Le revenu optimal net de 887 € par mois sera viable et désirable, s’il est en mesure de sécuriser la satisfaction des besoins physiologiques. En 2013, tandis que les dépenses allouées à l’alimentation et au logement étaient de 578 €, la part du Smic net mensuel allouée à ces dépenses était de 51,6 %. Avec un revenu de 887 €, la part allouée à ces dépenses serait de 65,2 %. Pour qu’il soit viable, la part du revenu optimal allouée à ces dépenses doit donc revenir à celle de 1982, c’est-à-dire à 38,7 %. Pour que ces dépenses passent de 578 € à 343 €, je propose de les réduire de 40,6 % en intervenant sur les dépenses allouées à l’alimentation et au logement.
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Comment intervenir sur l’offre des produits alimentaires ?
Le revenu optimal net de 887 € par mois sera viable et désirable, s’il est en mesure de sécuriser les moyens de se nourrir. De 1982 à 2013, les dépenses allouées à l’alimentation sont passées de 77 € à 193 €, soit une hausse de 152 %. En 1982, la part du Smic net mensuel allouée à l’alimentation était de 17,4 %. Pour que la part du revenu optimal de 887 € revienne au niveau de 1982, le montant de ces dépenses doit passer de 193 € à 155 €. Afin de les réduire de 20,1 %, je propose de commencer par intervenir sur l’offre des produits alimentaires.
Comme, je l’ai déjà expliqué dans la seconde partie, les moyens d’assurer une alimentation saine et équilibrée sont relativement limités : au quotidien, boire 1,5 litre d’eau et manger 5 portions de 120 g de fruits et de légumes, 3 portions de 75 g de riz complet, de quinoas, de maïs, de patates douces ou de légumineux (lentilles, haricots, pois chiches, etc…), 30 g d’oléagineux (noix, amandes, noix de cajou, etc…), 2 à 3 œufs, 30 g de fromage et de 2 à 3 cuillères de 30 g d’huile d’olive et marger 1 à 2 parts de poisson par semaine (sardine, maquereau, saumon, etc…). Bien que les moyens destinés à satisfaire ces besoins soient limités, la largeur et la profondeur de l’offre de produits alimentaires transformés des hypermarchés n’ont pas cessé d’augmenter. Même si à la fin du 20e siècle, l’offre était déjà surabondante, de 2000 à 2010, elle a augmenté de plus de 35 %. L’augmentation des dépenses allouées à l’alimentation étant due à la hausse de l’offre et des prix, pour les baisser de 50 %, je propose de commencer par réduire l’offre. Je tiens à préciser que cette réduction ne concerne pas les fruits, les légumes, les légumineux et les autres produits frais qui n’ont pas subi de transformation industrielle.
La première étape consiste à réaliser l’inventaire de tous les produits alimentaires transformés (conserves, biscuits, congelés, produits préparés, viandes, poissons, boissons alcoolisées, sodas, jus de fruits, eau en bouteilles, fromage, pâtes alimentaires, yaourts, produits laitiers, café, thé, chocolat, etc…) qui sont référencés par l’industrie agroalimentaire (Nestlé Danone, Kraft, etc…) et les centrales d’achat de la grande distribution (Carrefour, Auchan, etc…).
La seconde étape consiste à définir l’utilité réelle de ces produits alimentaires. Pour effectuer ce tri, il est nécessaire de réunir des commissions d’experts composés de médecins, de nutritionnistes, d’industriels, de politiques et de citoyens. Les questions pertinentes à se poser sont celles-ci : ce produit alimentaire répond-il à un besoin nutritif ? Avons-nous besoin de le produire ? Lors de cette étape, il est également important d’évaluer l’impact de ces produits sur la santé et l’environnement. Par exemple, des études indépendantes concernant le Coca-Cola démontrent qu’il est nuisible pour la santé et que sa production gaspille des réserves d’eaux potables indispensables à l’agriculture[1]. Cette remarque vaut pour les produits composés d’organismes génétiquement modifiés (OGM) et de nombreux produits alimentaires (Nutella, hamburger, soda, chips, etc…) À partir de ce constat, pour des raisons environnementales et sanitaires, est-ce qu’il est pertinent de poursuivre la production et la distribution de ces produits ?
La troisième étape consiste à limiter la largeur de gamme en sélectionnant les produits alimentaires transformés que nous souhaitons produire et ceux que nous souhaitons arrêter de produire. En effet, pour satisfaire un même besoin, le consommateur est confronté à une offre produits dont les critères de distinction sont la marque, le prix, la qualité, le goût, etc… Pour étancher la soif, les linéaires d’un hypermarché proposent le choix entre 242 références de boissons sans alcool[2] (boissons aux fruits, jus d’orange, jus de pommes, soda, thé glacé, etc…). Limiter la largeur de l’offre consiste à limiter le choix à deux ou trois produits. Par exemple, limiter l’offre de boissons sans alcool aux jus d’orange et aux jus de pommes. Pour que ces choix ne soient pas influencés par des intérêts économiques, ils ne doivent pas être dictés par des agences de marketing, mais par des commissions de citoyens qui seront composés de politiques, de nutritionnistes, d’agriculteurs, de paysans, d’industriels, de militants et de citoyens. Limiter la largeur de l’offre ne suffit pas, il est également nécessaire d’en limiter la profondeur.
La quatrième étape consiste à donner à ces commissions la responsabilité de limiter la profondeur de l’offre. Par exemple, l’offre de jus d’orange est souvent composée de plus de sept références qui se distinguent par leurs marques, leurs qualités et leurs prix. Limiter la profondeur consiste à réduire l’offre à une référence de bonne qualité. En limitant la profondeur de l’offre, il sera possible de produire en grande série et donc, de réaliser des économies d’échelle qui permettront de baisser le coût de production unitaire et donc, le prix de vente. En favorisant une baisse des prix, la réduction de l’offre permettra de réduire les dépenses allouées à l’alimentation.
Pour intervenir sur l’offre, je propose également de favoriser l’autonomie alimentaire des communes. Les agriculteurs, les éleveurs (bovins, volailles, porcs, etc…), les producteurs maraîchers et les AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture paysanne) auront la mission de répondre aux besoins alimentaires des habitants de leur commune. La production de fruits, de légumes, de légumineux, de viandes, d’œufs, de produits laitiers, de céréales, etc… sera, pour l’essentiel, destiné à approvisionner les circuits courts, c’est-à-dire les marchés et les commerces locaux. Seuls les excédents seront commercialisés aux communes et aux régions déficitaires. Par exemple, les excédents de pêches des régions du Sud de la France pourront être exportés dans les régions du Nord ou de l’Europe qui n’en produisent pas. L’autonomie alimentaire des communes favorisera l’agriculture biologique et durable, la relocalisation de la production, un prix équitable pour tous, le respect de la biodiversité, la qualité des produits et la création d’emplois en milieu rural. Elle permettra également de réduire le gaspillage d’énergie, la pollution de l’eau, de l’air et des sols et les rejets de gaz à effet de serre.
