La satisfaction du besoin d’appartenance[1] est indispensable au développement de l’individu.
L’appartenance à un groupe ou à une communauté lui procure les moyens d’obtenir de l’affection et de l’amour, ainsi que les moyens de s’exprimer, d’être écouté, d’être soutenu, d’avoir une place et un rôle à jouer, de structurer son identité et de recevoir la preuve de sa propre existence. Les groupes qui permettent de satisfaire ce besoin sont nombreux : une famille, une entreprise, une communauté religieuse, un parti politique, une association, un club, une bande de jeunes, etc… Le succès des réseaux sociaux, et notamment de Facebook, repose en partie sur le besoin d’appartenir à une communauté, qu’elle soit réelle ou virtuelle.
Sous l’ancien régime, l’appartenance à une communauté religieuse (catholique, protestante, juive, etc…) était la condition de l’intégration sociale. En ne respectant pas les rituels et les règles inscrites dans le livre (Bible, Thora, etc…) ou en n’obéissant pas aux chefs religieux (Prêtre, Rabbin, etc…), l’individu risquait l’excommunication. Étant excommunié, il était séparé de sa famille, de ses amis et de sa communauté d’appartenance, déchu de son identité sociale et condamné à l’enfer. Pour se réinsérer, il devait reconstruire des liens sociaux et réinventer son identité et sa vie en dehors de sa communauté d’origine.
Dans les pays industrialisés, l’appartenance à une communauté professionnelle est la condition de l’intégration sociale de l’individu. Puisque celui qui n’a pas d’emploi a beaucoup de difficulté à trouver sa place dans la société et à structurer son identité, au même titre que l’excommunication, le licenciement peut aboutir à une situation d’exclusion sociale. Pour se réintégrer socialement, le chômeur est donc fortement motivé à en retrouver un.
Lorsque le besoin d’appartenance n’est pas satisfait, l’individu peut ressentir une dépendance ou un attachement excessif qui peut engendrer une perte d’autonomie. Comme le fait remarquer Henri Laborit, le souhait de s’intégrer à un groupe ne favorise pas forcément la liberté de penser.
« Il lui est généralement interdit de faire fonctionner son imagination s’il veut bénéficier de la sécurisation apportée par l’appartenance au groupe et éviter de se faire traiter d’anarchiste, de gauchiste, voire même d’utopiste. Il lui faut faire allégeance aux leaders, aux pères inspirés, aux hommes providentiels, aux chefs responsables. Même dans la contestation des structures hiérarchiques de dominance, il doit encore s’inscrire dans une structure hiérarchique de dominance. Il existe un conformisme révolutionnaire comme il existe un conformisme conservateur. »[2]
Afin d’intégrer un groupe et ne pas en être exclu, l’individu peut renoncer à son autonomie et à son libre arbitre pour se conformer aux idées, aux valeurs et aux attentes de son groupe d’appartenance. Même si ce besoin est nécessaire à son développement, son émancipation et son évolution psychologique nécessitent qu’il apprenne à s’en détacher pour se forger un socle identitaire qui lui est propre.
Un individu a plus de facilité à se détacher d’un groupe dont il est membre que d’un groupe qu’il cherche à intégrer ou qui le rejette. Tant qu’il ne se sent pas intégré, la peur du rejet et de la solitude le motive, d’une part, à refouler ses aspirations et ses convictions pour se conformer aux normes et aux valeurs du groupe, et, d’autre part, à délaisser le « je » individuel pour le « nous » collectif. Avant d’accéder à plus d’autonomie et de liberté vis-à-vis du groupe, il doit donc y être intégré et y tenir sa place. S’il ne se sent pas accueilli par sa propre famille, l’enfant, l’adolescent ou l’adulte aura plus de difficulté à se détacher des valeurs et des règles qu’elle cherche à lui imposer. Ce qui est vrai pour la famille l’est également pour l’entreprise.
Avant la crise de 1973, comme le taux de chômage était seulement de 2,7 %[3], les salariés avaient moins de difficultés à retrouver un emploi lorsqu’ils démissionnaient ou qu’ils étaient licenciés. Ayant la possibilité d’effectuer leurs carrières au sein de la même entreprise, ils percevaient l’activité professionnelle comme une contrainte et un simple moyen de gagner sa vie. N’ayant pas peur de perdre leur emploi, ils étaient moins soumis, mais, surtout, plus autonomes, critiques et libres vis-à-vis de la valeur du travail.
De 1973 à 2013, le taux de chômage est passé de 2,7 % à 9,7 %. De 1982 à 2013, le taux de salariés en CDI est passé de 77,4 % à 45,1 %, en CDD de 11,6 % à 28,4 % et en intérim de 1,2 % à 5,9 %[4]. À cause de la hausse du chômage et de la précarité, non seulement le travail est redevenu une « valeur » dominante, mais surtout, les salariés se soumettent plus docilement aux exigences des employeurs pour obtenir un emploi en CDI et le préserver. En limitant l’accès au CDI, les entreprises ont donc renforcé la dépendance et la soumission des salariés.
Lorsque le besoin d’appartenance est satisfait, la volonté d’affirmer sa singularité et de se distinguer des autres émerge davantage dans la conscience de l’individu.
Jean-Christophe Giuliani
Cet article est extrait de l’ouvrage « Satisfaire nos besoins : un choix de société ! ». Ce livre permet d’appréhender que le choix du rapport au temps et des moyens utilisés pour satisfaire nos besoins n’est pas un choix économique, mais un choix de société dont dépend la survie et l’avenir de l’humanité.
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Pour accéder aux pages suivantes :
– Besoin de réalisation de soi
Étudier les besoins en lien avec l’activité professionnelle
– Appartenir à une entreprise, un privilège
Étudier les besoins en lien avec la consommation
[1] Maslow Abraham H, Vers une psychologie de l’être : L’expérience psychique, Paris, Arthème Fayard, 1972, page 228.
[2] Laborit Henri, Eloge de la Fuite, Paris, Robert Laffont, 1974., page 123.
[3] Insee, T306, chômage et taux de chômage au sens du Bureau International du Travail (BIT) selon l’ancienne définition, par sexe et âge regroupé, en fin de trimestre, [En ligne] (consulté le 25 février 2017), https://www.insee.fr/fr/statistiques/1406679?sommaire=1406870
[4] Insee, T402: Formes particulières d’emploi et parts dans l’emploi, par sexe et âge regroupé, en moyenne annuelle, [En ligne] (consulté le 17 février 2017), https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/2388205/irsoceec15_t402.xls