La croissance du PIB menacerait-elle la biodiversité ?

Jean-Christophe Giuliani

Les ressources biologiques comprennent l’ensemble des espèces vivantes de la planète. Étant donné qu’elles peuvent se reproduire sur une ou plusieurs générations, à l’inverse des matières premières, les forêts et la biodiversité sont renouvelables sous certaines conditions.

  • La croissance provoquerait-elle la déforestation ?

Les forêts ont de multiples fonctions : fournir du bois (chauffage, énergie, construction, meubles, outils, armes, papiers, etc…), absorber le CO2 et préserver la biodiversité, qui contribuent au développement, au confort matériel, à la qualité de vie et à la survie de l’humanité. Afin de les protéger, il est nécessaire d’identifier les pays qui contribuent à la déforestation. Le graphique ci-dessous présente l’évolution des surfaces forestières mondiales en ha/an de 2005 à 2010.

–  Source : FAO key findings (2010)[45]

Ce graphique présente l’état de la déforestation et de la reforestation mondial. Entre 2005 et 2010, tandis que les surfaces forestières de l’hémisphère Sud se réduisaient de 50 000 à 500 000 ha/an, celles de l’hémisphère Nord augmentaient au même rythme. Les pays concernés par une déforestation comprise entre 250 000 et 500 000 ha/an sont le Venezuela, la Bolivie, le Nigeria, la RD du Congo, la Tanzanie, le Zimbabwe et la Birmanie. Ceux qui en ont une supérieure à 500 000 ha/an sont le Brésil, l’Indonésie et l’Australie. La déforestation est provoquée par des incendies accidentels ou criminels, la surexploitation des bois tropicaux, la production de papiers et d’emballages en carton, ainsi que par la culture du soja pour nourrir le bétail et du colza pour produire des biocarburants. En Indonésie, des incendies criminels favorisent la plantation de palmeraies qui produiront de l’huile de palme. Au rythme de la déforestation actuelle, dans moins de 50 ans un tiers de la surface forestière mondiale aura disparu. Puisqu’elles abritent plus de 50 % des espèces animales et végétales, la surexploitation des forêts primaires d’Afrique et d’Amérique latine accélère la disparition de la biodiversité. Comme ces forêts absorbent le CO2, la surexploitation accélère l’effet de serre et donc, le réchauffement du climat. En provoquant l’érosion des sols, des inondations et la désertification, la déforestation de l’hémisphère Sud entretient le cercle vicieux de la pauvreté et des famines.

En ce qui concerne les surfaces forestières de l’hémisphère nord, elles stagnent ou ne cessent d’augmenter dans certains pays. Dans les pays industrialisés, ce n’est pas la surexploitation, mais l’augmentation des pluies acides qui les menaces. À partir de 1998, la Chine, qui est le pays qui rejette le plus de CO2, a mis en œuvre une politique de reforestation qui lui a permis de dépasser 500 000 ha/an en 2010. Ce n’est pas le respect de l’environnement qui l’a motivé à reboiser, mais de graves problèmes d’érosion des sols, d’inondations et de désertification.

Qu’elle soit manufacturière ou agroalimentaire, la croissance de l’industrie nécessite toujours plus de bois, d’huile de palme, de soja, de colza, etc… Puisque la croissance du PIB accélère la déforestation, qui a des répercussions sur le climat, l’environnement et la biodiversité, elle n’apparaît toujours pas comme une solution pour créer des emplois. Comme les forêts abritent plus de 50 % des espèces animales et végétales, la déforestation a également un impact sur la biodiversité.

  • La croissance provoquerait-elle la disparition de la biodiversité ?

La biodiversité est assurée par des millions d’espèces de plantes, de mammifères, de reptiles, d’oiseaux, de poissons, d’amphibiens, de mollusques, d’insectes et de crustacés. Étant donné que ces espèces peuvent se reproduire sur une ou plusieurs générations, ces stocks sont renouvelables sous certaines conditions : s’ils ne sont pas surexploités, si la diversité des espèces est favorisée, si le climat ne change pas brutalement, si la qualité des ressources naturelles n’est pas trop détériorée et si les habitats naturels ne sont pas détruits. Le tableau ci-dessous présente l’estimation du nombre d’espèces menacées d’extinction et d’espèces disparues au niveau mondial.

–  Source : union internationale pour la conservation de la nature (UICN) Liste rouge de l’UICN des espèces menacées[46].