Même si elles en sont la condition, la limitation de l’offre, les économies d’échelles et la production locale ne seront pas suffisantes pour diminuer les dépenses allouées à l’alimentation. Pour réduire les dépenses allouées à l’alimentation et au logement de 40,6 %, je propose également d’intervenir sur les prix et la pondération de l’indice des prix à la consommation.
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Comment intervenir sur les prix et l’indice des prix ?
Pour réduire les dépenses allouées à l’alimentation et au logement de 40,6 %, il est nécessaire d’intervenir sur les prix et la pondération de l’indice des prix. Avant 1986, les prix étaient régulés par l’Ordonnance n°45-1483 relative aux prix. Grâce à cette ordonnance, les prix n’étaient pas fixés librement, mais par des arrêtés ministériels. En abrogeant l’ordonnance de 1945, l’Ordonnance n°86-1243 relative à la liberté des prix et de la concurrence a permis de fixer les prix en fonction de la loi du marché. Afin de réduire ces dépenses, l’État devra abroger l’ordonnance de 1986 pour la remplacer par une nouvelle « loi du Maximum » qui s’inspira de l’ordonnance de 1945. En limitant le taux de marge commerciale à 5 % du coût de production unitaire, en fixant les prix par arrêtés ministériels et en contrôlant la qualité des produits, la « loi du Maximum » permettra de baisser les prix et d’augmenter la qualité des produits.
En fixant et en contrôlant les prix, l’État aura à nouveau une emprise sur l’économie. Pour que ces services aient les moyens de remplir leurs missions, les entreprises devront communiquer les documents relatifs à leur activité : la justification des prix pratiqués, les éléments qui composent le prix et le coût analytiques des biens et services, etc… Les infractions à la législation sur les prix et la qualité seront sanctionnées par des amendes. La « loi du Maximum » s’appliquera à tous les biens et services destinés aux subsistances et à un minimum de confort matériel (alimentation, logement, loyer, factures d’eau, de gaz et d’électricité, transport, santé, etc…). Il est important de préciser que cette loi ne s’appliquera pas aux biens et aux services ostentatoires (iPhone, 4×4, montre, jet privé, yacht, voyages, etc…). Au nom de la « liberté » et de la lutte contre le réchauffement climatique, ces prix seront soumis à la loi du marché et à une « TVA ostentatoire ».
Le revenu optimal étant indexé sur le taux d’inflation, il augmentera au rythme de l’indice des prix à la consommation. Pour que les ménages au revenu optimal ne soient pas pénalisés par un taux d’inflation trop bas, le revenu de référence du calcul de l’IPC sera de 887 €. En ce qui concerne la pondération de l’indice des prix, elle devra correspondre à la part de la consommation des ménages. Si la part allouée au logement est de 21,3 %, sa pondération devra être de 21,3 %. Il apparaît également nécessaire de modifier la pondération d’un bien et d’un service en fonction de la nature du besoin qu’il satisfait : les besoins physiologiques (logement, alimentation, eau, gaz, électricité, santé, etc…) ou les besoins d’appartenance et d’estime de soi (consommation ostentatoire). Les dépenses allouées aux besoins physiologiques étant vitales, la pondération de ces biens et services devra être plus élevée que celle allouée aux dépenses ostentatoires.
En réduisant l’offre de produits alimentaires transformés, en votant la « loi du Maximum », en limitant la marge commerciale à 5 %, en indexant le revenu optimal sur le taux d’inflation, en calculant l’indice des prix à partir du revenu optimal et en le pondérant en fonction de la part des dépenses de consommation et de la nature des biens et des services, il sera possible de réduire les dépenses allouées à l’alimentation et au logement de 40,6 % et donc, d’augmenter le pouvoir d’achat de ceux qui percevront un revenu de 887 €, sans pénaliser la compétitivité des entreprises.
Après avoir présenté des solutions pour réduire les dépenses allouées à l’alimentation, je vais à présent en proposer pour le logement.
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Comment diminuer le budget des dépenses allouées au logement ?
Le revenu de 887 € sera viable et désirable, s’il est en mesure de sécuriser les moyens d’accéder à un logement et de payer ses factures d’eau, de gaz et d’électricité. De 1982 à 2013, les dépenses allouées au logement sont passées de 94 € à 385 €, soit une hausse de 310 %. En 1982, la part du Smic allouée au logement était de 21,3 %. Pour que le revenu de 887 € soit viable, la part du revenu optimal allouée au logement doit également être de 21,3 %. C’est-à-dire, que le montant des dépenses allouées au logement doit passer de 385 € à 189 €. Afin de les réduire de 50,9 %, je propose d’intervenir sur les prix du marché de l’immobilier et les loyers.
En analysant les causes de l’augmentation de ces dépenses, il est apparu qu’elles ne sont pas dues à un manque de logements, à l’inadéquation entre l’offre et la demande, au coût de la construction et à la hausse du revenu des ménages. En effet, en 2013 la France disposait de 2,55 millions de logements vacants et d’un excédent de 20 369 logements entre le nombre de ménages et de résidences principales occupées de manière habituelle. De 1985 à 2013, tandis que l’indice du coût de la construction augmentait de 90,7 %, le prix du m² augmentait de 206 %. De 2000 à 2008, tandis que le Smic augmentait seulement de 34,6 %[3], le ratio du prix moyen de l’immobilier est passé de 2,5 à 4,3 fois le RDB des ménages. Il est donc possible d’affirmer que la hausse des dépenses allouées au logement est également due à la dérégulation des prix du marché de l’immobilier qui a été légalisée par l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. En libérant les prix de l’immobilier et des loyers, l’ordonnance Balladur a permis aux investisseurs privés de fixer les prix en fonction de la loi de « l’offre et de la demande ». Si l’Ordonnance de 1945 n’avait pas été abrogée, la spéculation immobilière, que connaît la France depuis le début des années 2000, n’aurait certainement pas eu lieu.
