été admise en salle d’examen, il n’y aurait pas eu d’événement. Dans ce cas, elle n’aurait pas eu à analyser les causes qui ont conduit à son exclusion de cette salle.
L’approche mécaniste causale se vie exclusivement au présent. Comme seuls les expériences et les actes vécus au présent comptent, leurs conséquences futures n’ont aucune importance. De ce fait, l’énergie dépensée par l’individu pour développer ses connaissances, ses compétences et ses aptitudes est plus importante que le résultat. Ce n’est pas l’énergie qui est perdue, mais les surplus non utilisés qui stagnent et s’accumulent. Par conséquent, cette approche est favorable à l’épanouissement et à l’émancipation des facultés de l’individu qui inscrit sa vie dans le présent.
Se référant exclusivement au présent, au passé, à la chance, aux rencontres, au hasard et à la volonté divine, ce mode de vie peut être angoissant. En effet, l’individu a besoin d’un objectif pour se projeter dans l’avenir et lui donner un sens. Ne reposant pas à un projet planifié, sa vie est imprévisible et il n’a aucune prise sur son existence. Son existence étant déterminée par sa naissance et ses expériences, il est condamné à subir toute sa vie les conséquences de son passé. À terme, l’incapacité de se projeter dans l’avenir peut provoquer des angoisses existentielles et une pathologie du présent [2]. Ne lui permettant pas de se projeter dans l’avenir pour modifier son destin, l’approche mécaniste causale le condamne à les subir toute sa vie.
À l’inverse, « la conception énergétiste » [3] repose sur un objectif quantitatif ou qualitatif, dont le résultat est attendu et prévu. L’objectif est un repère qui permet d’orienter l’action et de lui donner un sens. Les moyens (énergies, temps, argents, hommes, matériels) et les méthodes utilisées pour mener un projet peuvent être prévus, planifiés et organisés à l’avance. Sa réussite sera confirmée ou infirmée à la fin du processus. En effet, si l’écart entre le résultat obtenu et attendu est trop important ou si le résultat obtenu ne correspond pas à celui qui était attendu, le projet est un échec. L’exemple de Julie permet de comprendre la conception énergétiste.
Durant ses études universitaires, Julie a préparé un DEA de recherche en philosophe. Durant ces cinq années, elle a consacré du temps et de l’énergie, d’une part, à suivre des cours pour acquérir des connaissances et se les approprier, et, d’autre part, à apprendre à construire un raisonnement philosophique pour passer des examens et à effectuer un travail de recherche pour rédiger son mémoire. À la fin de sa cinquième année, Julie obtient son DEA. Ne pouvant pas accéder au métier de professeur de philosophie et ne disposant pas d’une formation et d’une expérience professionnelle, elle est contrainte de se rabattre sur un métier de vendeuse.
C’est à ce moment qu’apparaît la différence entre la conception mécaniste et énergétiste. Dans la logique énergétiste, comme seul le résultat compte, le fait qu’elle ait un DEA de philosophie, mais que son emploi est celui de vendeuse est un échec. Étant focalisée sur l’objectif, la conception énergétiste n’attribue pas de valeur au phénomène d’entropie que Julie a subit durant ces cinq années universitaires. Même s’il est regrettable que Julie soit vendeuse plutôt que professeur de philosophie, la conception mécaniste causale prend en compte qu’au cours de ces cinq années d’études, elle a dépensé de l’énergie et subi de multiples phénomènes d’entropie qui l’ont transformé et fait évoluer. Par conséquent, pour la conception mécaniste causale, l’expérience de Julie est un succès.
La réalisation d’un projet (créer une entreprise, produire une œuvre, faire de la recherche, etc.) permet à l’individu d’actualiser les potentiels qu’il pressentait, mais qu’il ne pouvait pas affirmer posséder avant sa réalisation. À ce titre, le travail est la source de transformation et de l’émancipation de l’individu. À l’opposé, la passivité du téléspectateur, l’agitation du touriste et le travail salarié routinier qui gaspillent de l’énergie sans exiger d’effort intellectuel ou physique sont des sources de stagnation et de régression.