La liste rouge de l’union internationale pour la conservation de la nature (UICN) montre qu’au niveau mondial, sur toutes les espèces menacées inventoriées 85 mammifères, 161 oiseaux, 29 reptiles, 35 amphibiens, 70 poissons, 397 invertébrés (mollusques, crustacés et insectes) et 151 plantes ont disparu en 2016. L’accélération du rythme des extinctions n’est pas provoquée par des phénomènes naturels, mais par l’activité humaine. Avant l’apparition de l’Homo sapiens, ce rythme était d’une espèce par million et par an. Depuis son apparition, ce rythme ne cesse de s’accélérer pour atteindre plus de cent, voire mille espèces par million et par an. Si rien n’est fait, des dizaines de milliers d’espèces risquent de disparaître d’ici 25 ans.

L’accélération de l’extinction des espèces est due à la surpopulation, à la surexploitation économique des forêts et des mers, à l’agriculture et à l’élevage intensif, au réchauffement du climat et à la pollution des ressources naturelles. Puisqu’une grande partie de la biodiversité se développe sous les arbres, la déforestation massive de forêts primaires apparaît comme l’une des principales causes de l’extinction des espèces. Les forages pétroliers, le dégazage des bateaux et l’enfouissement de déchets toxiques et radioactifs contribuent à détériorer l’état des océans. La surexploitation de la pêche et la pollution des côtes provoquent le ralentissement, voire l’arrêt de la reproduction et donc, la disparition de plus de 50 % des espèces connues de poissons qui se reproduisent le long des côtes. À terme, si ce processus se poursuit, les réserves de poissons, dont dépend l’alimentation de millions d’êtres humains, risquent de disparaître. En sélectionnant les plantes à cultiver et les animaux d’élevage, l’industrie agroalimentaire contribue également à la disparition des espèces. En se limitant à douze sortes de plantes et en favorisant cinq races d’animaux (vache laitière Prim’Holstein, porc Large White, chèvres Saanen, moutons Mérinos et poules pondeuses Leghorn blanche)[47], l’agriculture et l’élevage intensifs contribuent à la disparition de la biodiversité et à l’appauvrissement de notre alimentation. En 1999, la FAO a estimé que 75 % des espèces cultivées avaient disparu en un siècle.

Vouloir préserver la biodiversité ne relève pas de la lubie d’écologistes et d’amoureux de la nature. En effet, en provoquant la disparition de la biodiversité, l’Homme contribue à sa propre extinction. Même si l’état des recherches actuelles ne permet pas d’en évaluer les conséquences, la disparition de la biodiversité aura des effets incalculables et irréversibles sur notre condition de vie. Étant donné que la nature peut se passer de la présence de l’Homme, si à court et moyen terme, la surexploitation économique provoquait la disparition de l’espèce humaine, à long terme, la vie reprendrait le dessus. Ce n’est donc pas la nature qui est concernée par la préservation de la biodiversité, mais l’espèce humaine. Au nom de sa qualité de vie et de sa survie, l’Homme doit donc veiller à préserver son environnement naturel et à protéger la biodiversité.

  • La croissance menacerait-elle la biocapacité de la planète ?

L’agriculture et l’élevage intensif, l’industrialisation, les transports routiers et maritimes, la société de consommation et le mode de vie matérialistes des pays industrialisés, qui contribuent à la croissance du PIB, provoquent le réchauffement du climat, la désertification des sols, l’asphyxie de la planète, le gaspillage des eaux utiles, ainsi que la disparition des forêts et de la biodiversité. La croissance sera possible tant que la biocapacité de la planète ne sera pas épuisée. Autrement dit, la croissance sera viable pour l’espèce humaine tant que la nature sera capable d’absorber les conséquences de son exploitation et que ses capacités d’absorption ne seront pas épuisées.

Trois indicateurs permettent de calculer l’impact de l’activité humaine sur l’environnement. La biocapacité mesure la capacité de l’écosystème à supporter durablement notre mode de vie. L’empreinte écologique mesure le nombre de planètes nécessaires pour assurer le mode de vie d’un individu, d’un pays ou de la population mondiale. L’indicateur d’équivalent carbone calcule la capacité d’absorption qui ne menace pas la biocapacité de la planète. En combinant ces trois indicateurs, il est possible de matérialiser l’impact du développement économique. Le graphique ci-dessous montre l’empreinte écologique et la biocapacité par région du monde en 2008.