Puisque le logement protège du froid et du monde extérieur, il contribue au confort matériel, à l’autonomie et à la dignité de l’existence. Étant l’un des principaux moyens de satisfaire les besoins essentiels, le marché de l’immobilier et les loyers ne doivent plus être soumis à la loi du marché, mais à la volonté des pouvoirs publics. La hausse des dépenses allouées au logement étant due à la dérégulation du marché de l’immobilier, pour les réduire de 50,9 %, l’État doit donc intervenir pour le réguler : interdire la spéculation, la liberté des prix et les placements financiers dans l’immobilier. Au lieu de construire 150 000 logements par an, il apparaît plus pertinent de motiver les propriétaires des 2,55 millions de logements vacants à les vendre ou à les louer à des prix régulés à des particuliers qui souhaitent se loger. Il est important de signaler que la régulation des prix ne s’appliquera pas aux résidences de luxe et aux locaux commerciaux. Au nom de la liberté, le prix de ces biens sera fixé librement en fonction de la loi du marché dite de « l’offre et de la demande ».
La flambée des prix du marché de l’immobilier ayant été favorisé par l’ordonnance n°86-1243, dite Balladur, afin de le réguler, elle sera abrogée en faveur de la « loi du Maximum ». Cette loi permettra de fixer le prix plafond du m² d’un logement par arrêtés ministériels. En 1982, le prix d’un logement fluctuait autour de 2,5 fois le RDB d’un ménage. Pour réduire les dépenses de 50,9 %, le prix plafond d’un logement sera fixé par arrêtés ministériels à 2,5 fois le RDB d’un ménage de deux personnes au revenu optimal. Comme le revenu optimal sera de 887 € par mois, le RDB annuel d’un ménage sera de 21 288 €. Le prix plafond se situera donc autour de 53 220 €. Pour calculer le prix plafond du m², la norme d’occupation de la surface habitable d’un logement sera fixée à 30 m² pour un adulte et à 20 m² pour un enfant. La surface optimale, qui permettra à un ménage composé de deux adultes et deux enfants d’accéder à un niveau de qualité de vie et de bien-être objectif, sera de 100 m². Le prix plafond d’un logement étant de 53 220 €, le prix plafond au m² sera donc de 530 € le m² au maximum. Sur les bases de ce prix plafond au m², le prix d’un logement de 50 m² sera de 26 500 € et celui de 150 m² de 79 500 €.
Le prix plafond au m² sera réévalué à la hausse ou à la baisse en fonction du niveau de performance énergétique et de rejet de CO2 du logement. En France, le bâtiment consomme 43 % de l’énergie et rejette 1/4 des gaz à effet de serre. Le diagnostic de performance énergétique (DPE) s’inscrit dans le cadre de la politique énergétique définie au niveau européen. En mesurant la consommation d’énergie et les rejets de CO2, le DPE nous informe sur la performance énergétique d’un logement, ainsi que sur son impact sur le réchauffement climatique. Le DPE comprend deux étiquettes (énergie et climat) de sept classes comprises entre A à G[4].
Une étude publiée en juillet 2014, par le commissariat général au développement durable, présente la répartition du parc immobilier français en fonction des classes de logement. Le tableau ci-dessous présente les relevés du DPE concernant la performance énergétique et les rejets de CO2 d’un logement par classe en %.
– Source : Commissariat général au développement durable, Parc de logement en France métropolitaine, en 2012[5],
Ce tableau fait apparaître que le niveau de performance énergétique et de rejets de CO2 du parc immobilier français est médiocre. En effet, sur le plan de la performance énergétique, tandis que moins de 13 % du parc est composé de logements de classe A, B et C, plus de 87 % sont de classe D, E, F et G. Sur le plan des rejets de CO2, tandis que moins de 33 % du parc est composé de logements de classe A, B et C, plus de 67% sont de classe D, E, F et G.
N’étant qu’informatif, le DPE ne contraint pas à investir dans la rénovation et la construction d’immeubles à haut niveau de performance énergétique et de rejet de CO2 de classe A et B. Pour que le DPE motive les investisseurs privés à rénover le parc immobilier, la réglementation doit être contraignante. Actuellement, l’État accorde des avantages fiscaux pour motiver les particuliers et les investisseurs privés à investir dans la rénovation. Afin de les inciter à investir, je propose de s’inspirer du principe de la loi n°48-1360 du 1er septembre 1948[6]. Tandis que cette loi régulait le loyer des logements anciens, elle libérait ceux des logements neufs et rénovés. Motivés par des avantages fiscaux et la liberté des prix, les investisseurs privés ont investi dans la rénovation et la construction de logements neufs. Afin de les inciter à rénover, je propose donc de soumettre le prix du m² des logements de classe B, C, D, E, F et G à un tarif dégressif fixé par décrets ministériels, en fonction du niveau de performance énergétique et de rejet de CO2 du logement. Seul le m² des logements de classe A sera soumis à la loi du marché dite « de l’offre et de la demande ». Le tableau ci-dessous propose une grille de prix au m² en fonction de la classe et de la surface.
Puisque le m² d’un logement neuf de classe B sera fixé par arrêté ministériel à 530 €, le prix d’un appartement de 100 m² sera de 53 000 €. Le m² d’un logement ancien de classe G étant de 130 €, le prix d’une maison de 100 m² sera de 13 000 €. Le prix au m² pourra être réévalué à la hausse par des indices fixés par l’État en fonction de la surface corrigée[7] : la surface habitable réelle, un ascenseur, la localisation, le niveau de confort, la surface du terrain, etc… Étant donné que ces maisons devront être rénovées, le prix du m² d’un logement de classe D, E, F et G sera plus bas. Lors de la signature de l’acte d’achat, les mentions suivantes devront apparaître sur le contrat : le montant des travaux de rénovation, le nom de l’entreprise qui s’en chargera et le montant de l’emprunt. Pour les financer, l’État imposera aux banques de proposer des emprunts à taux réduit. Il est important de signaler que la régulation des prix ne s’appliquera pas aux logements de classe A, aux résidences de luxe et aux locaux commerciaux. Au nom de la liberté, le prix de ces biens sera fixé librement en fonction de la loi du marché dite « de l’offre et de la demande ».
Afin d’éviter que des investisseurs privés profitent de la baisse des prix pour s’emparer du parc immobilier, le gouvernement devra également voter une loi qui interdira les placements dans l’immobilier et limitera le nombre de logements autorisés par personne. Un ménage aura le droit d’être propriétaire d’une maison, d’un appartement et de deux résidences secondaires. Les surplus, que le ménage détiendrait, devront être mis en vente. Au lieu de construire 150 000 logements par an, il apparaît plus pertinent de motiver les propriétaires des 2,3 millions de logements vacants à les vendre ou à les louer à des prix régulés. L’augmentation de l’offre de logements favorisera la baisse des prix au profit des ménages qui souhaiteront accéder à la propriété pour se loger. La priorité devra être accordée aux ménages qui souhaitent acquérir leur résidence principale. Si deux ménages convoitent un même logement, celui qui souhaite accéder à la propriété sera prioritaire sur celui qui souhaite acquérir une résidence secondaire. Seuls les surplus de logements vacants pourront être mis en vente sur le marché en tant que résidences secondaires.