Malgré leur apparente opposition, les deux modes d’appréhension de l’existence sont complémentaires. En effet, même si l’expérience réelle de l’existence se vie au présent, à travers ses connaissances, ses savoir-faire et ses complexes, les expériences passées cohabitent étroitement dans l’action au présent. Une entreprise fait régulièrement appel à des consultants pour réaliser un audit de son activité afin de corriger les dysfonctionnements de ses services. En lui permettant de réduire ses gaspillages de temps, de matière première, d’énergie et de mains-d’œuvre, ce travail d’audit lui donne les moyens de réduire ses coûts de production. Ces baisses de coût lui permettent d’augmenter sa marge bénéficiaire et ses bénéfices. Ayant une plus grande maîtrise de ses processus de production et de distribution, l’entreprise peut se projeter dans l’avenir pour donner un sens à son action. À l’inverse, l’entreprise qui ne maîtrise pas ses processus et qui n’est pas capable de se projeter dans l’avenir est, à terme, condamnée à disparaître.
Un individu effectue avec l’aide d’un psychologue un travail d’analyse de son enfance, ainsi que de sa vie privée, professionnelle et sociale. En effectuant ce travail, il se donne les moyens de se réapproprier son histoire et de se libérer de ses complexes. En clarifiant son passé, il maîtrise davantage son présent et permet l’émergence de sa structure intérieure. Gaspillant moins de temps et d’énergie à lutter contre des réactions indésirables provoquées par des complexes, il peut se consacrer à des projets qui répondent aux aspirations de sa structure intérieure. Ainsi, il dispose des moyens de se fixer des objectifs pour se projeter dans l’avenir et donner un sens à sa vie. À l’inverse, celui qui fuit ce travail d’analyse consomme beaucoup de temps et d’énergie à trouver son équilibre. Son présent étant prisonnier de son passé, il a beaucoup de difficulté à se projeter dans l’avenir pour donner un sens à sa vie. S’il n’en est pas capable, c’est l’idéologie qui se chargera de lui en fournir un.
En permettant d’analyser les événements qui se produisent au présent, l’approche mécaniste causale permet d’éliminer les phénomènes du passé qui gaspille du temps et de l’énergie sans produire de transformations positives. Cette énergie qui n’est plus gaspillée à corriger des dysfonctionnements passés peut être investie dans des projets qui permettent de se projeter dans l’avenir et de donner un sens à l’action. Étant tournée vers l’avenir, l’approche énergétiste est davantage influencée par les doctrines idéologiques que la conception mécaniste causale. C’est ainsi que la coordination d’une approche mécaniste causale à une approche énergétiste permet la croissance et l’évolution d’un individu, d’une entreprise et d’une société.
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– Satisfaire nos besoins en travaillant 5 jours : le choix de la catastrophe
– Satisfaire nos besoins en travaillant 2 jours : un choix de société
[1] Jung Carl Gustav, L’énergétique Psychique, Genève, Georg, 1993, page 21.
[2] La pathologie du présent caractérise le comportement quotidien d’un individu qui vit ses actes au temps présent, sans se référer à son passé et se soucier des conséquences de ses actes pour le futur. L’existence du sujet se ramenant au seul moment présent, l’immédiateté du temps englobe toute sa conscience. Ne pouvant se projeter dans l’avenir, sa vie n’a plus de sens. Comme il ne peut différer ses actions, elles doivent être réalisées « tout-de-suite ». Son existence quotidienne étant enfermé dans le moment présent, le sujet est confronté au vide et à l’angoisse existentielle. Pour fuir l’angoisse, il peut s’étourdir dans l’activisme, la consommation compulsive ou diverses activités addictes. La pathologie du présent peut aboutir à une dépression dont l’origine est à la fois liée au refoulement du passé, au désespoir face à l’avenir et au rejet du présent que l’individu ne contrôle plus.
[3] Jung Carl Gustav, L’énergétique Psychique, Genève, Georg, 1993, page 21.