–  Source : Rapport Planète Vivante 2012 de WWF[48]

De 1961 à 2008, l’empreinte écologique est passée de 0,6 à 2,7 hectares par habitant (hag/hab) et la biocapacité mondiale disponible par personne de 3,2 à 1,8  (hag/hab). Sur 47 ans, tandis que l’empreinte augmentait de 2,1 hag/hab, la biocapacité diminuait de 1,4 hag/hab. Désormais, chaque être humain ne dispose plus que de 1,8 hectare pour assurer sa survie. Si en 1961, il fallait 0,6 planète pour assurer la survie de l’humanité, en 2008 il en faut 2,7. Le problème, c’est que nous n’en avons qu’une seule. Afin de la réduire, il apparaît nécessaire de commencer par identifier les régions du monde qui ont l’empreinte la plus élevée. En 2008, celles qui avaient la plus élevée étaient l’Amérique du Nord (7,1 hag/hab) et l’Union européenne (4,7 hag/hab). Avec 14,7 hag/hab, le Luxembourg, dont les principales activités économiques sont la finance et l’optimisation fiscale (LuxLeaks), détient l’empreinte la plus élevée au monde. Ces régions, qui comprennent 12,4 % de la population mondiale, ont donc déjà très largement dépassé les capacités d’absorption de leurs territoires. Si tous les habitants de la planète souhaitaient vivre comme un Européen, il faudrait 4 planètes pour assurer ce mode de vie matérialiste. Il en faudrait 7, s’ils souhaitaient vivre comme un Américain du Nord et 14 comme un Luxembourgeois.

L’empreinte écologique de l’Asie Pacifique (Inde, Chine, Indonésie, etc…) et de l’Afrique, qui représentent à eux deux 69,8 % de la population mondiale, était de 1,6 et de 1,45 hag/hab. Si les deux régions les plus peuplées atteignaient la biocapacité de leur territoire, l’empreinte mondiale risquerait d’atteindre plus de 3 planètes. En ce qui concerne les autres pays européens, l’Amérique Latine, le Moyen Orient et l’Asie Centrale, qui comprennent 17,9 % de la population mondiale, ils ont désormais un déficit compris entre 0,7 et 2,2 hag/hab. Tandis qu’en 2003, ces régions du monde n’avaient pas encore dépassé leur biocapacité, en 2008, à cause de la surpopulation et du développement économique, elles les ont épuisées. Avec une empreinte écologique de 11,7 hag/hab, le pays du Moyen Orient qui se distingue une fois de plus est le Qatar.

Le GIEC a calculé que la capacité d’absorption de l’écosystème de la planète était de 3 000 milliards de tonnes d’équivalents carbone par an. En fonction de la population mondiale, cet indice permet de calculer le nombre de kg de carbone qu’un individu peut consommer par an sans aggraver son impact sur l’environnement. Afin d’éviter les catastrophes écologiques et climatiques annoncées, il existe donc deux options : limiter la consommation d’équivalent carbone ou limiter la population mondiale. La première option consiste à limiter la consommation d’équivalent carbone de chaque habitant de la planète. Étant donné qu’en 2013, la population mondiale comprenait 7,1 milliards de personnes, pour ne pas dépasser 3 000 milliards de tonnes par an, le nombre de kg de carbone par habitant devra être limité à 420 kg. L’empreinte carbone des Européens et des Américains du Nord étant comprise entre 2 000 et 4 500 kg, c’est à la population de ces pays que revient le devoir et la responsabilité de tendre volontairement et dans un délai de moins de 10 ans, vers un mode de vie plus sobre, tel que la « Simplicité volontaire »[49] ou la « Sobriété heureuse »[50].