La hausse des prix du marché de l’immobilier est également due au fait que l’achat d’un logement n’est pas pris en compte par le calcul de l’indice des prix à la consommation (IPC). En n’étant plus considéré comme un placement financer, l’achat d’un logement sera donc pris en compte par le calcul de l’IPC. La part du Smic allouée au logement en 1982 étant de 21,3 %, la pondération de l’achat d’un logement sera fixée à 21,3 %. Cette pondération permettra d’augmenter le taux de l’indice des prix. Le revenu optimal étant indexé sur le taux d’inflation, il augmentera au rythme de la hausse des prix du logement. Cette hausse permettra au marché de l’immobilier de fluctuer à nouveau autour de 2,5 fois le RDB des ménages.
La nouvelle « loi du Maximum » donnera au gouvernement les moyens d’intervenir sur le marché locatif. À partir d’arrêtés ministériels, l’État fixera le prix plafond des loyers en s’inspirant de la loi n°48-1 360 du 1er septembre 1948 et de la surface corrigée. Ce tableau présente la valeur locative des logements soumis à la loi de 1948 hors de l’agglomération parisienne[8].
– Source : Décret n° 2013-863 du 26 septembre 2013 modifiant le décret n° 48-1881 du 10 décembre 1948 déterminant les prix de base au mètre carré des locaux d’habitation ou à usage professionnel.
Tous les locaux d’habitation ou à usage professionnel qui relève encore de la loi de septembre 1948 sont soumis à des prix fixés par décret. Par exemple, un logement de 70 m² de catégorie III A soumis à la loi de 1948 est de 161 €. L’objectif n’est pas de revenir à la loi de 1948, mais de s’inspirer d’elle pour réguler le prix des loyers en intégrant la performance énergétique et les émissions de gaz à effet de serre.
Actuellement, moins de 1 % du parc locatif est de classe A, moins de 30 % est de classe B et C et plus de 70 % se situe entre la classe D et G. Pour motiver les propriétaires à investir dans la rénovation, les loyers seront soumis à un tarif dégressif fixé par décrets ministériels en fonction de la performance énergétique du logement. Seuls les propriétaires de logement de classe A auront la liberté de fixer les loyers en fonction de la loi du marché. Lorsque l’appartement sera loué, le loyer pourra être augmenté une fois par an en fonction de l’indice de référence des loyers[9]. Ce tableau propose de fixer la valeur locative d’un logement en fonction de sa classe et de sa surface.
Par exemple, en 2003, un propriétaire souhaite louer un appartement de 35 m² de classe D situé dans le centre de Lille. Avec la « loi du Maximum », comme les 10 premiers m² auraient été à 6,30 € et les 25 m² restants à 3,36 €, il aurait eu le droit de le louer 147 €. En le louant 147 €, le salarié au revenu optimal de 887 € lui aurait consacré 16,6 % de son revenu. Lorsque l’appartement aura été loué, ce propriétaire aura le droit de l’augmenter une fois par an en fonction de l’indice de référence des loyers. L’indice de référence ayant augmenté de 17 % de 2003 à 2013, le montant du loyer de 2013 aurait été de 172 €.
La « loi du Maximum » permettra au salarié qui percevra un revenu optimal d’augmenter son pouvoir d’achat. Sans cette loi, ce même propriétaire aurait eu le droit de louer son appartement 500 €. En payant son loyer 500 €, un salarié au Smic, qui gagne 1 121 € par mois, aurait dû y consacrer 44,6 % de son revenu. Le loyer payé, celui qui travaille 5 jours dispose de 621 €. Grâce à la « loi du Maximum », le loyer de celui qui travaillera 2 jours sera maintenu à 172 €. En payant 172 €, il y consacrera 19,4 % de son revenu. Son loyer payé, il disposera encore de 715 €. L’écart de pouvoir d’achat ne sera donc plus de 234 € en faveur de celui qui travaille 5 jours, mais de 94 € en faveur de celui qui travaillera 2 jours.
La pondération des loyers de l’indice des prix à la consommation (IPC) étant de 6 %, il provoque la stagnation des salaires. Le revenu optimal étant indexé sur le taux d’inflation, pour favoriser sa hausse, la pondération des loyers sera également de 21,3 %. La hausse de 15,3 points de la pondération permettra d’augmenter le taux d’inflation et donc, le revenu optimal.
Étant donné que moins de 1 % du parc immobilier français est de classe A, l’application de la nouvelle « loi du maximum » provoquera une baisse importante des prix de l’immobilier et des loyers. Afin de retrouver la liberté de fixer les prix, les investisseurs privés seront fortement motivés à investir dans la rénovation et la construction de logements à haute performance énergétique. Non seulement, la rénovation des logements permettra la création de milliers d’emplois, mais en plus, elle permettra de réduire le gaspillage d’énergie, les rejets de gaz à effet de serre et donc, de lutter contre le réchauffement climatique.
Au même titre que les loyers et les traites, les dépenses d’eau, de gaz et d’électricité font également partie des dépenses allouées au logement. Une personne qui vit seule consacre en moyenne 87 € par mois à ces dépenses. Ce montant représente 7,8 % du revenu d’un Smicard et 9,8 % du revenu optimal. Étant donné que l’ordonnance de 1986 s’applique à ces services, leurs tarifs sont libres. La privatisation d’EDF – GDF, qui a eu lieu le 9 août 2004, a provoqué une hausse des tarifs de l’électricité et du gaz de 23,9 % et de 62 % de 2005 à 2013[10]. Pour réduire les dépenses allouées au logement de 50,9 %, la « loi du Maximum » s’appliquera également à ces services. Qu’un ménage soit sensible ou pas au réchauffement climatique, il est concerné par ses factures d’eau, de gaz et d’électricité. Pour l’inciter à réduire sa consommation et à rénover son logement, l’État fixera une grille de tarification sur trois niveaux qui augmentera en fonction du niveau d’ostentation de la consommation. La grille de tarification ci-dessous, qui concerne la consommation d’eau, sera adaptée à celle du gaz et de l’électricité.
–Le premier niveau est compris entre 0 et 2 m3 par mois et par personne : tarif fixé par arrêtés ministériels en fonction des régions et des zones géographiques et taux de TVA de 5,5 %.