La seconde option consiste à limiter la population mondiale. Si le mode de vie matérialiste des pays occidentaux n’est toujours pas négociable et que la population mondiale souhaite consommer comme un Européen ou un Américain, il faudrait la limiter à 1,5 milliard ou à 666 millions d’habitants. En fonction de ce choix, il sera nécessaire de supprimer rapidement un surplus de populations compris entre 5,6 ou 6,5 milliards de personnes. Puisqu’aucun chef d’État ou être humain sain d’esprit n’aurait l’idée et la volonté d’exterminer plus de 5,5 milliards d’individus, cette option relève de la science-fiction ou de la théorie du complot. La disparition de plus de 5 milliards d’habitants, voire l’extinction de l’espèce humaine à moyen terme, ne proviendra donc pas d’une extermination rapide et brutale, mais d’une dégradation lente, progressive et continue des conditions de vie des générations présentes et à venir de l’ensemble de la planète. Cette dégradation concernera d’abord les populations les plus pauvres des pays émergents, pour s’étendre ensuite aux classes populaires et moyennes des pays industrialisés. Ce processus, qui est déjà en marche, s’amplifiera au rythme des phénomènes météorologiques extrêmes, ainsi que de l’épuisement des matières premières et des ressources naturelles. Les guerres, pour le contrôle des stocks restants d’énergies fossiles, de minerais, d’eaux utiles, de terres arables encore cultivables et de zones géographiques viables d’un point de vue climatique, ne feront qu’accélérer ce processus.

Une croissance du PIB illimitée dans un monde aux ressources limitées n’est pas viable. Si le choix de soutenir un taux de 5,5 % par an pendant 5 ans était tout de même retenu, à court terme elle contribuerait au réchauffement du climat, à l’épuisement des stocks d’énergies fossiles et de minerais, à la pollution de l’eau, de l’air et des sols et à la disparition de la biodiversité dont dépend le développement économique et la survie de l’humanité à moyen et long terme. Ce choix, qui va à l’encontre de toutes les lois de la science, de la physique, de l’économie, de la nature et de la raison, n’a d’intérêt que pour une petite poignée de fanatiques idéologiques, de malades mentaux et d’irresponsables qui ne s’intéressent qu’au pouvoir et à leurs petits profits à court terme.

Au lieu d’utiliser les gains de productivité pour innover et développer de nouveaux secteurs d’activités, l’heure est donc venue de les utiliser pour réduire le temps de travail. La réduction du temps de travail apparaît désormais comme la seule solution envisageable pour, d’une part, en finir avec le chômage des 7 millions d’actifs sans emploi, et, d’autre part, favoriser un mode de vie plus sobre en moins de 10 ans. Ce choix n’apparaît donc pas comme un choix économique, mais comme un choix de société dont dépendent la survie et l’avenir de l’humanité.

Jean-Christophe Giuliani

 

Cet article est extrait de l’ouvrage « En finir avec le chômage : un choix de société ! ». Ce livre permet d’appréhender les enjeux du choix entre la relance de la croissance du PIB ou de la réduction du temps de travail. Vous pouvez le commander sur le site des Éditions du Net sous un format ePub ou Papier.


Pour accéder aux pages suivantes :

– La croissance du PIB serait-elle responsable du réchauffement climatique ?

– La croissance du PIB épuiserait-elle les stocks de matières premières ?

– La croissance du PIB épuiserait-elle les ressources naturelles ?

– La croissance du PIB banaliserait-elle le mal ?

 


[45] WWF, Zero déforestation, [En ligne]. (consulté le 29 décembre 2016), http://www.wwf.fr/_core/general.cfc?method=getOriginalImage&uImgID=%24%2A%22%5C%2D%22%40%20%20%0A

46] UICN, La Liste rouge mondiale des espèces menacées, [En ligne] (consulté le 30 décembre 2016), http://cmsdocs.s3.amazonaws.com/summarystats/2016-3_Summary_Stats_Page_Documents/2016_3_RL_Stats_Table_3a.pdf

[47] Chapelle Sophie (2016), Élevage industriel : la biodiversité animale sous contrôle des multinationales, Observatoire des multinationales, [En ligne] (consulté le 30 décembre 2018), http://multinationales.org/Elevage-industriel-la-biodiversite-animale-sous-controle-des-multinationales

[48] WWF, Rapport planète vivante 2012, [En ligne] (consulté le 30 décembre 2016), http://www.wwf.fr/vous_informer/rapports_pdf_a_telecharger/planete_vivante/?1383/Rapport-Plante-Vivante-2012

[49] Wikipédia, Simplicité volontaire, [En ligne] (consulté le 30 décembre 2018), https://fr.wikipedia.org/wiki/Simplicit%C3%A9_volontaire

[50] Colibri, Vivre simplement : la sobriété heureuse, [En ligne] (consulté le 30 décembre 2018), https://www.colibris-lemouvement.org/magazine/vivre-simplement-sobriete-heureuse

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