–Le second niveau est compris entre 2 et 4 m3 par mois et par personne : tarif fixé en fonction des prix du marché et taux de TVA de 10 %. L’objectif de ce niveau est d’inciter l’usager à baisser sa consommation en étant vigilant.
–Le troisième niveau est supérieur à 4 m3 par mois et par personne : tarif ostentatoire fixé en fonction des prix du marché et taux de TVA ostentatoire de 33 %. L’objectif de ce niveau est d’inciter l’usager à prendre conscience de l’ostentation de sa consommation (remplir la piscine, arroser le jardin et laver la voiture chaque semaine, etc…)
Pour obtenir les plafonds des niveaux de consommation d’un ménage, il suffit de multiplier la consommation de référence par le nombre de personnes qui le composent. Le plafond d’un ménage de 4 personnes sera de 8 m3 au premier niveau et sera compris entre 8 et 16 m3 au second. Par exemple, un ménage d’une personne consomme 10 m3 d’eau par mois. Le tarif des 2 premiers m3 sera fixé par arrêtés ministériels et la TVA sera de 5,5 %. Les 2 m3 suivants seront fixés au prix du marché et la TVA sera de 10 %. Le tarif des 6 m3 restant sera fixé au prix du marché et la TVA sera de 33 %. Cette grille de tarification récompensera les ménages économes, pénalisera ceux qui ne sont pas vigilants et dissuadera ceux qui ont une consommation ostentatoire. Afin de réduire leurs factures d’eau, de gaz et d’électricité, les ménages seront davantage motivés à être économes et à effectuer les travaux de rénovation de leur logement. En créant des milliers d’emplois, ces travaux permettront également de lutter contre la hausse du chômage. En récompensant les comportements vertueux et la rénovation, la « loi du Maximum » permettra de réduire le gaspillage d’énergie. En permettant de réduire les rejets de gaz à effet de serre, la réduction de la consommation de gaz et d’électricité contribuera également à lutter contre le réchauffement climatique. En se rapprochant de la classe A et B, le parc immobilier provoquera une baisse de la consommation d’électricité. La somme de ces baisses provoquera une baisse de la production d’électricité qui favorisera la fermeture de centrales nucléaires.
D’une part, en pondérant le logement à hauteur de 21,3 %, en interdisant la spéculation sur le marché immobilier et en appliquant la « loi du Maximum » à ce marché, aux loyers ainsi qu’aux dépenses d’eau, de gaz et d’électricité, et, d’autre part, en fixant le RDB des ménages à 2,5 fois le revenu optimal, le prix plafond à 530 € le m²et le prix au m² en fonction de la classe du logement, il sera possible de réduire la part du revenu optimal allouée au logement de 50,9 %. Ces mesures permettront donc aux ménages de retrouver du pouvoir d’achat en travaillant 2 jours par semaine.
Au même titre que la semaine de 2 jours et l’aménagement du temps de travail, la régulation des prix de l’alimentation et du logement est favorable aux intérêts des entreprises. En votant la « loi du Maximum », l’État permettra au salarié qui percevra un revenu de 887 € de réduire ses dépenses de 40,6 %. Il sécurisera donc la satisfaction des besoins physiologiques sans pénaliser la compétitivité des entreprises. À l’inverse des idées trop largement répandues par les ultralibéraux, contrôler la qualité et réguler le prix des subsistances ne sont pas une utopie. En effet, assurer les subsistances au peuple a longtemps été l’une des responsabilités des Rois et des gouvernants.
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Un historique de la régulation et de la dérégulation des prix des subsistances.
Sous l’ancien régime, l’organisation du commerce des grains était assurée par les marchands. Ils avaient la responsabilité d’approvisionner les villes et les régions qui manquaient de grains avec les surplus de celles qui disposaient d’excédent. Étant donné que les marchands étaient soupçonnés de s’enrichir en manipulant le prix des grains, le peuple se méfiait d’eux et cela, à juste titre. Dans une étude sur les origines de la crise de 1692, le commissaire Nicolas de La Mare faisait remarquer que les marchands pouvaient provoquer une rareté artificielle de l’offre en dissimulant des stocks de grain dans des entrepôts, des péniches ou des bateaux. « Cependant comme il ne faut qu’un prétexte aux marchands mal intentionnez et toujours avides de gain, pour les déterminer à grossir les objects du côté de la disette, ils ne manquèrent pas à profiter de celuy-cy ; on les vit aussi-tost reprendre toutes les allures ordinaires et remettre en usage toutes leurs mauvaises pratiques pour faire renchérir les grains : societez, courses dans les provinces, faux bruits répandus, monopoles par les achats de tous les grains, surenchères dans les marchez, arremens de grains en vert ou dans les granges et les greniers, rétention en magasin ; ainsi tout le commerce se trouva réduit à un certain nombre d’entr’eux qui s’en estoient rendus les maistres. »[12] En stockant les grains dans leurs entrepôts, les marchands avaient les moyens de provoquer une pénurie artificielle de l’offre. Profitant de la disette et donc, d’une demande supérieure à l’offre, ils pouvaient revendre leurs stocks à des prix plus élevés. La spéculation sur le prix des grains et des produits de première nécessité étant considérée comme un crime social, les marchands n’avaient pas le droit de s’enrichir avec le commerce des grains et des subsistances. Pour éviter l’exploitation du peuple, le Roi déléguait à la police la responsabilité de surveiller les marchands, de contrôler la qualité des produits et de réguler les prix des subsistances (pain, bois, viande, cire, foin, etc.).
Afin d’empêcher la fraude et la spéculation, la police soumettait le commerce des grains à une réglementation très stricte. Le marchand devait être enregistré sur des registres. Pour éviter que des personnes aux mœurs douteuses pratiquent ce commerce, avant d’être enregistré, il était soumis à une enquête de moralité. Il devait également déclarer le nom de ses vendeurs, les lieux où il achetait ses grains et l’adresse de ses entrepôts. Celui qui n’était pas inscrit sur les registres ou qui transportait des grains sans justifier son lieu d’achat était considéré comme un brigand. Le marché des grains étant local, l’exploitant devait apporter sa récolte sur le marché le plus proche de son lieu de production. Le commerce des grains étant public, il avait lieu sur les marchés à des heures précises. La priorité étant accordée à la subsistance, les marchands se servaient après la population. Ils avaient le droit d’acheter les surplus de grains, pour les vendre au « juste prix »[13] dans les villes et les régions qui en manquaient. Étant un prix équitable pour l’acheteur et le vendeur, le « juste prix » permettait à chacun d’y trouver son compte.
La doctrine idéologique, qui considère la régulation comme un frein à la liberté et une atteinte à la propriété, est apparue avec les physiocrates au milieu du 18e siècle. Sous l’ancien régime, le seul secteur d’activité capable de créer de la richesse était l’agriculture. Étant donné que le peuple dépendait des grains pour sa subsistance, le commerce des grains n’était pas soumis aux mêmes règles que celui des biens ostentatoires. Tandis que le commerce des grains était régulé par l’État, celui des biens ostentatoires était soumis à la loi du marché. Pour que le commerce des grains permette de s’enrichir, les grains devaient être considérés comme une marchandise à part entière. Les physiocrates défendaient la liberté du commerce des grains en affirmant qu’en laissant faire la loi de « l’offre et de la demande », le prix des grains s’équilibrerait naturellement. En libérant le commerce des grains, il sera donc possible de baisser les prix, d’augmenter les salaires, de garantir un « juste profit », d’éviter les disettes et de renflouer les caisses de l’État.
Croyant sincèrement agir pour le bien du peuple, sous la pression des physiocrates et du parlement, Louis XV signa la déclaration du 25 mai 1763 qui autorisait la liberté du commerce des grains. En se libéralisant, le commerce des grains n’était plus soumis à des règles strictes. Dès lors, la police n’était plus autorisée à intervenir sur les marchés pour contrôler la qualité et réguler les prix. Les enquêtes de moralité et les registres ayant été abrogés, n’importe qui pouvait se déclarer marchand de grains. N’étant plus tenus de déclarer l’adresse de leurs entrepôts, les marchands avaient la possibilité de dissimuler l’état réel de leurs stocks. Les droits de péages ayant été supprimés, les marchands avaient le droit de circuler librement d’une province à l’autre.
Étant donné que les grains étaient devenus une marchandise à part entière, les marchands avaient le droit de réaliser un « juste profit ». Le marché des grains n’étant plus local, l’exploitant agricole était autorisé à les vendre au marchand qui lui proposait le meilleur prix. N’étant plus contraint de se servir après la population, le marchand avait le droit d’acheter la quantité qu’il souhaitait. Étant propriétaire de ses grains, s’il considérait que les prix du marché étaient trop bas, au lieu de les vendre, il pouvait les stocker. Lorsque la disette provoquait une hausse des prix, le marchand avait le droit de vendre ses stocks au « bon prix », c’est à dire, aux plus offrants. La spéculation qui s’en suivit provoqua la hausse vertigineuse des prix du grain et donc, du pain.
Au lieu d’apporter la prospérité, la liberté du commerce des grains provoqua une récession économique, l’endettement de l’État, un chômage massif, la famine et des révoltes. Malgré l’abondance des récoltes, la spéculation provoqua la hausse du prix des grains. Tandis qu’en 1763, il fallait 12,65 livres pour acheter un quintal de blé, en 1770 il en fallait 25[14]. Animés par la cupidité et l’intérêt personnel, les marchands étaient incapables de fixer un prix d’équilibre équitable pour tous. La hausse excessive des prix des grains et du pain provoqua des famines, des révoltes et le désordre dans tout le pays. Pour mettre fin aux émeutes, le 29 août 1770, avec l’approbation du Roi, le parlement de Paris abrogea la loi sur la liberté du commerce des grains[15].
Malgré l’expérience désastreuse de 1763, le 13 septembre 1774, cinq mois après le sacre de Louis XVI, Turgot, qui était un physiocrate, fit adopter un édit sur la libéralisation du commerce des grains[16]. D’avril à mai 1775, la hausse des prix du grain et du pain due à la spéculation provoqua des disettes, des agitations populaires et des émeutes dans tout le pays. « La guerre des farines »[17] prit fin lorsque le Roi organisa les approvisionnements, obligea les marchands à vendre leurs stocks au « juste prix », retira l’édit sur la liberté du commerce des grains et ordonna à Turgot de démissionner le 12 mai 1776.
Malgré les expériences désastreuses de 1763 et de 1774, pour favoriser la prospérité de la France et rétablir les finances de l’État, Louis XVI libéra à nouveau le commerce des grains le 17 juin 1787[18]. Cette libéralisation provoqua, une fois de plus, la hausse des prix du grain et du pain. Sous l’ancien régime, le Roi avait le devoir de garantir la subsistance et d’éviter que le peuple soit victime de la spéculation. S’il ne remplissait pas sa mission, le peuple n’était plus tenu de lui obéir. Cette nouvelle libéralisation jeta, une fois de plus, le discrédit sur le régime en place et la capacité du Roi à protéger ses sujets. Étant donné que le Roi ne remplissait plus sa mission, il était suspecté d’œuvrer contre les intérêts du peuple. Les disettes, les famines et les émeutes de la faim qui se succédèrent ont préparé le terrain de la Révolution.
Malgré l’influence grandissante de la bourgeoisie, si Louis XVI n’avait pas rétabli la liberté du commerce des grains, elle n’aurait pas pu instrumentaliser le mécontentement populaire pour prendre le pouvoir. En effet, ce ne sont pas des considérations politiques et les idées des Lumières qui ont provoqué les insurrections populaires, mais la hausse des prix du pain. Tandis qu’en 1787, il fallait 18,8 livres pour acheter un quintal de blé, en 1789, il en fallait 29[19]. Les premières victimes de la hausse des prix du pain furent les ouvriers et les artisans des villes. Le repas de l’ouvrier était, pour l’essentiel, composé d’une miche de pain de 1 kg qui coûtait 4 sous en 1750. Entre 1787 et 1789, le prix du pain a augmenté de 75 %. À la veille de la révolution, la miche coûtait 14 sous. Étant donné que l’ouvrier gagnait entre 10 et 20 sous par jour quand il travaillait, il n’avait plus les moyens d’assurer sa subsistance et celle de sa famille. Les émeutes de la faim et les revendications portant sur la baisse des prix du pain ont abouti à la révolution du 14 juillet 1789. Paradoxalement, ce n’est pas contre l’autorité du Roi que le peuple aurait dû se soulever, mais contre la grande bourgeoisie, les milieux d’affaires, les marchands et les gros fermiers qui s’enrichissaient en spéculant sur le prix des grains.
La Révolution française ne mit pas fin à la liberté du commerce des grains. Au contraire, en s’emparant du pouvoir politique, la bourgeoisie fit voter le décret sur la liberté du commerce du 29 août 1789 et la loi martiale du 21 octobre 1789. Ce décret et cette loi interdisaient toutes actions populaires pour la régulation des prix. De 1791 à 1792, le prix d’un quintal de blé est passé de 21,5 à 28,4 livres[20]. Il faudra attendre la Révolution populaire du 10 mai 1792 pour que la loi régule le commerce des grains et encadre le prix des subsistances. Confrontée à des révoltes, le 27 septembre 1792, la convention girondine autorisa la taxation des grains. Le 4 mai 1793, contrainte par la pression de la rue, elle vota la « loi du Maximum »[21]. Malgré la loi, les prix ne cessaient d’augmenter. Étant pour la liberté du commerce, les Girondins n’étaient pas motivés à faire appliquer cette loi qui leur avait été arrachée par la force. À cause de la hausse des prix, des révoltes populaires se propageaient dans tout le pays. La révolte du 31 mai 1973 provoqua la chute des Girondins qui furent remplacés par les Montagnards le 2 juin 1793.
Le 26 juillet 1793, la convention montagnarde vota un décret contre les accapareurs de denrées et de marchandises de première nécessité. Les commerçants et les grossistes qui vendaient des denrées destinées aux subsistances étaient tenus de se déclarer à la municipalité et d’afficher l’état de leurs stocks. Le 27 juillet 1793, la convention vota la peine de mort pour les accapareurs. C’est-à-dire ceux qui stockaient des denrées pour s’enrichir en spéculant sur les prix[22]. Cette loi permettait aux commissaires chargés de faire respecter la loi de confisquer les biens des contrevenants et de les condamner à mort. Le 29 septembre 1793, sous la pression du peuple et avec l’appui de Robespierre, la convention vota la « loi du maximum général »[23]. Cette loi étendit la « loi du Maximum » aux denrées et aux produits de première nécessitée (viande, beurre, huile, sel, sucre, poisson, savon, bois, charbon, cuir, fer, cuivre, laine, étoffes, etc.). Désormais, le prix des denrées était fixé par les autorités départementales. Les commerçants qui vendaient au-delà du maximum pouvaient être frappés d’une amende et voir leurs noms inscrits sur la liste des suspects. C’est à dire, qu’ils pouvaient être condamnés à mort. Ce ne fut pas une révolte populaire, mais un complot qui renversa les Montagnards le 9 thermidors 1794 (27 juillet). Le 24 décembre 1794, la convention thermidorienne abrogea la « loi du maximum général ». Le rétablissement de la liberté du commerce des grains provoqua, à nouveau, la famine et des émeutes. Au lieu de réguler les prix ou d’augmenter les salaires, la bourgeoisie proposa d’augmenter le temps de travail. Pour assurer leur subsistance, non seulement, les ouvriers ont dû travailler davantage, mais en plus, ils ont dû faire travailler leurs femmes et leurs enfants.
Au même titre que les physiocrates, les ultralibéraux prétendent agir au nom de la raison, de la liberté et des lois naturelles. À la différence des physiocrates, ils ne se contentent pas de libérer le commerce des grains pour s’enrichir. De 1945 à 1986, les prix étaient régulés par l’Ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945. À cause de cette ordonnance, les prix ne pouvaient pas être fixés librement. À partir des années 80, l’organisation internationale du commerce, la commission européenne et le gouvernement français ont conclu des accords et voté des lois qui ont libéralisé le commerce de tous les biens et services. Les accords du GATT, qui se sont conclus en 1986 par l’Uruguay Round, ont permis de baisser les tarifs douaniers et de limiter les restrictions quantitatives et qualitatives aux échanges. L’acte unique européen du 28 février 1986 ouvrit les marchés intérieurs à la libre concurrence : art 16-4 : « Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée […]. En abrogeant l’Ordonnance de 1945, l’Ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 libéra les prix. Le traité de Maastricht a permis de libérer les marchés de l’éducation, de la santé, des transports, des services, de l’eau, du gaz, de l’électricité, etc. La dérégulation ne s’applique pas qu’aux biens et services, elle concerne également le secteur bancaire et les marchés financiers. La mise en œuvre de la doctrine ultralibérale a aboutis aux mêmes résultats que celle des physiocrates : la hausse des prix de l’alimentation et du logement, la hausse du chômage et de la précarité, l’endettement des États (États-Unis, Grèce, etc.), la révolte des peuples (Grèce, Espagne, etc.) et la montée de l’extrême droite (France, Hongrie, etc.). La liberté du commerce ne profite qu’à une petite minorité qui s’enrichit au détriment de la majorité. Depuis 1980, l’écart de revenu entre les plus riches et les plus pauvres n’a cessé de se creuser. En 2013, 85 personnes possédaient autant que 3,5 milliards d’êtres humains.
Je tiens à mettre en face de leurs contradictions les ultralibéraux, ainsi que les libertariens qui prônent la liberté individuelle et la propriété de soi. Être libre, autonome et propriétaire de soi, nécessite de pouvoir choisir son mode de vie et le sens que l’on souhaite donner à sa vie. Pour que chacun ait ce choix, la loi doit garantir la possibilité de choisir entre « travailler plus pour gagner plus » ou travailler 2 jours par semaine pour un salaire compris entre 695 € et 1 020 € par mois. Si ces conditions ne sont pas remplies, le concept de liberté défendu par les ultralibéraux et les libertariens n’a qu’un seul objectif : défendre la propriété privée, la soi-disant loi du marché et le pouvoir temporel de l’argent et légitimer leur autorité et l’ordre économique.
Au nom de la liberté individuelle, un ultralibéral pourrait objecter que le choix de travailler 2 jours par semaine devrait être le résultat d’une négociation, d’un accord et de la signature d’un contrat entre le salarié et son employeur. Pour ne pas se laisser piéger par ce discours idéologique, il est nécessaire de s’intéresser aux réalités économiques et sociales. Une négociation peut avoir lieu sur une base libre et non faussée si les deux parties en présence sont de force égale. Si l’un des deux est dépendant de l’autre, il ne peut pas y avoir d’accord libre. La France comprend plus de 7 millions d’actifs sans emploi et à temps partiel subi. Tant que le taux de chômage sera élevé, le rapport de force sera en faveur de l’employeur. À cause de la peur du chômage, ce choix ne peut pas relever d’une négociation individuelle. Étant donné que ce choix serait interprété comme un signe de retrait et de démotivation, le salarié qui solliciterait l’autorisation de travailler 2 jours risquerait de perdre son emploi au profit d’un autre qui ne compterait pas ses heures.
Même s’il obtient satisfaction, en travaillant moins, il gagnera moins. Étant donné que les prix de l’alimentation et du logement sont dérégulés, il sera confronté à une hausse des prix avec un revenu en baisse. Le salarié, qui a une femme, des enfants et les traites de sa maison à rembourser, n’a donc pas la liberté de faire ce choix. Cette prise de risque inconsidérée serait totalement irresponsable. Seul un rentier, qui dispose d’un patrimoine important, ainsi qu’un célibataire ou un couple sans enfants qui n’a pas de traites et de crédits à rembourser, a la possibilité de prendre ce risque.
Dès lors, la réduction de la semaine de travail à 2 jours doit être légalisée par la loi. C’est donc à l’État que revient la responsabilité de fixer le cadre légal de la négociation entre le salarié et l’employeur. La norme étant fixée à 2 jours, le salarié qui souhaitera travailler plus aura la liberté et le droit de le négocier avec son employeur. Pour que le revenu optimal soit viable, une distinction doit à nouveau être faite entre les biens et services essentiels et ceux qui sont ostentatoires. Au nom de la liberté, les prix de ceux qui sont ostentatoires, c’est-à-dire destinés à satisfaire les besoins d’appartenance, d’estime et de réalisation, doivent être soumis à la loi du marché. En revanche, les prix de ceux qui sont destinés aux besoins essentiels doivent être régulés par la loi. En s’inspirant de l’ancien régime, de la « loi du maximum général » et de l’Ordonnance du 30 juin 1945, les gouvernements auront le devoir et la responsabilité de voter la nouvelle « loi du Maximum ».
Au même titre que la réduction de la durée légale de la semaine de travail à 2 jours, le revenu optimal de 695 € par mois et la « loi du Maximum » ne sont pas des choix économiques, mais des choix de société. En effet, en associant ces droits, il sera possible de procurer à chaque individu une sécurité et une stabilité matérielle indispensable à l’expérimentation de nouvelles pratiques quotidiennes et donc, de nouveaux modes de vie individuels et collectifs.
Jean-Christophe Giuliani
Cet article est extrait de l’ouvrage « Satisfaire nos besoins : un choix de société ! ». Ce livre permet d’appréhender que le choix du rapport au temps et des moyens utilisés pour satisfaire nos besoins n’est pas un choix économique, mais un choix de société dont dépend la survie et l’avenir de l’humanité. Vous pouvez le commander sur le site des Éditions du Net sous un format ePub ou Papier.
Pour accéder aux pages suivantes :
– La réduction du temps de travail : un choix de société !
– Disposer de 4 jours de temps libre par semaine : un choix de société !
1] Wasserstiftung fondation, L’eau : Chiffres et faits, [En ligne] (consulté le 10 octobre 2011), http://www.wasserstiftung.de/fr/wasserfakten.html
2] Le journal du net, 6e, les boissons sans alcool : +75 références en dix ans, [En ligne] (consulté le 10 octobre 2011), http://www.journaldunet.com/economie/distribution/les-references-en-hypermarche/boissons-sans-alcool.shtml
3] Insee, SM01 : salaire minimum pour 35 heures hebdomadaires (en euros courants), Op.Cit.
4] Ministère de la transition écologique et solidaire, Le diagnostic de performance énergétique, [En ligne] (consulté le 4 décembre 2018), https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/diagnostic-performance-energetique-dpe
5] Commissariat général au développement durable, Chiffres et statistiques : Parc de logement en France métropolitaine, en 2012, [En ligne] (consulté le 22 novembre 2015), http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/CS534_cle099a94.pdf
6] Légifrance, Loi n° 48-1360 du 1 septembre 1948, [En ligne] (consulté le 15 mars 2017), https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000879802
[7] Légifrance, Décret n° 48-1766 du 22 novembre 1948 fixant les conditions de détermination de la surface corrigée des locaux d’habitation ou à usage professionnel,[En ligne], (consulté le 18 mai 2016), https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000495766&categorieLien=cid
8] Service public.fr, Quel est le régime d’une location soumise à la loi de 1948 ?, [En ligne] (consulté le 8 mars 2015), http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/F1219.xhtml
9] Insee, Indice de référence des loyers (IRL) Base 1998, Op.Cit.
[10] Fournisseur electricité.com, Evolution des prix de l’énergie, [En ligne] (consulté le 28 novembre 2015), http://www.fournisseurs-electricite.com/evolution-des-prix-de-lelectricite
12] Mathiez Albert, La vie chère et le mouvement social sous la terreur tome 1, Paris, Payot, 1973, page 9.
[13] Nicolas de La Mare. Traité de police. Paris, 1729 ( seconde édition ), II, p.886. Cité dans S. L . Kaplan. Le pain, le peuple, le Roi. La bataille du libéralisme sous Luois XV. Paris : Perrin,1986.Pp ; 53 -54.
[14] Le « juste prix » était fondé sur un idéal de modération qui peut se résumer ainsi : pour être équitable, les prix ne devaient ni mécontenter les marchands ni léser les consommateurs. Un prix était jugé « juste » quand le marchand se réservait un bénéfice modeste et que la masse la plus fragile de la population qui vivait dans un état de pauvreté n’en pâtissait pas excessivement, c’est-à-dire qu’elle pouvait accéder aux subsistances.
[15] Fourastié Jean, (consulté le 12 septembre 2015), Présentation des statistiques des prix, la théorie des prix selon Jean Fourastié, [En ligne]. Adresse URL : http://www.fourastie-sauvy.org/images/stories/pdf/prix%20du%20ble.pdf
[16] Jean Baptiste Joseph Pailliet, Dictionnaire universel de droit français : tome premier, Paris, Tournachon-Molin, 1825, page 185
[17] Wikipédia, (consulté le 11 mars 2014), Libération du commerce des grains sous l’Ancien Régime, [En ligne]. Adresse URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/Lib%C3%A9ralisation_du_commerce_des_grains_sous_l%27Ancien_R%C3%A9gime
[18] Wikipédia, (consulté le 11 mars 2014), Guerre des farines, [En ligne]. Adresse URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_des_farines
[19] Louis XVI, Déclaration du roi, pour la liberté du commerce des grains. Donnée à Versailles le 17 juin 1787. Registrée en parlement le vingt-cinq juin mille sept cent quatre-vingt-sept, Paris, N H Nyon, 1787.
[20] Fourastié Jean, Op cit.
[21] Fourastié Jean, Op cit.
[22] Wikipédia (consulté le jeudi 6 mars 2014), Loi du maximum général, [En ligne]. Adresse URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_du_maximum_g%C3%A9n%C3%A9ral
[23] Mathiez Albert, La vie chère et le mouvement social sous la terreur tome 1, Paris, Payot, 1973, page 244.
[24] Mathiez Albert, La vie chère et le mouvement social sous la terreur tome 2, Paris, Payot, 1973, page 17.